Créée le 27 novembre 1983, l’Adsu est-elle aujourd’hui à bout de souffle ? Ouvertement critiquée dans le rapport de l’ancien juge Paul Lam Shang Leen, dans la commission d’enquête sur la drogue, l’avenir de cette unité est remise en cause.
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Le démantèlement de l’Anti-Drug Smuggling Unit (Adu) figure parmi les recommandations-phares du rapport de la commission d’enquête sur la drogue. Les critiques à l’encontre de cette unité n’ont pas manqué. Dès le chapitre 11.1.2, le rapport Lam Shang Leen pointe du doigt le processus de recrutement des officiers de l’unité antidrogue. « There is no selection panel », fait ressortir le rapport.
La commission indique qu’il incombe aux officiers de l’Adsu de soumettre une liste de noms susceptibles d’intégrer l’équipe. Ceux qui seront choisis n’ont par la suite droit qu’à une semaine de formation. « The recruit receives training and acquires experience on the job.» Une pratique loin d'être saluée par la commission qui considère cela comme étant un gros manquement avec, pour conséquences, l'incapacité des officiers de l'Adsu à s'adapter aux nouvelles techniques des trafiquants.
L'ancien inspecteur de la Major Crimes Investigation Team (MCIT), Ranjit Jhokoo, qui a fait partie de la toute première équipe de l'Adsu en novembre 1983, raconte que cela n'a pourtant pas toujours été le cas. Concernant le processus de recrutement, il affirme que ce sont les meilleurs éléments de différentes unités de la police qui étaient appelés à se joindre aux forces de l'Adsu. « Il fallait d'abord passer par une interview et l'on faisait appel aux policiers qui avaient déjà fait leurs preuves dans leurs unités respectives. »
L'ancien inspecteur ajoute qu'à cette époque, l'Adsu tombait sous la responsabilité de l'ancien directeur de la National Information Unit (NIU) aujourd'hui rebaptisée National Security Services (NSS). « Il n'était pas particulièrement impliqué dans le ‘day to day business’. C'était l'assistant-surintendant qui était le plus impliqué au niveau de la supervision de nos opérations. » Il explique que c'est lorsque l'héroïne a fait surface à Maurice que le fonctionnement de l'Adsu a été revu. Puis, il y a eu l'affaire ‘Amsterdam Boys’, en décembre 1985 qui a conduit à l'arrestation des députés Dev Kim Currun, Serge Thomas, Ismaël Nawoor et Sattyanand Pelladoah. Ce dernier avait dans sa valise 20 kilos d'héroïne.
Remplacer l'Adsu par un nouvel effectif n'est pas une bonne idée.
Survient une réorganisation totale de l'Adsu. « Plusieurs bureaux de l'Adsu ont été créés dans différents districts du pays », relate l'ancien inspecteur. Une nouvelle stratégie qui ne s'est pas avérée gagnante, selon notre interlocuteur qui soutient que cela a depuis fait de l'Adsu un "garage politique". Cette refonte de l'Adsu, dit-il, a laissé place à un manque de rigueur, précisément au niveau du mode de recrutement. « Les politiciens ont commencé à avoir la mainmise et n'hésitaient pas à caser leurs partisans « koler lafis » dans l'Adsu et forcément l'efficacité des officiers n'était plus pareil. »
Le processus de sélection pour intégrer l'Adsu est considéré comme « totally unsatisfactory', selon le rapport de la commission d'enquête sur la drogue. Car il encourage un 'system of clique which as the Head of the ADSU has stated that officers work in closely linked teams and thus difficulty of rotations of officers and the integration of new comers in a team. This practice leads to a complete absence of denunciation of sleazy fellow colleagues ».
Ranjit Jhokoo abonde aussi dans le même sens. « Un officier ne peut faire carrière à l'Adsu du fait que d’être constamment exposé aux trafiquants de drogue risque d’être un élément de tentation pour bon nombre qui peuvent, sur le long terme, se laisser corrompre. Ceux qui sont à la tête des réseaux de drogue tentent par tous les moyens d'infiltrer l'unité anti-drogue contre des faveurs financières. D'où l'importance de constamment renouveler les effectifs. »
L’autre importante faiblesse relevée par la commission concerne le fonctionnement de l'Adsu et de l'absence de récompense aux informateurs des officiers de l'Adsu. Une pratique qui a, en fait, été supprimée. La commission fait ressortir que les informateurs sont des maillons essentiels pour les officiers de l'Adsu, mais pas gratuits. « In the absence of a reward fund, the investigating officers find it difficult to obtain cogent information. The commission was told that the officers had to pay from their pocket. »
Ranjit Jhokoo avance que les policiers n'ont pas accès à tous les milieux. Ce qui fait qu'un département comme l'Adsu ne peut fonctionner proprement sans avoir à sa disposition un bon réseau de renseignements. L'ancien inspecteur indique qu’il faut du temps pour convaincre une personne à donner des informations fiables. "Afin d'obtenir une bonne information, il faut payer, car il faut savoir qu'un informateur s'expose à d'importants risques dont celui de mort d'homme."
