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Dr Ramawad Soobrah, Breast Surgeon : «Sans le soutien émotionnel, le traitement est plus difficile»

Souvent centrée sur les femmes, la sensibilisation au cancer du sein néglige encore la part masculine de la population. Le Dr Ramawad Soobrah, breast surgeon, rappelle que les hommes peuvent eux aussi être touchés et qu’ils jouent un rôle essentiel dans le soutien aux patientes.

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Le cancer du sein, « une maladie de femmes ». Pourquoi cette idée reçue persiste-t-elle ?
Cela découle des chiffres que nous enregistrons chaque année. Si l’on ne prend pas en considération le cancer de la peau, le cancer du sein figure parmi les trois cancers les plus courants dans la majorité des pays du monde, notamment dans les pays développés. 
Concernant le cancer du sein chez les hommes, on en recense environ 20 000 cas par an dans le monde. À Maurice, le chiffre varie entre 5 et 6 cas par an. C’est la raison pour laquelle les tests de dépistage et les campagnes de sensibilisation visent principalement les femmes. Pour relativiser : sur 100 cancers du sein, 99 concernent les femmes et un seul les hommes.

Quels signes doivent alerter un homme ?
Les signes sont plus ou moins les mêmes que chez les femmes : une boule dure mais indolore autour du mamelon. Les hommes n’ont pas beaucoup de tissu mammaire, mais la majorité de ce tissu est concentrée près du mamelon. Chez les femmes, la majorité des cancers du sein se trouvent dans le quadrant supérieur externe, autour du mamelon. 

Les autres signes sont le plissement de la peau formant de petits creux, des rougeurs au niveau du mamelon, ou encore un écoulement sanguinolent. Tous ces signes sont presque similaires à ceux observés chez les femmes.

Certains hommes consultent pour un problème au niveau du sein qui n’est pas forcément un cancer, mais qui peut être lié à la présence d’une boule douloureuse dans la région du mamelon. Cela peut évoquer, dans un premier temps, un développement excessif du tissu mammaire masculin, d’autant que le cancer du sein chez l’homme est rare.

Existe-t-il des facteurs de risque spécifiques chez les hommes ?
Il existe effectivement certaines différences. Par exemple, les femmes qui ont eu des enfants tôt sont moins à risque, surtout si elles ont allaité, un facteur qui ne s’applique évidemment pas aux hommes.

Mais le facteur de l’âge est commun aux deux sexes : plus on vieillit, plus le risque de cancer du sein augmente. Chez les hommes, le risque devient plus marqué vers la fin de la cinquantaine. Dans ma pratique, je n’ai jamais rencontré d’hommes atteints d’un cancer du sein avant 40 ans, ni même en dessous de 30 ans. 

En comparaison, certaines femmes peuvent développer un cancer du sein dès 25 ans, même si cela reste rare. Environ 20 à 25 % des cancers du sein chez les femmes surviennent avant 45 ans, alors que chez les hommes, ils apparaissent plutôt après 50 ou 70 ans. Le cancer du sein est donc souvent détecté plus tard chez les hommes.

Sur le plan biologique, si une mère a eu un cancer du sein et que sa fille a développé un cancer des ovaires, le risque est également plus élevé pour les hommes de la même lignée. Des mutations génétiques peuvent être en cause, notamment celles des gènes BRCA1 et BRCA2. Si un homme porte l’une de ces mutations, son risque de développer un cancer du sein augmente considérablement.

En général, environ 10 % des cancers du sein chez les femmes sont d’origine héréditaire. Par contre, chez les hommes, des études ont démontré qu’un tiers des cancers du sein sont liés à une cause génétique. C’est pourquoi, lorsqu’un homme est atteint, il est important de procéder à un conseil et à un dépistage génétique. Chez les femmes, la dimension héréditaire est souvent envisagée d’emblée en fonction de l’historique familial, tandis que pour les hommes, la question se pose systématiquement en raison de la rareté de la maladie.

Un facteur de risque spécifique chez l’homme est le syndrome de Klinefelter, une anomalie génétique rare caractérisée par un excès d’œstrogènes et un déficit d’hormones masculines, qui est difficile à diagnostiquer précocement. Les hommes atteints présentent un risque de cancer du sein 20 à 60 fois plus élevé que la moyenne. Ce syndrome est détecté dès l’enfance.

L’exposition aux radiations lors d’une radiothérapie, notamment pour traiter un lymphome, peut aussi augmenter le risque. De plus, la cirrhose du foie entraîne une baisse des hormones masculines et une hausse du taux d’œstrogènes dans le sang, ce qui, à long terme, accroît également le risque.

Enfin, certaines affections testiculaires comme la cryptorchidie (testicule non descendu dans le scrotum) ou un cancer du testicule peuvent réduire la production de testostérone et, par conséquent, augmenter la concentration d’œstrogènes.

