Le CEO du Syndicat des Sucres, Devesh Dukhira, attribue le prix record de Rs 30 951 par tonne de sucre à la hausse du cours sucrier mondial, aux coûts de production en Europe, et à la compétitivité renforcée de Maurice sous les Accords de préférences économiques. Dans cet entretien, il évoque également les défis actuels auxquels fait face l’industrie cannière à Maurice.
Pouvez-vous nous donner un aperçu de l’état actuel de l’industrie sucrière à Maurice ?
Je dois avant tout préciser que nous parlons désormais d’une industrie cannière, où les coproduits du sucre, dont la bagasse et la mélasse, sont également exploités, notamment pour la production d’électricité et de l’éthanol respectivement, apportant ainsi des revenus additionnels aux producteurs. En ce qui concerne le sucre, les usiniers ont réussi à s’adapter aux changements du marché depuis la fin des prix garantis sous le Protocole Sucre. Alors qu’ils produisaient essentiellement le sucre roux brut pour le raffinage dans le passé, le « product mix » a évolué et comprend maintenant exclusivement des sucres à valeur ajoutée pour la consommation directe, dont le sucre blanc raffiné et les sucres spéciaux naturels de la canne. Le bras commercial de l’industrie qu’est le Syndicat des Sucres arrive ainsi à être plus flexible au niveau des marchés ciblés tout en atténuant les volatilités de prix année après année.
Comment se porte la récolte cette année par rapport aux années précédentes ?
Après plusieurs années de baisse de production, due au déclin de la surface sous culture de la canne, ainsi qu’au rendement de la canne, une légère hausse a été enregistrée sur la récolte 2023, notamment de 2,6 %, à 238 854 tonnes de sucre. En fait, à la suite des replantations, qui sont toujours en cours, la productivité dans les champs a connu une augmentation, passant à 68,4 tonnes de canne à l’hectare, contre 57,6 tonnes l’année précédente. La productivité sucrière a aussi crû de 5,9 à 6,7 tonnes de sucre à l’hectare sur la même période.
Pour la récolte en cours, dont la coupe vient de démarrer, les conditions climatiques ont été plus favorables et la production sucrière devrait être supérieure. Celle-ci est estimée à 250 000 tonnes.
Quels sont les principaux défis auxquels l’industrie sucrière est confrontée aujourd’hui ?
Les coûts ascendants des intrants, incluant les fertilisants, les frais de transport et la main-d’œuvre en général, sont les principaux défis de l’industrie. Bien que les prix favorables sur les deux dernières années aient été d’un grand soutien, le prix du sucre reste volatile – l’on s’attend déjà à une baisse sur la récolte 2024 – et il est essentiel que le secteur continue à améliorer sa compétitivité.
Sur ce volet, la mécanisation de la récolte devient de plus en plus pertinente. À ce jour, environ deux tiers de la surface sont récoltés ainsi, mais vu la topographie de l’île, une partie des champs restants ne pourra être récoltée que manuellement. Là, nous faisons face à un manque de travailleurs qui, de plus, seraient vieillissants. Les autorités travaillent sur un « framework » pour faciliter l’importation de la main-d’œuvre mais le temps presse : les planteurs ont entre-temps des difficultés à récolter et acheminer leurs cannes à l’usine.
Un autre défi, lié à la compétitivité, est l’abandon ou la conversion continue des terres fertiles sous culture de la canne. Seulement 35 863 hectares ont été récoltés en 2023, par rapport à 39 199 l’an dernier et 47 678 en 2018. La baisse de production diminue sans aucun doute l’avantage concurrentiel du secteur tout comme la flexibilité du Syndicat des Sucres à pouvoir exploiter les meilleures opportunités de marché.
Avec une baisse d’au moins 20 % des prix prévue en Europe cette année, nous devrons exploiter d’autres opportunités.»
Le Syndicat des Sucres a finalisé le prix ex-Syndicat pour les producteurs pour la dernière récolte à un niveau record de Rs 30 951 par tonne de sucre. Quels sont les facteurs qui contribuent à la finalisation de ce prix ?