L'ancien Drug Commissionner, Ajay Dabee, estime que le fonctionnement de l'Adsu ne doit pas être totalement remis en question, car cette unité est le début d'un organisme. Selon lui, l'Adsu doit évoluer sous une nouvelle structure. « Il y a encore du travail à faire pour que cet organisme soit en phase avec les nouvelles réalités du combat contre la drogue, dit-il. Dans les prochaines années, l'Adsu va devoir devenir un Narcotic Bureau. La redevabilité de ce département et son indépendance devront être semblables à ce que prévoit la POCA (loi anti-corruption). Ce bureau aura pour charge de faire des arrestations, mener leurs enquêtes et préparer les dossiers de la poursuite. Il va sans dire qu'il faut qu'il dispose de son propre tribunal de drogue. »
Un ancien haut gradé de l'Adsu, qui compte plusieurs années de service, renchérit : « La restructuration de l'Adsu est impérative », clame-t-il, mais cela ne remet pas en question l'efficacité et l'intégrité de plusieurs officiers de l'Adsu. Il faut « une consolidation des équipes existantes de l'Adsu en attachant au moins un chef-inspecteur dans chacune de ces équipes. » Selon la commission d'enquête, il est important aussi d'augmenter le personnel de l'Adsu qui est actuellement composé de 342 officiers.
« Remplacer l'Adsu par un nouvel effectif n'est pas une bonne idée, ajoute l’ancien haut gradé de cette unité. Qui pourra remplacer l'ADSU avec l’expérience et le mécanisme existants ? Il n'y a pas d’autres unités ou agences qui seront mieux placées pour combattre le trafic de drogue. » Quant aux officiers de l'Adsu cités dans le rapport Lam Shang Leen, il soutient que cela ne doit pas remettre en question l'intégrité de toute la brigade anti-drogue.
Qu'en est-il de la participation de la Customs Anti-Narcotics Section (CANS) dans le combat contre la drogue et les saisies ? Cet ancien de la brigade antidrogue salue le travail de la douane. Il plaide cependant pour une coopération entre cette section et l'Adsu, qui profitera au pays. Il estime qu'il faut tirer une ligne de démarcation, notamment au port mais concernant l’aéroport, surtout lorsqu'il s'agit des passeurs de drogue, ces enquêtes et les ‘controlled delivery’ doivent être exclusivement menées par l'Adsu. Il faut, selon lui, du savoir-faire pour mener de telles opérations et c'est l'Adsu qui dispose de cette expertise.
L’ancien haut gradé se souvient d'une opération de ‘controlled delivery’ dans le Nord du pays, il y a quelques années. « Ban douanier ti accompagne l'Adsu dans sa lexercice la et zot ti pe aprann. » Évoquant la thèse de conflit entres les deux entités, (Ndlr : Adsu et la CANS), il affirme : « Il n’y a aucun conflit et ceux qui pensent que c'est le cas ne connaissent pas les réalités du terrain. »
Un haut cadre de la Mauritius Revenue Authority (MRA), qui se dit conscient des critiques qui pleuvent contre la Custom Anti-Narcotics Sections (CANS), se défend. « On aura beau mettre en exergue le manque d'expérience et d'expertise mais les résultats concernant nos performances sont là. Les chiffres peuvent en témoigner. » S'appuyant sur le dernier rapport annuel de la MRA pour 2017, il précise que Rs 2 milliards de drogue ont été saisies.
On remarque d’emblée que l’héroïne est en pole position avec une valeur marchande de Rs 2,6 milliards, comparé à Rs 91 millions en 2016. Une valeur marchande de Rs 30,3 millions de cannabis a aussi été saisie en 2017, comparé à Rs 1,5 million en 2016. Une valeur marchande de Rs 8 M de haschisch a été saisie contre Rs 1,5 million pour l’année précédente. Parmi les autres types de produits narcotiques saisis par la MRA, l’on note des substances psychotropes (Rs 515,100), de la cocaïne (Rs 19,2 millions), des 'synthetic cannabinoids' (Rs 3,4 millions) et des graines de cannabis (Rs 11,100). « Nous sommes néanmoins d'avis qu'il faut mettre en place un protocole de collaboration dans l'intérêt du pays, mais tout doit être fait dans le dialogue et le respect mutuel », dit-il.
