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Dev Virahsawmy : «Les politiciens ne font que dire ce que le public aime entendre»

Dev Virahsawmy

Le linguiste et observateur politique Dev Virahsawmy dénonce le clientélisme politique et déplore qu’il n’y ait, à l’aube des 55 ans de notre Indépendance, toujours pas de stratégie claire visant à créer une nation vraiment unie, dotée d’une culture mauricienne, avec une économie inclusive plutôt qu’ultralibérale. 

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Quel bilan faites-vous de 2022 ?
Maurice a pris la direction de ce qu’on appelle le néolibéralisme, c’est-à-dire la droite du capitalisme. Pe koup pie, betone, asfalte, et il n’y a aucune considération pour les dommages que nous faisons à l’environnement. 

Mon deuxième constat est qu’à ce jour, aucun parti politique, que ce soit dans le gouvernement ou au sein de l’opposition, ne comprend pas le problème qui règne dans l’éducation. Ils s’arrêtent aux chiffres, au pourcentage de réussite, alors que la situation empire. Car de plus en plus, les enfants ne savent pas lire, écrire et compter. C’est encore plus grave qu’aucun parti de l’opposition ne réfléchisse dessus. 

Un enfant commence à entendre quand il est dans le ventre de sa mère. Cela a été prouvé par les recherches scientifiques. Quand il naît, il entend sa mère parler dans sa langue maternelle et ça l’aide à développer son cerveau. 

Or, quand il arrive à l’école, il doit apprendre deux langues, voire trois langues qui ne sont pas sa langue maternelle. Le résultat est qu’un pourcentage très élevé, après six ans sur les bancs de l’école, ne sait toujours pas lire, écrire et compter. Ce n’est pas parce que 90 % des enfants vont à l’école qu’ils sont literate. Loin de là. 

Rezistans ek Alternativ dit qu’il faut construire une nouvelle façon de faire, mais Navin Ramgoolam dit que la priorité est de mettre ce gouvernement dehors. Il n’y aura pas de changement fondamental»

Mon troisième constat est que les partis de l’opposition n’ont pas de projet réel. Ils emboîtent le pas au gouvernement. Ce qui est encore plus grave, c’est que les grands partis politiques, que ce soit le MSM ou le PTr, sont inféodés au BJP (Bharatiya Janata Party), le parti de Narendra Modi. Ils vont suivre les directives qu’ils recevront de Monsieur Modi. 

Déjà, on a perdu un bout de territoire avec Agaléga. L’Inde est une grande puissance et pourrait utiliser Maurice comme plateforme. Agaléga a maintenant un quai en eau profonde et une grande piste d’atterrissage. L’Inde utilisera Maurice comme plateforme pour mettre la main sur les ressources naturelles d’Afrique. 

Il faut noter que Modi a fait une alliance avec l’Amérique. Maurice continuera à donner des facilités à Diego pour la base militaire. Tout ce que nous faisons pour récupérer un territoire est une bonne chose. Mais en termes réel, la location pour la base militaire de Diego Garcia n’ira plus vers l’Angleterre, mais vers Maurice. La base de Diego permettra à Maurice de tap plin. 

Vers la fin du siècle dernier, il y avait un mouvement rétrocessionniste qui voulait que Maurice soit la petite France. Aujourd’hui, Maurice est devenu la petite Inde et à ce sujet, le PTr et le MSM ont la même idéologie. 

À cela, il y a un mouvement raciste qui se développe, c’est-à-dire l’Hindutva. On ne parle plus de la création d’une nation et cela ne nous permettra certainement pas d’avancer.

Maurice bétonne, mais demande des milliards aux pays étrangers pour l’aider à financer le changement climatique. C’est un paradoxe ?
Le gouvernement mauricien ne veut qu’avoir plus d’argent pour développer. Le projet environnemental ne peut pas se faire par petits bouts. Ça doit se faire de manière globale. 

Le gouvernement dit aux pays riches qu’ils détruisent l’environnement et sont les grands responsables du changement climatique, et à ce titre, ils doivent donner un petit peu d’argent aux petits États insulaires pour les aider à lutter contre le réchauffement climatique. La location pour Diego ira directement dans les caisses de Maurice et de l’autre côté, on aura l’argent que des financeurs mondiaux vont donner et cela entrera aussi dans les caisses. 

Ceux qui nous gouvernent ne sont pas intéressés par l’environnement, mais par le concept écologique comme prétexte pour avoir de l’argent à dépenser. Ça montre à quel point nous sommes opportunistes. On veut exploiter une situation pour en profiter. Il n’y a pas de différence entre le PTr et le MSM. D’ailleurs, le souhait de l’Inde est de mettre ces deux mouvements ensemble.

