Le trafic de drogue est une des plus grandes menaces pour la société. Si souvent il se déroule dans l’ombre, une tendance inquiétante émerge dans certaines régions du pays depuis quelques années. Les trafiquants n’hésitent plus à opérer en plein jour, défiant ainsi l’autorité de la police. Cette audace soulève des questions importantes sur l’efficacité des forces de l’ordre, les causes sous-jacentes et les mesures nécessaires pour contrer ce phénomène croissant. Une vidéo capturée à partir d’un drone au-dessus de Karo-Kalyptis atteste de l’ampleur de la situation. Mais il n’y a pas qu’à Roche-Bois…
Résidences Kennedy à Quatre-Bornes
Un réseau de trafic de drogue opérant en plein jour a été mis en évidence aux Résidences Kennedy de Quatre-Bornes, révèle le travailleur social Ally Lazer. D’après notre interlocuteur, les trafiquants se ravitaillent à Roche-Bois, plus précisément dans le quartier de Karo-Kalyptis, et privilégient la vente de drogues synthétiques et d’héroïne. Le 24 juillet dernier, la PHQ Special Striking Team a procédé à l’arrestation d’un individu en possession de 160 doses d’héroïne, d’une valeur marchande estimée à Rs 64 000. Toutefois, ce genre d’opération est loin de mettre fin au trafic. « Kan gard fer enn ti ‘landing’ bann-la aret vande. Me avan mem lapolis ariv kasern, baz-la fini rouver ek dimoun rekoumans vini. Me parfwa ena peniri ladrog lor Kennedy. Bann trafikan ou swa bann seki dan yen bizin desann lor Kalyptis mem aswar pou gayn zot prodwi », explique Ally Lazer.
Résidences Argy à Flacq
Selon l’Anti-Drug and Smuggling Unit (Adsu), le trafic de drogue prend de l’ampleur aux Résidences Argy à Flacq. La zone est accessible par trois voies d’entrée. « Nous avons des renseignements indiquant que les trafiquants s’approvisionnent en grande quantité à Karo Kalyptis. Certains préfèrent la voie terrestre tandis que d’autres empruntent la mer sur des catamarans et d’autres embarcations, en passant par Trou-d’Eau-Douce, dans le but de ne pas éveiller les soupçons. Ensuite, les marchandises sont écoulées sur le marché à une vitesse fulgurante », nous explique-t-on à la brigade antidrogue. Ally Lazer, travailleur social, affirme que le lieu-dit appelé « Sime Rail » est le théâtre d’un vaste trafic. « Des consommateurs et des trafiquants se déplacent de Lallmatie, Saint-Julien, Flacq et Poste-de-Flacq », indique-t-il. La brigade des stupéfiants ajoute que dans cette partie du pays, les drogues les plus prisées sont l’herbe de cannabis, l’héroïne et le haschich.
Quartier-Militaire
Un vaste trafic de drogue, selon un habitant de la région, serait en cours à Quartier-Militaire. Plus précisément du côté de Bonne Veine Road. « La drogue se commercialise à toutes les heures de la journée au vu et au su de la police », affirme notre informateur.
African Town à Riambel
Le quartier baptisé African Town à Riambel est devenu un point névralgique pour la vente de stupéfiants. L’agencement des habitations précaires favorise ce commerce illicite. Des trafiquants résidant dans le nord du pays se rendent ainsi spécifiquement à African Town pour écouler héroïne et drogues synthétiques. « Les maisons en tôle sont disposées côte-à-côte. Il est difficile de surveiller les entrées et sorties. De plus, les trafiquants connaissent bien les habitudes de la police », explique un membre de l’Adsu.