Quand le PM félicite l'Adsu et le DCP Bhojoo
« Mo dir felisitasyon l’Adsu. Mo kone ki travay pe fer. Il y a des policiers honnêtes et je dis au DCP Bhojoo que je lui fais confiance ainsi qu’aux autres qui font leur travail et qui mettent leur vie à risque », a dit le Premier ministre (PM) Pravind Jugnauth. Une déclaration qui a fait grand bruit, car bien que la commission ait énuméré une série de critiques contre le fonctionnement de l'Adsu, le PM a, lui, décidé de féliciter cette brigade publiquement. L'ancien inspecteur, Ranjit Jokhoo, soutient que ces félicitations n'ont rien d'étonnant. « Le DCP Bhojoo est un homme de valeur qui fait de son mieux pour abattre un bon travail, affirme-t-il. Il est vrai que plusieurs officiers de l'Adsu ont très souvent mal agi mais l'on ne peut tout imputer au responsable de cette brigade. »
La drogue synthétique gagne du terrain
Une bonne variété de drogue est actuellement en circulation sur le territoire mauricien. Parmi les drogues les plus prisées par les consommateurs : le gandia et l’héroïne. Toutefois, depuis 2013 et, selon les travailleurs sociaux, la drogue synthétique fait des ravages dans la société. Outre le Subutex, le haschisch, la cocaïne et les psychotropes sont privilégiés par les toxicomanes.
Le gandia, selon la brigade anti-drogue, est vendu par « pouliah » de 300 mg entre Rs 200 et Rs 300. Un gramme de gandia peut s’acheter entre Rs 600 et Rs 1 000, une plante à Rs 3,000 et une semence à Rs 100.
L’héroïne se vend par dose de 10 à 16 mg dans le pays. Selon l’Adsu, la dose est achetée à Rs 200 alors qu’un gramme est à Rs 15 000 et un kilo de cette poudre blanche est estimée à Rs 15 millions.
Le Subutex est importé de la France ou de La Réunion. 1/8 de la tablette se vend à Rs 300, alors que la tablette complète est à Rs 2 400. Ces dernières années, la brigade des stupéfiants a saisi des psychotropes, de l’opium, de l’ectasie et de la cocaïne. Quant au haschisch, la valeur marchande par pouliah de 200 mg à Rs 600 et un gramme à Rs 3 000, tandis que le kilo est estimé à Rs 3 millions.
L’Adsu mène une lutte sans merci contre la drogue synthétique qui ne cesse de prendre de l’ampleur depuis 2013. Selon le rapport de la commission d’enquête, il y a eu plusieurs cas fatals, surtout chez les jeunes, en raison de cette drogue. Parmi les drogues synthétiques les plus prisées par le rajeunissement du consommateur, on dénombre les C’est pas bien', Salvia, Strawberry, Elie and Sons, 113, 114, Volcano, Black Mamba et Ben Laden, entre autres. Un pouliah de la drogue synthétique est vendu entre Rs 100 et Rs 300, un gramme à Rs 1 500 et le kilo à Rs 1,5 million.
Me Madan Dulloo : «Il y a des failles et des manquements dans ce rapport»
Il avait présidé un 'Select Committee' sur la drogue dans les années 80. Me Madan Dulloo émet des réserves sur le rapport de la commission d’enquête sur la drogue, présidée par l’ancien juge Paul Lam Shang Leen. Selon lui, le rapport aurait dû couvrir toutes les ‘terms of reference’ attribuées. « Cette commission a révélé plusieurs choses que la majorité de la population connaît. Il y a des failles et des manquements dans ce rapport et certaines enquêtes n’ont pas été faites en bonne et due forme. »
Madan Dulloo est d’avis qu’il ne faut ni démanteler l’Adsu, ni la Custom Anti-Narcotics Unit (CANS) de la douane. « Nous ne pouvons avoir recours qu’à un changement d’appellation. Nous ne pouvons enquêter sur une enquête. Il faut agir rapidement face à la propagation de la drogue. En remettant en question toutes les institutions, c’est quasiment un ‘back to square one’. Les autorités doivent faire vite ! »
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