D’autres mécanismes peuvent aussi entrer en jeu : l’obésité, qui favorise la production d’œstrogènes dans le tissu graisseux ; la consommation excessive d’alcool, qui altère le foie et déséquilibre le rapport entre hormones masculines et féminines.

Ainsi, les facteurs de risque du cancer du sein chez les hommes peuvent être similaires à ceux observés chez les femmes, mais certains sont propres au sexe masculin.

Quand vous parlez de facteurs de risque spécifiques chez les hommes, qu’est-ce qui retarde le plus le diagnostic : la peur, l’ignorance, le regard des autres ou le fait qu’on ne pense pas systématiquement à un cancer du sein du fait qu’il est rare chez les hommes ?
Cela peut être dû à une ou plusieurs des raisons que vous avez mentionnées. Mais en premier lieu, c’est peut-être l’ignorance, car les hommes eux-mêmes ne pensent pas qu’ils peuvent avoir un cancer du sein, qu’ils associent plutôt aux femmes. Les femmes, elles, y pensent plus naturellement. 

Le cancer du sein masculin se soigne-t-il différemment ?
Le traitement est plus ou moins similaire à celui des femmes et dépend du type de cancer, de son stade et de l’état de santé général du patient. La seule différence notable se situe au niveau de la chirurgie. Chez les femmes, il est possible de pratiquer une chirurgie conservatrice ou une ablation selon des critères précis.

Chez les hommes, comme le cancer est le plus souvent concentré autour de l’aréole et que le sein est très petit, l’ablation totale est généralement privilégiée. À l’inverse, la chirurgie conservatrice est plus fréquente chez les femmes. Pour le reste – chimiothérapie, radiothérapie, hormonothérapie ou immunothérapie –, les traitements sont les mêmes pour les deux sexes.

Est-ce que le cancer du sein est plus agressif chez les hommes ?
Le cancer a tendance à être plus agressif chez les hommes, car le diagnostic est souvent posé plus tard. Biologiquement, il présente également certaines différences par rapport à celui observé chez les femmes.

Et comment annonce-t-on ce diagnostic à un patient qui ne s’y attend pas ?
C’est à peu près la même chose que pour les femmes, mais cela dépend aussi du médecin. Avant d’annoncer le diagnostic, toutes les analyses doivent être effectuées. Dès l’échographie, il est souvent possible de suspecter un cancer, comme chez les femmes.

Chez les hommes, il est difficile de réaliser une mammographie, car le sein est petit. On se base donc principalement sur l’échographie, qui donne des indications claires en cas de suspicion. Cela conduit ensuite à pratiquer une biopsie pour confirmer ou infirmer la présence d’une tumeur cancéreuse.

Dès cette étape, comme le cancer du sein chez l’homme est rare, les patients sont déjà quelque peu préparés, et l’annonce n’est généralement pas un choc brutal. En revanche, les hommes ne réagissent pas de la même manière que les femmes.

Cependant, ils ne s’attendent souvent pas à devoir subir des traitements lourds comme la chimiothérapie ou une ablation du sein. Ils pensent parfois qu’il s’agit simplement d’une petite grosseur à retirer. Ils ne réalisent pas toujours qu’il s’agit d’un cancer du sein nécessitant les mêmes principes de traitement que chez les femmes.

Le couple, la virilité, le regard sur soi… en quoi le cancer du sein bouleverse-t-il l’identité masculine ?
Comme je l’ai dit, du côté chirurgical, c’est l’ablation qui est privilégiée, ce qui entraîne une altération de l’image corporelle qu’il ne faut pas sous-estimer. L’homme garde une longue cicatrice, comme les femmes, et après cette intervention, le thorax paraît encore plus plat, ce qui peut avoir un impact psychologique.

Les traitements peuvent également provoquer des effets secondaires hormonaux. Les femmes peuvent ressentir des bouffées de chaleur semblables à celles de la ménopause ; les hommes, eux, peuvent connaître une baisse de libido et des troubles de l’érection. Cela affecte la qualité de vie et peut diminuer l’adhérence au traitement, poussant certains à l’interrompre.

Concernant la reconstruction mammaire, il existe des techniques avancées pour les femmes, mais il est difficile de reconstruire le sein d’un homme. Faute de recherches et de pratique, ce type d’intervention reste rare. Il est aussi compliqué de trouver des hommes volontaires pour participer à des essais cliniques.

Les changements physiques peuvent affecter le moral et le bien-être en général. Les femmes peuvent porter une prothèse mammaire après une ablation et se sentir plus à l’aise. En revanche, pour un homme, le fait de devoir garder un t-shirt pour cacher sa cicatrice peut susciter de la gêne et un certain mal-être.

