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Déclin démocratique : Maurice face à un désenchantement croissant

Les résultats du sondage Afrobarometer ont été décortiqués pendant plus de deux heures.

Maurice figure parmi les trois pays africains, avec le Botswana et l’Afrique du Sud, où la satisfaction à l’égard de la démocratie a chuté. Moins de 40 % de la population est satisfaite de la démocratie. C’est ce qui ressort d’un rapport d’Afrobarometer publié la semaine dernière.

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La démocratie a été au centre des discussions lors d’un atelier de travail organisé par l’ambassade des États-Unis à Maurice, au Labourdonnais Waterfront Hotel à Port-Louis, le 23 juillet. Pendant plus de deux heures, les résultats de ce rapport ont été décortiqués par un panel d’experts en la matière. Parmi, il y avait la Professeure Susanna Wing des États-Unis, qui est expérimentée dans les domaines des élections, de la démocratie, des processus électoraux, de la désinformation, de la géopolitique et de la gouvernance. 

Pour elle, ce résultat indiquerait que la population estime que la démocratie ne fonctionne pas correctement et présenterait des lacunes importantes. « Ce constat pose un problème, car lorsque tant de gens remettent en question la démocratie, il est crucial que les partis politiques, y compris ceux qui sont au pouvoir, soient plus attentifs et réceptifs », estime-t-elle. Pour l’Américaine, l’idée qu’il y ait des restrictions sur les médias et sur l’accès à l’information représente un défi majeur pour le bon fonctionnement de la démocratie.

Toutefois, selon la professeure Susanna Wing, ces résultats ne visent pas exclusivement les politiciens au pouvoir, mais soulignent un problème systémique général. « L’insatisfaction de la population reflète un désir de choix authentique entre les différents blocs politiques, notamment sur des questions cruciales comme la démocratie », poursuit-elle. 

Le niveau « alarmant » de méconnaissance du système politique préoccupe Susanna Wing. Pour elle, il est essentiel que les citoyens soient éduqués pour pouvoir faire un choix éclairé entre les partis. « Les politiciens devraient être interrogés sur leurs principes idéologiques et sur les actions concrètes qu’ils prévoient de mettre en œuvre pendant leur mandat. C’est fondamental pour une démocratie fonctionnelle », ajoute-t-elle. 

Milan Meetarbhan : « la propagande est aussi mauvaise que la désinformation »

Milan Meetarbhan, constitutionnaliste, ne serait pas surpris par cette baisse de la satisfaction de la population à l’égard de la démocratie. Selon lui, ce résultat s’inscrit dans la continuité des tendances observées dans des rapports antérieurs comme celui de V-DEM. « Nous sommes en train de détruire ce que nous avons mis des années à construire. Le reconstruire sera un défi immense », affirme-t-il.

Pour cet observateur politique, il est crucial que la population réévalue sa compréhension de la démocratie. « Trop souvent, nous nous contentons de l’organisation d’élections, même si elles ne sont pas libres. Or, des élections régulières ne garantissent pas forcément la démocratie », déplore-t-il.

Le constitutionnaliste s’est également exprimé sur la prolifération des fake news, un problème majeur à travers le monde. Il dénonce aussi l’utilisation excessive des organes de presse publique par les partis au pouvoir. Selon lui, c’est ce qui conduit à une désinformation similaire à celle des fake news. « La propagande est aussi néfaste que la désinformation. »

Sheila Bunwaree : « L’illettrisme politique est au cœur des problèmes actuels »

Sheila Bunwaree, spécialiste de la gouvernance, de la démocratie et du genre, estime que « l’illettrisme politique est au cœur des problèmes actuels » à Maurice.

« Lors de discussions avec certaines parties de la population, notamment les femmes et les jeunes, il apparaît que leur compréhension de la politique se limite généralement à aller voter », constate-t-elle. 

Si elle se réjouit du taux de participation élevé de la population lors des élections, elle déplore cependant que de nombreux jeunes ne sachent pas pourquoi ils votent. 

Roukaya Kasenally : «c’est un appel urgent pour sauver notre démocratie»

Pour l’Associate Professor Roukaya Kasenally, ces résultats montrent une détérioration alarmante de la qualité de la démocratie et de la responsabilité démocratique. « C’est un sujet de préoccupation majeure, car Maurice a toujours été considéré comme un phare de la démocratie », dit-elle.

Selon la présidente de l’Electoral Institute of Sustainable Democracy in Africa, de sérieux problèmes ont été identifiés au niveau de l’indépendance des institutions responsables du contrôle et de l’équilibre de la gouvernance. 

« Nous avons également observé une tendance inquiétante. L’exécutif semble de moins en moins respecter l’État de droit, y compris les décisions des tribunaux et le rôle de l’Assemblée nationale. De plus, la corruption au sein de l’exécutif préoccupe de nombreux citoyens. Tous ces signaux d’alerte indiquent que nous devons agir avec plus d’attention et ne pas simplement prendre acte de la situation », fait-elle ressortir. 

Pour elle, l’érosion de la démocratie s’accélère et il est crucial d’adopter une approche collective impliquant les jeunes, les aînés, la société civile, les partis politiques, les universitaires et les médias. Il faut aborder ces problèmes et trouver des solutions. « Aujourd’hui, c’est un appel urgent à sauver notre démocratie, car il est bien plus difficile de restaurer une démocratie que de la détruire. Les partis politiques doivent interpréter la situation comme un signal d’alarme qu’ils ne doivent pas ignorer. S’ils tiennent réellement à la démocratie, ils doivent commencer à traiter sérieusement les problèmes mis en lumière par ce rapport », indique l’Associate Professor.

En chiffres…

Le sondage a été effectué sur un échantillon national représentatif de la population, comprenant 1 200 personnes interrogées de manière aléatoire.

  • 51 % estiment que le pays est une démocratie (contre 76 % en 2012).
  • 39 % se disent assez/très satisfaits du fonctionnement de la démocratie (contre 72 % en 2021).
  • 53 % déclarent que le chef d’État ignore rarement/jamais les lois, les tribunaux ou le parlement.
  • 17 % estiment que les députés écoutent souvent/toujours les citoyens, contre 21 % pour les conseillers locaux.
  • 55 % sont « certains » qu’il y a de la corruption au niveau de la primature.
  • 88 % se sentent (assez) libres de voter sans pression.
  • 70 % estiment être libres d’adhérer à une organisation politique de leur choix.
  • 64 % soutiennent être libres d’exprimer leur opinion.
  • 55 % pensent que les dernières élections étaient libres et transparentes.
  • 86 % pensent que les médias devraient être libres du contrôle du gouvernement.
  • 68 % soutiennent la compétition multipartite.
  • 64 % souhaitent une limitation des mandats.
  • 50 % estiment que la responsabilité du gouvernement est plus importante que l’efficacité.
  • 47 % pensent que l’armée ne devrait jamais intervenir en politique.
  • 91 % rejettent le régime de parti unique.
  • 90 % rejettent la dictature.
  • 77 % rejettent le régime militaire.
  • 66 % préfèrent la démocratie à tout autre système.
 

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