Je dois avant tout rappeler les conditions exceptionnelles ayant permis une augmentation substantielle des prix de vente pour la récolte 2022, ce qui avait entraîné une hausse du prix ex-Syndicat de 52 % à Rs 25 554 la tonne de sucre. En fait, alors que le cours sucrier était en hausse, le coût de production en Europe avait augmenté drastiquement suivant l’invasion russe en Ukraine et l’explosion du coût de l’énergie. En même temps, dû à des conditions climatiques défavorables, leur récolte avait baissé de 12 % à 14,6 millions de tonnes, donc nécessitant davantage d’importation.
Comme Maurice bénéficie toujours d’un accès hors taxe sous les Accords de préférences économiques, elle a été l’un des fournisseurs prioritaires en sucre. Ces conditions du marché ont perduré sur la récolte 2023, au moins en début de campagne quand les ventes sont finalisées, mais avec un cours sucrier mondial qui s’est amélioré davantage. Le Syndicat a ainsi pu obtenir des hausses de prix, atteignant jusqu’à 10 % par rapport à l’année précédente.
L’affaiblissement de la roupie, allant jusqu’à 5 % par rapport à l’année précédente, a également soutenu cette hausse alors que certains frais, dont le fret maritime, ont baissé tout comme certains coûts fixes qui ont été dilués par la hausse de production.
Comment se porte le marché d’exportation du sucre mauricien ?
Le sucre mauricien est désormais présent dans une soixantaine de pays, dont en Europe, aux États-Unis, au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est et sur le marché régional. La vente des sucres spéciaux continue à grossir graduellement, sauf pour la récolte 2023 quand les livraisons en Europe ont été impactées par la forte inflation et ont baissé d’environ 20 % par rapport à l’année précédente. Ces ventes ont heureusement été remplacées par le sucre blanc, où la demande était en hausse, comme en 2022.
Cependant, la production sucrière en Europe a entre-temps augmenté alors qu’il y a eu un afflux massif du sucre d’Ukraine depuis que l’accès hors taxe leur a été étendu. De ce fait, l’on s’attend à une baisse du prix européen cette année par au moins 20 % et nous aurons à exploiter d’autres opportunités plus intéressantes, dont sur le marché régional. Vu la volatilité de la consommation et, par ricochet, des prix, il est primordial que nous soyons flexibles et agiles pour pouvoir prendre avantage des meilleures opportunités du marché.
Quels types d’investissements pensez-vous nécessaires pour assurer la croissance et la compétitivité de l’industrie à l’échelle mondiale ?
L’industrie cannière a déjà encouru des investissements adéquats depuis la levée des filets de protection, notamment des centralisations d’usines, de nouvelles raffineries et des hausses de capacité de production pour les sucres spéciaux. Il y a également eu un regain de confiance parmi les planteurs qui investissent désormais dans la replantation de la canne, soutenus dans cette démarche par le Cane Replantation Scheme de la MCIA et le Cane Revolving Fund de la DBM.
Mais, évidemment, il faut aller plus loin et améliorer davantage les pratiques culturales pour accroître la productivité dans les champs. En parallèle, une politique cohérente serait nécessaire pour premièrement stopper l’hémorragie d’abandon de terre en offrant des incitations appropriées aux planteurs, et deuxièmement récupérer les terres à l’abandon et s’assurer d’une récolte minimale.
Quelle est votre vision pour l’avenir de l’industrie sucrière à Maurice dans les prochaines années ?
L’industrie sucrière a pu s’adapter aux changements dans l’environnement du marché avec la flexibilité nécessaire dans sa gamme de produits et sur les pays d’exportation. La bagasse et la mélasse ont retrouvé de meilleures rémunérations, sauf qu’une indexation s’impose pour s’assurer que leur prix reflète leurs réelles valeurs. N’oublions pas la contribution importante de la bagasse comme biomasse pour s’assurer que 60 % de notre production d’électricité à partir de 2030 soient de sources renouvelables.
Quant aux sucres, le Syndicat s’attelle déjà à une optimisation de leurs valeurs, notamment en visant des marchés niches où ils seront les mieux rémunérés. À cet égard, les producteurs se sont également lancés dans la certification de ‘sustainability’ pour assurer les clients et les utilisateurs en général de l’environnement durable sous lequel ils sont produits. Ainsi, plus d’un tiers de la production actuelle est certifié Bonsucro et Fairtrade.
Nous sommes donc confiants que l’industrie est bien rodée pour faire face à la volatilité des prix, mais les défis au niveau structurel doivent être relevés le plus tôt possible.
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