
Ils ont voté avec fierté, parfois dans l’incertitude, souvent avec émotion. Aujourd’hui, l’indifférence gagne du terrain. À l’heure où l’abstention explose, ces pionniers du suffrage rappellent que voter n’est pas un geste banal, mais un héritage à préserver.
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Ceux qui ont connu les premières élections dans les années 60 gardent encore à l’esprit l’impatience qu’ils ressentaient à l’idée de se rendre aux urnes, sans même savoir comment le scrutin allait se dérouler, ni comment voter concrètement. Mais ils savaient qu’il fallait voter.
Sheila Bappoo se remémore encore ces moments historiques. Elle accompagnait son père dans les meetings et autres congrès politiques : « À la maison, mon mari Raj, mon père et moi-même, nous discutions de politique. Je n’avais que 22 ans à l’époque. Mon père était un partisan, un ‘die hard’ du PTr, mais ce n’est pas pour autant que j’ai suivi ses affinités politiques. J’ai choisi ma propre voie et je me suis battue pour elle. »
Pour Sheila Bappoo, être militante ne signifie pas simplement adhérer à la philosophie d’un parti comme le MMM. « C’est avant tout militer pour la justice sociale, pour les sans-voix. Je dois rendre hommage à Shirin Aumeeruddy-Cziffra et à Vidula Nababsing. On nous vilipendait parce que nous étions des femmes qui militaient pour la cause féminine. Nous nous sommes battues contre la discrimination sexuelle envers les femmes », raconte-t-elle.
Elle confie une anecdote : « Quand j’avais proposé ce débat, SAJ (Sir Anerood Jugnauth) était étonné, mais il avait accepté qu’il soit porté au Parlement. Moi, une ministre du MSM, j’avais alors le soutien du MMM, pourtant dans l’opposition. »
C’est pour cela, insiste Sheila Bappoo, que le vote universel est si important.
« Les citoyens doivent aller voter, quelle que soit leur affiliation politique. C’est à la fois leur devoir et leur droit. »
L’ancienne ministre déplore que les jeunes ne s’intéressent pas davantage à la politique. Sheila Bappoo explique : « Quand le gouvernement sortant a décidé de couper les réseaux sociaux et Internet, les premiers à réagir ont été les jeunes. Ils se sont mobilisés et sont sortis en force pour condamner le régime du MSM. On ne peut plus imposer à la jeune génération ce que nous voulons. Ils réfléchissent, jaugent et agissent selon leur conscience. Regardez les résultats de novembre 2024 : ce sont eux qui ont fait basculer le gouvernement. »
Si pour les jeunes, ce sont les réseaux sociaux qui peuvent influencer leur opinion, pour Sheila Bappoo, c’était la radio et les journaux, « et surtout cette volonté d’obtenir notre indépendance ». D’ailleurs, lance-t-elle, « je n’ai aucun regret d’avoir voté pour notre indépendance ».
« Le vote utile est essentiel »
Eliézer François, lui, a été projeté dans l’arène politique pour des raisons personnelles et familiales. Cet ancien ministre du Logement se souvient encore comment sa famille a été dépossédée de ses biens. « Le gouvernement d’alors nous a pris notre terrain et notre maison six mois après la mort de mon père pour la construction de l’autoroute qui mène au Caudan, sans jamais nous offrir de compensation. C’est ce qui m’a poussé à faire de la politique active avec trois camarades », dont Joseph Tsang Mang Kin. « En 1963, j’étais candidat sous la bannière d’un parti dont le logo était une bougie. »
Enseignant de formation, il suivait l’actualité politique par intérêt personnel. Il se rappelle que dans sa jeunesse, « on discutait politique au Marché aux Fleurs, à La Butte, dans les kiosques, aux foires, chez le coiffeur du coin, puis lors des meetings publics que j’organisais. C’était de bonne guerre ».