Rivière-Noire
La zone côtière du district de Rivière-Noire serait surexploitée par les trafiquants. Pour ce qui est de l’herbe de cannabis, du haschich et de l’héroïne, la drogue y arrive principalement par la mer en provenance de la Réunion et de Madagascar. Souvent, les cargaisons sont jetées à l’eau au large puis récupérées par des plongeurs qui les amènent à terre, indique un travailleur social de la région. « Dans les localités de Bambous, La Gaulette, Le Morne et Baie-du-Cap, entre autres, les toxicomanes se bousculent pour avoir leur dose. Li pa parey kouma Karo-Kalyptis me sityasion-la fer ou sagrin », ajoute-t-il.
Résidences Sainte-Claire à Goodlands
La cité Sainte-Claire à Goodlands est régulièrement sous le feu des projecteurs pour deux raisons : le trafic de drogue qui y règne nuit et jour, et l’hostilité des habitants envers les policiers lors des descentes. En janvier dernier, les éléments de l’Adsu de Trou-aux-Biches ont fait face à une foule hostile alors qu’ils menaient une opération « crackdown » dans le quartier. Selon le travailleur social Ally Lazer, « Résidences Sainte-Claire pli pir ki Karo-Kalyptis ». « Gagn gro kargo ladrog laba. Kouma dir laboutik an gro ! Dimoun sorti depi site Theresa dan Triolet ek site Tole dan Grand-Baie pou al pran ladrog dan site Sainte-Claire. Ce trafic se déroule en plein jour depuis au moins 15 ans », dit-il.
Karo Kalyptis, l’épicentre du trafic de drogue
Le quartier de Karo-Kalyptis, à Roche-Bois, est considéré par la police comme « l’épicentre du trafic de drogue ». Les images largement partagées sur la Toile cette semaine, montrant un trafic de stupéfiants s’opérant en plein jour, ne font que le confirmer.
Communément surnommé « Lor Park » en raison de ses enclos porcins nombreux, le site ne dispose que d’un seul point d’entrée et de sortie, via la rue Alfred-Besnard. Une particularité que les trafiquants de drogue ont su exploiter, étant alertés immédiatement de toute approche policière.
Toute la gamme des produits stupéfiants circule ici. C’est précisément pour cette raison qu’un grand nombre de trafiquants et de consommateurs convergent vers Karo-Kalyptis. Toutefois, il convient de s’interroger sur la manière dont les trafiquants parviennent à se procurer une telle quantité de drogue pour alimenter le marché. Au sein de l’Adsu, on soupçonne la complicité de certains employés du port.
« Une pénurie de drogue à Karo-Kalyptis est une hypothèse peu probable. L’offre est constante. Tout y est disponible. Le positionnement géographique de cette zone de Roche-Bois favorise le trafic de drogue. Elle se trouve à proximité de la mer, offrant une voie potentielle pour l’évacuation discrète des substances illicites qui peuvent ensuite être récupérées », explique l’Adsu.
Sam Lauthan, travailleur social : «Il y a une propagation généralisée de la drogue sur toute l’île»
Sam Lauthan, travailleur social engagé dans le combat contre le trafic de drogue, souligne « l’urgence de repenser les approches de lutte contre ce fléau qui a pris des proportions alarmantes, car il y a aujourd’hui une propagation généralisée de la drogue sur toute l’île ». Il était l’un des assesseurs de la commission d’enquête sur la drogue présidée par l’ancien juge Paul Lam Shang Leen. Notre interlocuteur affirme que les réseaux de trafic de drogue sont solidement implantés dans l’ensemble du pays. « Je ne peux pas dire si le commerce de stupéfiants dans d’autres régions est aussi préoccupant que celui observé à Karo-Kalyptis, mais je peux confirmer qu’il y a un vaste réseau de trafic à travers tout le pays et que les trafiquants font preuve d’une grande ingéniosité. » Auparavant, précise Sam Lauthan, les guetteurs utilisaient les klaxons pour signaler la présence de la police aux trafiquants, mais maintenant ils diffusent de la musique à travers des haut-parleurs. Selon ce travailleur social expérimenté, les réseaux de trafiquants se sont professionnalisés au fil du temps et ils continuent d’innover constamment.