Il n’y a pas de différence entre le PTr et le MSM. D’ailleurs, le souhait de l’Inde est de mettre ces deux mouvements ensemble»

Le néolibéralisme dont vous parlez, ce n’est pas nouveau…
C’est une politique que le PTr suivait déjà. Ce dernier a la même idéologie politique et économique que le MSM. Ce n’est pas nouveau, en effet. Et on assiste à une chaise musicale, mais personne ne vient avec un projet à long terme. On ne fait qu’avoir les yeux rivés sur les prochaines élections. 
On a un Premier ministre très malin. Je ne serais pas étonné qu’avant les élections, la pension de vieillesse arrive à Rs 13 000 et ça touche 250 000 électeurs. En moyenne, ça donne 10 000 personnes par circonscription. Ça veut donc dire que le MSM démarre sa campagne avec une avance extraordinaire. 

Dans l’opposition, on a quoi ? Paul Bérenger et Xavier-Luc Duval sont devenus des roues de rechange. On a donc deux partis qui se ressemblent sur des idées et idéologies, et qui se bagarrent pour le pouvoir. 

On a une économie de plus en plus tournée vers l’extérieur pour avoir de l’argent qui sort de l’étranger. Quelle stratégie touristique ont le MSM et le PTr ? C’est du tourisme de plage uniquement, alors que dans le monde entier, on dit que ce type de tourisme n’est qu’une solution facile à court terme. Si on veut exister dans la durée, il faut un tourisme bien pensé et écologique. 

On constate donc que personne ne s’occupe des problèmes fondamentaux.

Il y a ce qu’on appelle des petits partis tels que Rezistans ek Alternativ ou encore Linion Pep Morisien qui prônent un changement fondamental du système, mais le grand public ne semble pas adhérer…
Certains négocient avec le PTr. Un parti comme Rezistans ek Alternativ, qui est de gauche, négocie avec un parti de droite ultralibéral. Rezistans ek Alternativ dit qu’il faut construire une nouvelle façon de faire, mais Navin Ramgoolam dit que la priorité est de mettre ce gouvernement dehors. Donc, il n’y aura pas de changement fondamental.

Ceux qui nous gouvernent ne sont pas intéressés par l’environnement, mais par le concept écologique comme prétexte pour avoir de l’argent à dépenser»

Si on en arrive là, c’est parce que le grand public n’adhère pas à l’idée des grands changements ?
Oui, c’est vrai. Car le grand public se contente du peu qu’on lui donne. Le public ne criera que lorsqu’il n’aura pas à manger. Est-ce qu’un parti politique a pour rôle de caresser dans le sens du poil ou plutôt de faire comprendre les vrais enjeux ? Certains ne vont pas réfléchir plus loin que d’avoir une hausse de la pension. Pour eux, la réflexion s’arrête là.

N’y a-t-il pas un gros mécontentement dehors ?
Leur mécontentement est basé sur quoi ? Les scandales et la hausse des prix. Est-ce qu’on a un politicien qui parle de sécurité alimentaire ? Quel parti politique viendra dire qu’on ne doit plus dépendre des importations et qu’on doit vraiment produire ce que nous mangeons ? 

Les gens accepteront-ils de manger du manioc, du mais, du fruit à pain ? Mais dans ce monde qui vir anbalao, on ne peut plus dépendre du riz et de la farine importés, car on ne sait pas ce qui nous attend à l’avenir et s’il y en aura toujours assez pour tout le monde. 

Qui va dire qu’il est temps de changer notre manière de manger, mais aussi de ne pas manger ce qui nous rend malade ? Plus de 25 % de la population mauricienne est diabétique et cela notamment à cause d’une mauvaise habitude alimentaire. Une bonne partie de la population est en surpoids ou obèse. 

Mais ce ne serait pas populaire de monter sur un caisson de camion pour dire qu’il faut manger autrement. Les politiciens vont plutôt dire au public ce que les électeurs aiment entendre.

On a un Premier ministre très malin. Je ne serais pas étonné qu’avant les élections, la pension de vieillesse arrive à Rs 13 000 et ça touche 250 000 électeurs»

On a quand même vu beaucoup les gens protester durant l’année sur différents dossiers gérés par le gouvernement. Ce n’est pas un signe d’éveil ?
Sur les scandales financiers, je n’ai pas assez de données, pour être honnête. Je ne peux pas me prononcer dessus, mais ce que je sais, c’est que beaucoup de gens au pouvoir se servent de ce pouvoir pour remplir leurs poches. Et ce n’est pas quelque chose qui date d’aujourd’hui.

