
- Les cas de nécrose explosent, alertent les travailleurs sociaux
Des consommateurs s’injectent un mélange chimique dont la composition reste floue, entraînant graves infections et nécroses. Bon marché et addictives, il se répand rapidement, alarmant travailleurs sociaux et experts.
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Une nouvelle tendance préoccupe les travailleurs sociaux. De plus en plus de consommateurs de drogue s’injectent un cocktail chimique d’origine incertaine. Le résultat ? Des plaies béantes, des infections sévères, voire une nécrose avancée des tissus. Une situation critique qui pousse les acteurs de terrain à tirer la sonnette d’alarme.
Ce cocktail chimique, dont la composition reste floue, est encore mal connu des travailleurs sociaux. « Ce n’est pas de l’héroïne traditionnelle, mais un mélange de substances de laboratoire, bon marché et hautement addictif », alertent les associations engagées dans la réduction des risques. Le produit se propage à une vitesse alarmante. Est-ce un mélange de kétamine et de xylazine ? Ou une forme injectable de Crystal Meth ? Rien n’est certain, mais une chose est sûre : cette drogue injectée est plus toxique que celle consommée par inhalation.
Sur le terrain, les observations se multiplient. « Depuis quelques mois, une observation troublante se répète : de plus en plus de consommateurs de drogue se baladent avec des bandages au bras ou à la main. Ils viennent nous voir avec des plaies infectées. Certains ont des abcès énormes et la peau qui se détache », décrit un travailleur social.
Le phénomène est amplifié par la fabrication artisanale de ces substances surnommées « soupes chimiques » par les consommateurs eux-mêmes. Mal dosées et souvent coupées avec des produits toxiques, elles provoquent des réactions destructrices dans l’organisme. L’effet recherché ? « Une montée d’adrénaline brutale et un état de dissociation extrême. Mais le prix à payer est effroyable », soulignent les travailleurs sociaux que Le Défi Quotidien a sollicités.
Danny Philippe, chargé de plaidoyer auprès de l’organisation non gouvernementale DRIP, alerte sur cette tendance inquiétante qui prend de l’ampleur à Maurice. Une fois ces substances introduites sur le territoire, les trafiquants les mélangent pour obtenir un produit final hautement addictif et commercialisé en masse.
« Ces drogues sont extrêmement dangereuses. Elles créent une forte dépendance. Il n’existe aucun traitement de détoxification adapté. Importées de l’étranger, elles remplacent progressivement l’héroïne. Pour les trafiquants, c’est une aubaine. Ces mélanges sont plus faciles à produire et rendent les consommateurs encore plus accros, ce qui augmente la demande », explique-t-il. Il ajoute que l’effet de cette drogue est de courte durée, mais que son potentiel addictif est plus élevé. « Nous suspectons un nombre croissant de cas d’overdose liés à la consommation de ces substances », avertit-il.
Ce que confirme Kunal Naïk, addictologue et psychologue : « L’usage croissant de nitazène, de xylazine et de Crystal Meth à Maurice ces derniers mois, souvent par injection, engendre de graves problèmes de santé publique. » Ces substances exposent les consommateurs à un risque accru d’overdose, d’infections sévères et de lésions corporelles. « Leur impact sur le corps humain est dévastateur : lésions cutanées, infections graves, troubles respiratoires et dommages neurologiques irréversibles. La xylazine, un sédatif vétérinaire, provoque une dépression respiratoire sévère. Le nitazène, un opioïde de synthèse extrêmement puissant, accroît considérablement le risque d’overdose. Quant au Crystal Meth, un stimulant puissant, il entraîne des lésions cérébrales, des psychoses et des comportements violents », explique-t-il.
Il souligne que le manque d’informations sur la composition exacte de ces substances « amplifie les dangers, rendant les interventions médicales complexes et les risques d’interactions médicamenteuses élevés ». La prise en charge des consommateurs reste insuffisante. « Il n’existe aucune donnée précise sur ces substances et encore moins de protocole médical adapté. Pire : il n’y a aucun traitement de désintoxication pour ces produits. »
Les travailleurs sociaux demandent une réaction urgente des autorités. Une meilleure prise en charge des toxicomanes, un accès facilité aux soins et une sensibilisation accrue aux dangers de ces substances sont des priorités absolues.
Détection complexe
La Dangerous Drugs Act répertorie une centaine de substances interdites à Maurice. Selon l’Anti-Drug and Smuggling Unit, toutes les drogues de synthèse, issues de laboratoires, proviennent des mêmes substances de base. Mais c’est au Forensic Science Laboratory que les experts analysent la composition moléculaire de chaque produit. C’est à ce stade que la présence d’une substance illicite est formellement identifiée.
Cocktail mortel
Le mélange de kétamine et de xylazine combine un anesthésique dissociatif à un sédatif vétérinaire. Ensemble, ils induisent une sédation profonde, une perte de conscience et de graves effets secondaires : détresse respiratoire, hypotension et lésions tissulaires sévères pouvant évoluer en nécroses. Souvent combinée à d’autres substances, cette association aggrave les overdoses et complique la prise en charge médicale, exacerbant la crise sanitaire liée aux drogues.
Sam Lauthan : « Une pratique extrêmement dangereuse »
Sam Lauthan, président de la National Agency for Drug Control et Senior Advisor au bureau du Premier ministre (PMO) sur le dossier de la drogue, se dit bien informé de la situation. « Cela fait un moment que j’en entends parler. Des consommateurs fument et s’injectent de la drogue synthétique, une pratique extrêmement dangereuse. Elle favorise la transmission de maladies graves comme le VIH », prévient Sam Lauthan.
Comment inverser cette tendance ? Pour lui, la solution passe avant tout par la sensibilisation et l’accompagnement des consommateurs. « Il faut aller à leur rencontre et leur expliquer les mécanismes de l’addiction », insiste-t-il.
Le principal danger, selon Sam Lauthan, réside dans les interactions entre les substances consommées. « Certains toxicomanes suivent un traitement à la méthadone tout en prenant d’autres médicaments. C’est un cocktail explosif. »
Ally Lazer plaide pour une meilleure formation et une prévention plus efficace
Ally Lazer, de l’Association des travailleurs sociaux de l’île Maurice (ATSM), estime qu’il serait injuste de blâmer uniquement les autorités face à la prolifération des drogues synthétiques. « Ces substances évoluent sans cesse en laboratoire, rendant leur détection toujours plus complexe », explique-t-il.
Il décrit une situation alarmante où certains consommateurs deviennent de véritables « morts-vivants » en raison des effets destructeurs de ces drogues. Pour lui, la clé du problème réside dans l’équilibre entre l’offre et la demande. « Sans demande, il n’y aurait pas d’offre », souligne-t-il.
Face à cette menace grandissante, il appelle à une meilleure formation des forces de l’ordre. « Il est essentiel que le Bureau des Nations unies pour le contrôle de la drogue et du crime accompagne la formation de la police mauricienne afin de renforcer la lutte contre ce fléau », insiste-t-il.
Le président de l’ATSM plaide pour une approche globale combinant prévention, traitement et réhabilitation, seule stratégie efficace selon lui pour endiguer durablement ce phénomène.

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