Il a voté pour la première fois en mars 1963 : « C’était un moment formidable en tant que citoyen. » À la question de savoir si ce premier vote a influencé son engagement politique actif, il répond : « En fait, je voulais rétablir une certaine justice envers mes proches. Je crois au pouvoir du vote pour apporter des changements concrets dans la vie des citoyens. »
Le vote est-il vraiment important ? « Bien sûr. Si quelqu’un ne vote pas, comment pourrait-il critiquer ensuite ? Le vote est un devoir sacré. Voter, c’est dire oui au gouvernement en place ou lui dire non. Le vote décide de tout », affirme Eliézer François.
Que dit-il aux jeunes qui boudent la politique ? « Ils se doivent de s’y intéresser. À mon époque, c’était les journaux et les meetings privés qui façonnaient le paysage politique. Aujourd’hui, il y a les réseaux sociaux et d’autres moyens de communication. Les jeunes devraient les utiliser au maximum, même s’ils n’aiment pas lire les journaux ou écouter les informations. La politique est essentielle dans la vie quotidienne », insiste Eliézer François.
Pour un vote obligatoire
Très actif au sein de l’ONG Democracy Watch, Michael Atchia se souvient encore de son tout premier bulletin glissé dans l’urne en 1968. « Le vote représente pour moi un acte solennel. Quand il fallait aller voter dans les années 60, on ressentait une frayeur palpable. Il fallait bien s’habiller. Mais après, pour le vote sur l’indépendance, chacun s’habillait comme il pouvait. C’est un phénomène historique », confie Michael Atchia.
Il explique que son intérêt pour la politique est né avec la création du Majority Party, mené par son épouse : « C’est à cette époque que je me suis intéressé à la politique active, même si cette initiative n’a pas abouti. »
Michael Atchia ajoute que, tout jeune, il aspirait à un pays moderne et idéal : « J’étais enseignant au QEC et, entre collègues, nous discutions politique en bons termes, exprimant nos préférences politiques sans aucune crainte. Je leur disais que j’allais voter pour notre indépendance. »
Son vote lui a-t-il donné l’espoir d’un changement positif pour le pays ? « J’espérais que mon vote allait contribuer, avec celui d’autres citoyens, à construire une nation plurielle. »
Il est d’avis qu’il faut légiférer pour obliger les citoyens à voter, sous peine d’amende. « Le vote devrait être obligatoire, comme en Australie et ailleurs, car c’est à la fois un devoir et un droit acquis. »
Préserver la démocratie
Même son de cloche chez Alain Laridon. Le pays s’est battu pour le concept de « one man, one vote », alors pourquoi bouder les urnes ? Il préconise l’obligation pour les citoyens d’aller voter, sous peine de sanction. Candidat du MMMSP de feu Dev Virahsawmy dans la circonscription n°1 en 1976, l’ancien ambassadeur de Maurice au Mozambique et actuellement proche des Rouges, est catégorique : il faut contraindre les citoyens à se rendre aux urnes.
« Le suffrage universel est important, car peu de pays en bénéficient, et notre avantage est qu’il se déroule dans le respect des adversaires. C’est un acte de foi envers le pays. Notre Constitution stipule que les élections législatives doivent obligatoirement se tenir tous les cinq ans, garantissant ainsi notre démocratie vivante. Et pourtant, certains citoyens ne vont pas voter ? Je le répète, il faut légiférer et rendre le vote obligatoire pour tous les citoyens éligibles, comme cela se fait en Australie et ailleurs. »
Pour Alain Laridon, un vote fait ou défait un gouvernement : « Si on veut un gouvernement pour nous diriger, ce n’est qu’à travers le vote qu’on peut l’obtenir, et non en restant chez soi. »
Quels ont été les éléments clés qui l’ont poussé vers la politique active ? Sa réponse : « Ce sont principalement les journaux, les deux quotidiens majeurs, l’un favorable au PTr et l’autre au PMSD. Tous deux avaient un tirage important et exerçaient une influence certaine sur l’électorat. »
Et son message aux jeunes qui désertent les urnes ? « Voter est un droit démocratique et c’est un impératif », conclut Alain Laridon.

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