Edley Maurer, manager de l’ONG Safire : «Préparer les jeunes à ne plus être sous l’influence des trafiquants»
Edley Maurer, le manager de l’ONG Safire (Service d’accompagnement, de formation, d’intégration et de réhabilitation de l’enfant), met l’accent sur la nécessité de préparer les jeunes à ne plus être sous l’influence des trafiquants, en particulier ceux qui ont été désavantagés sur le plan éducatif. Selon lui, ce sont ces jeunes qui ont été laissés pour compte qui deviennent des maillons faibles dans les réseaux de trafic de drogue. « Le trafic de drogue est une entreprise lucrative qui offre de l’argent facile. C’est regrettable que les trafiquants exploitent la vulnérabilité de ceux qui sont dans le besoin », se désole Edley Maurer. Pour le manager de l’ONG Safire, « la situation est des plus alarmantes ». Il suggère une approche de récupération suivie d’une campagne de formation approfondie. « Je suis d’avis qu’il est crucial de donner aux jeunes une nouvelle opportunité de vie. Grâce à un accompagnement spécialisé, nous devons les préparer de manière qu'ils ne soient plus sous l’emprise des trafiquants de drogue », insiste Edley Maurer.
Ally Lazer, président de l’ATSM : «Pas la moindre pénurie d’héroïne… même pas pendant une heure»
Ally Lazer, président de l'Association des travailleurs sociaux de Maurice (ATSM), estime que le pays est devenu un véritable « hub de la drogue ».
Selon lui, « il n’y a pas eu la moindre pénurie d’héroïne... même pas pendant une heure ! » Et pourtant, rappelle-t-il, on ne produit pas d’héroïne à Maurice. « Ale poz ou la kestion ki kantite ladrog ena dan pei ek kouma sa bann ladrog-la pe rantre », demande-t-il. Cela fait plusieurs décennies, rappelle Ally Lazer, qu’il tire la sonnette d’alarme. « Les trafiquants de drogue ont pris en otage notre pays. Des quartiers tels que les Résidences Sainte-Claire à Goodlands, les Résidences Barkly à Beau-Bassin ou encore les Résidences Sainte-Catherine à Saint-Pierre sont désormais envahis par ces trafiquants de drogue », se désole-t-il.
« Maurice, avec une petite population de 1,3 million d’habitants, un seul port et un seul aéroport, se retrouve en tête du classement de la consommation d’héroïne et, depuis 2020, de la drogue synthétique. Je déplore amèrement cette situation », souligne Ally Lazer. Le président de l’ATSM identifie deux facteurs responsables de cette situation alarmante : la corruption et la protection clandestine. « Le combat contre la drogue est perdu », lance-t-il sans détour. Pour lui, infliger de simples amendes ou des peines d’emprisonnement ne suffit pas. Il appelle les autorités à déployer les efforts nécessaires pour retracer les contacts afin de remonter à la source du problème. « Il est impératif de connaître les importateurs de drogue », conclut-il.
Danny Philippe, chargé de prévention de DRIP : «Prévenir le trafic avant tout»
Danny Philippe, chargé de plaidoyer au sein de l’ONG DRIP (Développement, rassemblement, information et prévention), affirme qu’il incombe à la police d’intensifier ses efforts pour mettre un frein à une situation qui s’aggrave jour après jour. « Pour commencer, les autorités doivent s’assurer avant tout qu’aucun trafic ne soit toléré. Les premiers pas doivent être dirigés vers l'éradication du trafic », insiste-t-il. Dans la perspective de comprendre et d'analyser la situation actuelle, ce défenseur des droits plaide pour l’organisation d’assises sur la drogue. Il est crucial, explique-t-il, d’examiner les facteurs en jeu et les dysfonctionnements dans le système de lutte pour « comprendre pourquoi le trafic de drogue persiste dans le pays. »
Selon lui, « les trafiquants ont une longueur d’avance sur les autorités », ayant développé des stratégies sophistiquées pour contourner les efforts de répression. Pour répondre à ce défi complexe, Danny Philippe exhorte les autorités « à se réunir et à collaborer activement avec les ONG concernées en vue d’élaborer en concertation des mesures efficaces face à l’urgence d’endiguer la montée du trafic de drogue ».