Quand on vous écoute, on a vraiment l’impression que vous êtes pessimiste quant à l’avenir. C’est le cas ?
Je suis très pessimiste, car on n’a personne qui peut guider le peuple vers un nouvel avenir. Les grands thèmes sur lesquels on devrait travailler n’intéressent personne. 

Dans le passé, les leaders politiques tels que sir Seewoosagur Ramgoolam et sir Gaëtan Duval croyaient dans une politique capitaliste à différents niveaux. Ce qui fait que notre économie a été construite autour de cela. Certes, Maurice s’est développé par rapport à la pauvreté qu’il y avait en ’67 et ’68. Ils ont donc pu amener un développement économique, mais qui aujourd’hui débouche sur le néolibéralisme incarné par Pravind Jugnauth. 

D’autres, tels que Paul Bérenger, sont aussi devenus néolibéraux. On n’a pas de dirigeants politiques qui viennent avec une vision claire et un langage clair pour mobiliser la masse.

On est donc tombé dans le clientélisme politique ?
C’est exactement ça. Et c’est ce qui contribue à me rendre tellement pessimiste. Ce clientélisme veut qu’on arrose les électeurs avec de l’argent pour avoir de l’argent. Ceux qui protestent contre ça vont-ils accepter de nouvelles pratiques politiques ? Je ne pense pas. L’argent fait tout. 
Ce qui est encore plus triste, c’est qu’en ’68, le pays était extrêmement divisé entre les communautés. Le pays était cassé en deux. Je croyais, et c’est pourquoi j’ai participé à la création du MMM, que notre objectif était de rassembler tout en respectant les religions et sensibilités, mais aussi de créer une culture supra-ethnique.

Si on utilisait le créole comme langue d’apprentissage et on introduisait l’anglais en second, on aurait une population vraiment lettrée en une génération»

Qui serait quoi ?
Je parle de créer une nation où tout le monde ressent qu’il a des valeurs fondamentales en commun. Je prends un exemple : la langue créole. Il est important de savoir que c’est la langue maternelle de 90 % de la population aujourd’hui. Pour les 10 % qui restent, c’est leur seconde langue. On a donc une valeur en commun. 

Cependant, le créole n’est pas une langue, mais une famille de langues. Il y a des centaines de types de créole. En Afrique du Sud par exemple, l’Afrikaans est un type de créole. Mais à Maurice, on traite notre langue comme un langage, et ensuite on ne lui donne pas le nom du pays. 

Partout ailleurs, ils ont donné un nom à leur créole. Par exemple, à Rodrigues, on l’appelle la langue Rodriguais. Ici, on ne veut pas appeler ça du mauricien. 

Si on utilisait le créole comme langue d’apprentissage et on introduisait l’anglais, qui est aussi une langue créole, en second, on aurait une population vraiment lettrée en une génération. Il faudrait faire du créole la langue nationale. On doit créer une culture nationale et ça va de pair avec une langue nationale qu’on doit appeler la langue mauricienne.

À Maurice, on est tous des immigrants. Personne ne peut se déclarer supérieur. À l’époque, certains appelaient Maurice la petite France. Aujourd’hui, certains l’appellent Little India, mais est-ce que ça va aider à créer une culture nationale ?

Le grand public se contente du peu qu’on lui donne. Le public ne criera que lorsqu’il n’aura pas à manger»

Vous insistez sur la création d’une culture nationale ?
Tout à fait. Pour les historiens et philosophes, Maurice est une terre créole, à l’instar des Seychelles et de La Réunion. La terre créole est un pays où il y avait toutes sortes de faune et de flore, mais pas d’humains. 

Lorsque ces derniers sont venus, ils ont changé complètement l’environnement. Les grandes forêts d’ébène ont disparu, les dodos ont disparu, tout comme les grandes étendues de mangliers. Les Hollandais ont introduit les cerfs de java et la canne, pas pour faire du sucre, mais pour produire de l’arrack. 

Maurice est peuplé par des immigrants sortis d’Afrique, d’Europe et d’Asie, et c’est pourquoi on appelle ça une terre créole. Créer une culture nationale devrait être une priorité. 

Plusieurs ingrédients sont déjà là. Je pense à notre langue à laquelle il faudrait donner le statut de langue nationale, mais aussi à notre gastronomie, qui est un métissage de ce que nos ancêtres ont apporté de chez eux. Il y a un gros travail pour créer ce dynamisme national, et ça prend du temps. 
Mais les politiciens sont intéressés par des moyens rapides pour avoir des votes. Pour créer cette culture nationale et supra-ethnique, il faudrait des politiciens qui doivent aussi être des éducateurs du peuple. Malheureusement, on n’en a pas.

 

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