Le patronat demande au Premier ministre et ministre des Finances d’ouvrir l’économie davantage aux professionnels étrangers. Le manque de compétence local et les limites démographiques sont les raisons avancées.
Pour que le pays puisse atteindre le palier de ceux à revenus élevés, il faudra obligatoirement passer par le recrutement de professionnels étrangers. C’est l’argument que présentent plusieurs observateurs. Une demande a été faite par Business Mauritius au Premier ministre et ministre des Finances Pravind Jugnauth, dans le cadre des consultations pré-budgétaires. Trois secteurs sont particulièrement concernés par l’apport des professionnels étrangers, notamment la Technologie de la Communication et de l'Innovation (TCI), les services financiers et l’hôtellerie. Les porte-paroles de ces trois secteurs abondent dans le même sens.
Rajiv Servansingh, de MindAfrica, firme de consultants pour les investisseurs en Afrique, estime qu’il faudra regarder au-delà du transfert des connaissances. La méthode éprouvée ne suffit plus, estime ce dernier : pour lancer un nouveau secteur, comme les services financiers dans les années 90, on avait recours aux étrangers qui pouvaient transmettre leurs connaissances aux Mauriciens qui prenaient la relève au bout d’une dizaine d’années. « Dans les années à venir, le pays connaîtra une croissance démographique négative », estime Rajiv Servansingh. Il ajoute : « Il faut une politique de la migration des professionnels. »
Cette situation démographique fait qu’on ne pourra pas se passer de ces compétences dans les années à venir selon lui, surtout dans le secteur des services qui semble le plus prometteur pour des développements à venir. « De toute façon, nous n’aurons pas assez de Mauriciens pour répondre aux besoins de tout le monde », poursuit-il. « Il faut donc établir une liste des secteurs et des professionnels prioritaires pour les années à venir. »
Roshan Seetohul, secrétaire général de l’Outsourcing and Telecommunications Association of Mauritius (OTAM), estime que cette importation de cerveaux étrangers ne devrait pas se faire en concurrence avec les Mauriciens employables. « Dans le secteur des TCI et des BPO, si vous n’avez pas d’étrangers, vous aurez des sièges vides », assure-t-il. « Cela ne veut pas dire qu’on fait barrage aux Mauriciens. » Notre interlocuteur affirme qu’il n’y a tout simplement pas de Mauriciens possédant les compétences nécessaires pour remplir ces sièges.
Pour palier aux éventuels abus, Roshan Seetohul estime que le gouvernement pourrait appliquer un quota 1:3 pour les entreprises opérant dans le secteur des TCI. « Cela pourrait servir de garde-fou », explique-t-il. « Toutefois, ce qui est sûr, c’est que si nous voulons devenir un hub, il faudra attirer les professionnels qui peuvent apporter de la valeur ajoutée. » L’émergence d’autres marchés dans la région, dont Madagascar qui compte 5 000 emplois dans le secteur des BPO, représente une menace pour Maurice selon lui. « Nous avons pas mal de firmes qui sont allées ailleurs par manque de masse critique », fait remarquer Roshan Seetohul.
Même constat du côté des compagnies offshore et des services financiers. Assad Abdullatiff, président de l’Association of Trust and Management Companies (ATMC), explique que les opérateurs locaux passent à côté de nombreuses opportunités par manque de compétences dans de nouveaux créneaux. « Un des piliers qu’il faudra développer à l’avenir, c’est surtout la gestion des grosses fortunes africaines », explique-t-il. « Maurice est une plateforme financière et les investisseurs qui viennent, demandent souvent ce que nous proposons en gestion de patrimoine. » Ces investisseurs comprennent bien souvent que ce service n’est pas disponible à Maurice. La plupart des opérateurs ont alors recours à un prestataire de service étranger. Autant de revenus qui pourraient plutôt entrer dans le pays.
Cependant, Assad Abdullatiff est également d’avis qu’il faut une ouverture ciblée aux étrangers et non une ouverture tous azimuts. Au niveau des services financiers, outre le private banking, dont la gestion de patrimoine en fait partie, le président de l’ATMC est d'avis qu’il faudrait ouvrir nos portes aux spécialistes de la FinTech pour exploiter les nouvelles technologies blockchain et la crypto-monnaie. « On a un manque d’expertise au niveau de toutes ces nouvelles technologies », estime notre interlocuteur.
Les mutations de la clientèle s’ajoutent aux nouvelles technologies dans l’hôtellerie, estime Jocelyn Kwok, CEO de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM). Avec les nouveaux marchés que vise l’industrie, il y a un problème au niveau des langues, en plus de la formation qui n’arrive pas à suivre le rythme d’un secteur qui a besoin de 900 nouveaux employés chaque année : « Les autorités du tourisme élaborent régulièrement une liste des compétences rares, souvent calquée sur des définitions de poste peu pertinentes, eu égard des évolutions dans le secteur », explique Jocelyn Kwok. Elle ajoute : « Pour les nouveaux savoir-faire, à l’instar du revenue management, de l’asset management et des operational innovations, il faut absolument aller chercher les meilleurs dans ces domaines. » Ici encore, il faut cibler les professionnels, dont le secteur a vraiment besoin.
Un salaire supérieur à Rs 60 000 pour un Occupation Permit
La différence entre un détenteur d’un Occupation Permit, remis par l’EDB et un simple permis de travail, responsabilité du ministère du Travail, relève des revenus.
S’agissant de la catégorie des professionnels, celle qui concerne le plus les opérateurs, un Occupation Permit n’est délivré qu’aux professionnels touchant plus de Rs 60 000 mensuellement.
La seule exception concerne le secteur des TCI où un professionnel avec un salaire de plus de Rs 30 000 peut également être éligible.
Le secteur des TCI premier employeur des expatriés
Les chiffres officiels de l’Economic Development Board (EDB), qui a absorbé le Board of Investment (BOI), concernant le nombre d’Occupation Permits délivrés, indiquent que la grosse majorité, soit 72 %, concerne des professionnels plutôt que des investisseurs. Il s’agit justement de la catégorie qui intéresse la communauté des affaires qui n’arrive pas à trouver les compétences nécessaires localement.
Les détails des permis émis par secteur d’activité dressent un tableau éloquent des secteurs où les compétences d’expatriés sont requises. Hormis la catégorie générique des services professionnels, ce sont les TCI, l’hospitalité et les services financiers qui composent le podium.
Le secteur des TCI et des médias se trouve loin devant avec 1 031 permis à son actif. À lui tout seul, ce secteur compte donc pour 22 % des « occupation permits » émis aux professionnels. Même les deux autres secteurs, qui composent le trio de tête, n’arrivent pas à rivaliser.
Du côté de l’hospitalité, l’EDB dénombre 686 permis, alors que les services financiers suivent de près avec 670 permis.
Ces trois secteurs font effectivement face à des défis comme le besoin de recourir à des spécialistes pour passer à un service haut de gamme pour les TCI et les services financiers, ou encore le besoin de grossir les chiffres d’affaires tout en minimisant l’impact écologique pour l’hôtellerie.
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