Depuis janvier 2023
Douze collégiens interpellés pour vente ou possession de drogue
Douze élèves de collège ont été interpellés depuis le début de l’année 2023 dans le cadre de dix affaires liées à la drogue dans des établissements d’enseignement secondaire. Dans le détail, l’Anti-Drug and Smuggling Unit (Adsu) a enregistré dix cas de vente et sept cas de possession.
La dernière affaire date de cette semaine. Mercredi, dans un collège privé des Plaines-Wilhems, un adolescent de 17 ans s’est présenté à l’école avec 38 doses de drogue synthétique dans son cartable. Des enseignants l’ont appris et ont immédiatement alerté la brigade antidrogue, qui est venue appréhender le collégien.
Au terme de son interrogatoire, l’adolescent a été autorisé à quitter les locaux de l’Adsu accompagné de ses parents. Pendant son audition, il n’a pas révélé grand-chose sur la provenance de la drogue. Les enquêteurs soupçonnent que le jeune homme agissait comme livreur pour le compte d’un trafiquant. Cependant, dans les cas impliquant des mineurs, le dossier doit être référé à la Brigade pour la protection de la famille et d’autres instances pour une enquête sociale avant d’être transmis au Bureau du DPP qui décidera des suites à donner à l’affaire.
L’Education Cell de l’Adsu, chargée des campagnes de sensibilisation auprès du public et notamment des jeunes, appelle les parents d’adolescents à la vigilance. « Kan ariv sa, mazine sa zanfan-la so moralite fini e lavnir li sarye sa touletan », mettent en garde des officiers de la brigade antidrogue. Selon eux, les ados sont particulièrement vulnérables. « Trafikan sib bann zenes dan lekol, kolez, liniversite, fer zot vinn akro e bann klian avi pou zot vand zot pwazon », précisent-ils.
Me Taij Dabycharun : «L’adolescent peut être condamné à trois à vingt-cinq ans de prison»
Le 16 août 2023, un adolescent de 17 ans a été trouvé en possession de 38 doses de drogues synthétiques dans un collège des Plaines-Wilhems. Il a été arrêté le même jour et relâché sur parole. Qu’encourt l’adolescent ? Le point avec Me Taij Dabycharun.
Selon Me Taij Dabycharun, vu que l’adolescent est un mineur, la police confie le dossier au bureau du directeur des poursuites publiques. Celui-ci décidera de la marche à suivre. Il pourra demander un rapport social sur l’adolescent. À la lumière du rapport, il prendra une décision.
Cependant, ajoute l’avocat, la Children’s Court Act 2020, loi concernant les enfants, est en vigueur depuis le 24 janvier 2022. Et l’âge de la responsabilité pénale de l’enfant est 14 ans. Par conséquent, une personne âgée de 14 ans à 18 ans peut répondre d’une infraction devant un tribunal.
Dans cette affaire, l’enquête de la police peut prendre du temps, vu que c’est un délit de drogue. « Donc, il se peut qu’il ait atteint l’âge de la majorité, en attendant qu’il soit poursuivi. Il fera alors face à un procès pénal en tant qu’adulte. Et il répondra de trafic de drogue devant la cour intermédiaire en vertu de la section 30 de la Dangerous Drugs Act. Il risque une peine d’emprisonnement de trois ans à vingt-cinq ans et peut être condamné à payer une amende maximale Rs 1 million s’il est jugé coupable », explique l’homme de loi. Le tribunal déterminera la peine en tenant compte des facteurs aggravants et atténuants.
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