
Une arrestation filmée, des images virales, une nation en émoi. L’affaire Nygel Beerjeraz a déclenché bien plus qu’une simple onde de choc. À Maurice, cette intervention policière – captée en vidéo et massivement relayée sur les réseaux sociaux – s’est rapidement transformée en catalyseur d’un débat brûlant sur les méthodes des forces de l’ordre. Et pour cause !
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Les circonstances, pour le moins musclées, de cette interpellation ont soulevé une vague d’indignation, relançant la réflexion sur les limites de l’usage de la force. L’avocat Bhavish Budhoo, expert en droit constitutionnel, apporte un éclairage sur le cadre legal et les dérives possibles. Dans le cas précis de Nygel Beerjeraz, les faits allégués sont graves. « D’après ce que j’ai pu lire, il conduisait une voiture volée et aurait mis en danger la vie d’autrui dans sa fuite », explique Me Bhavish Budhoo.
Des circonstances qui, sur le plan légal, autorisent la police à faire usage de la force pour stopper une menace et assurer la sécurité publique. Mais l’avocat interroge la suite de cette intervention : « Et si cette personne avaitperdu la vie à la suite de cette intervention ? » Pour Me Budhoo, une ligne rouge ne doit jamais être franchie : « Ce n’est pas le rôle de la police de punir une personne. Ceci est uniquement du ressort de la Cour. » La loi fondamentale du pays est limpide : toute arrestation implique une privation de liberté, et donc l’entrée en jeu de la Constitution. Me Budhoo rappelle que c’est l’article 5 qui fixe les garanties contre toute détention arbitraire et encadre les conditions strictes dans lesquelles un individu peut être légalement arrêté. Le socle juridique de toute interpellation repose sur un principe : l’existence d’un « soupçon raisonnable » qu’une infraction a été commise. Dans ce cadre, la police peut agir pour mener son enquête. Mais cette action doit rester encadrée, précise-t-il.
Force, oui… mais proportionnée
Au coeur de la controverse : la proportionnalité. Une notion clé, selon l’avocat, dans toute intervention policière. Si un suspect résiste à son arrestation, la loi autorise le recours à la force – mais dans des limites strictes. « Le Police Act de 1974 stipule que le policier doit veiller à ce que la force déployée soit proportionnée à l’action de résistance », souligne Me Budhoo. Une exigence également inscrite dans les Standing Orders qui balisent l’action policière au quotidien.
Et s’il est un principe à ne pas perdre de vue, c’est celui de la non-violence. L’avocat met toutefois en garde les citoyens contre une réaction instinctive de rébellion : résister activement à une arrestation peut avoir des conséquences lourdes – sur le plan physique comme juridique. La procédure normale Un principe de base s’applique à toutes les interpellations : l’information.
« La police est tenue de donner un avertissement d’usage à la personne arrêtée », precise Me Budhoo. Une obligation qui permet à l’individu d’être conscient de ses droits et de la situation. Vient ensuite l’étape de la déposition, au cours de laquelle la personne interpellée peut livrer sa version des faits, idéalement en présence d’un avocat. Et si un citoyen estime avoir été arrêté de manière abusive, des recours existent. L’un d’eux : contester les accusations auprès du Directeur des poursuites publiques (DPP), une autorité indépendante qui décide de la suite à donner, en fonction des preuves disponibles.
Dans l’affaire qui secoue l’opinion publique, un élément pourrait peser lourd : la video de l’arrestation, devenue virale. « Il incombe de recueillir des preuves de ce qu’on avance. Comme avoir filmé les abus lors d’une arrestation, relevé les noms des policiers ayant outrepassé leurs limites et commis des abus », affirme Me Budhoo. Ces éléments sont cruciaux dans une éventuelle plainte à l’Independent Police Complaints Commission (IPCC) ou à la National Human Rights Commission (NHRC), les deux instances chargées de faire la lumière sur les derives policières.
L’île Maurice ne fonctionne pas en vase clos. Me Bhavish Budhoo rappelle que le pays est signataire de plusieurs conventions internationales, dont la Convention des Nations unies contre la torture et la Déclaration universelle des droits de l’homme. Si certaines de ces conventions ne sont pas juridiquement contraignantes, leur non-respect a un coût. « Le non-respect de ces conventions peut nuire à l’image du pays sur la scène internationale », note-t-il. D’ailleurs, le Comité des Nations unies contre la torture s’est déjà inquiété des cas répétés de brutalité policière à Maurice (voir en page 8).
Réformer, former, filmer : des pistes concrètes
Pour Me Bhavish Budhoo, il est temps de passer à l’action. Et cela passe d’abord par l’adoption d’un texte attendu depuis des années : le Police and Criminal Evidence Bill (PACE). « La première réforme à apporter est l’introduction du PACE », déclare-t-il. Ce texte établirait un cadre clair pour l’action policière, en définissant notamment les conditions et les limites du recours à la force. Autre piste : renforcer la formation des forces de l’ordre aux droits humains. « Il faut relancer cette formation de manière urgente », insistet-il, rappelant qu’elle se faisait auparavant avec l’organisation DIS-MOI, avant d’être interrompue.
Enfin, Me Budhoo plaide pour l’introduction généralisée de caméras-piétons, ces body cams portées par les policierslors des interventions. « Cette technologie, utilisée correctement, permettra à la police de disposer de preuves irréfutables, notamment lors des perquisitions ou des controlled deliveries », assure-t-il. Pour l’avocat, ces outils – législatifs, humains, technologiques – doivent être combinés pour prévenir de futurs dérapages, dissiper les accusations de brutalité policière et prévenir les cas allégués de drug planting : « Ces mesures combinées renforceront considérablement la transparence des interventions policières et garantiront le respect des droits fondamentaux des citoyens. »

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