Les campagnes de dépistage ciblent presque exclusivement les femmes. Que faudrait-il changer pour qu’elles s’adressent aussi aux hommes ?
Les campagnes sont principalement adressées aux femmes, car elles sont les plus touchées. Sur le plan financier, il n’est pas économiquement « rentable » d’organiser une campagne spécifique pour les hommes alors que la maladie reste extrêmement rare chez eux.

Cependant, il suffirait de mentionner, lors des campagnes axées sur les femmes, que les hommes peuvent eux aussi être concernés par le cancer du sein. Ces campagnes n’ont pas besoin d’être spécifiquement dirigées vers les jeunes pour les inciter à pratiquer l’autopalpation. D’autant plus qu’à l’âge où le cancer du sein apparaît chez les hommes, ils seront généralement capables de réagir d’eux-mêmes s’ils remarquent une grosseur au niveau du sein, par exemple pendant leur bain.

Ainsi, il n’est pas justifiable, d’un point de vue économique, d’investir dans une campagne qui ne concerne que cinq à six cas par an. En revanche, la sensibilisation doit se faire en parallèle lorsqu’on parle du cancer du sein chez les femmes.

On parle beaucoup des femmes pendant Octobre rose. Pourquoi est-il important, selon vous, d’inclure davantage les hommes ?
Il est important de les inclure, car les hommes peuvent être un frère, un fils, un père ou un époux, et le fait qu’ils puissent eux-mêmes être touchés par un cancer a un impact sur toute la famille.

Il y a déjà des hommes qui accompagnent leur conjointe pendant les traitements, tout comme des fils qui accompagnent leur mère âgée. Cependant, dans certains cas, cela reste un sujet tabou, surtout chez les femmes plus âgées qui n’ont pas de filles à la maison. Si les hommes sont sensibilisés au cancer du sein, ils peuvent encourager leur mère à se faire dépister après la cinquantaine.

À ce niveau, les hommes ont déjà été impliqués dans la lutte contre le cancer à travers les campagnes organisées durant le mois rose.

Dans votre pratique, observez-vous une évolution du regard des hommes - qu’ils soient patients, conjoints ou proches - sur la maladie ?
Devant les professionnels de santé, ils adoptent généralement une bonne attitude. Certains détournent le regard lors d’une ablation ou d’un pansement, soit par pudeur, soit pour éviter d’être traumatisés. D’autres, au contraire, restent proches de leur épouse pendant l’intervention, à ses côtés.

Pour les patientes, ce soutien du conjoint ou d’un proche est très important : cela les rassure et leur donne de la force pour affronter le traitement.

Quand une femme est atteinte d’un cancer du sein, le conjoint traverse aussi une épreuve. Comment accompagnez-vous ce « deuxième patient » souvent oublié ?
En tant que chirurgien, mon attention est centrée sur la patiente, car je ne passe pas beaucoup de temps avec la famille.
En Angleterre, par exemple, une fois le diagnostic du cancer annoncé, une infirmière spécialisée en soins mammaires prend en charge la patiente et sa famille. Elle explique tout aux proches, identifie d’éventuels problèmes sociaux et décide des modalités d’accompagnement.

Ce type de service n’est pas vraiment pratiqué à Maurice, car le temps du personnel soignant est limité. Néanmoins, un soutien existe, notamment par l’oncologue, le psychologue et d’autres professionnels de santé. Ainsi, la famille reste impliquée.

Certaines femmes atteintes d’un cancer du sein racontent avoir été délaissées ou abandonnées par leur conjoint après une mastectomie. Comment, selon vous, peut-on sensibiliser les hommes à comprendre que ces femmes demeurent avant tout des êtres humains, et non des objets dont la valeur se limite à leur apparence physique ?
Tout dépend de la mentalité des personnes. Lorsqu’un homme entretient un lien très fort avec son épouse, il devient un véritable soutien.

Il faut bien expliquer que le cancer peut affecter la patiente de différentes manières, avec des conséquences sur son entourage. Ce qu’il faut retenir, c’est que le cancer est une maladie comme une autre et qu’il existe des traitements pour la soigner. Dans certains cas, ils sont légers, dans d’autres plus lourds, mais avec l’aide et le soutien nécessaires, cette période peut être traversée avec courage. Et au bout de quelques mois, on peut voir la lumière au bout du tunnel.

En tant que Breast Surgeon, quel message aimeriez-vous adresser directement aux hommes pendant Octobre rose, qu’ils soient patients, conjoints ou simples citoyens ?
Nous nous focalisons sur les besoins médicaux des patients. Les hommes doivent savoir que le cancer est une maladie comme une autre, qu’il s’agit d’une phase à traverser. Et selon le stade auquel la maladie est diagnostiquée, la vie peut redevenir normale. L’accompagnement dont le patient bénéficie, ainsi que son bien-être émotionnel et social, sont très importants durant cette phase afin de bien gérer le traitement et ses effets secondaires. Sans ce soutien, le traitement devient plus difficile.

 

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