Interview

Charge provisoire - Me Kailash Trilochun: «Les plus grands responsables sont les politiciens»

Me Kailash Trilochun
Le programme gouvernemental 2015-2019 cite l’introduction d’une législation moderne, prenant exemple sur la Police and Criminal Evidence Act britannique, pour éliminer le côté abusif et arbitraire du système présent des charges provisoires. Que signifie charge provisoire ? La charge provisoire est une pratique à laquelle la police a recours pour traduire un prévenu devant une cour de district. La police peut alors objecter ou non à la remise en liberté du prévenu. Dans les deux cas, c’est au magistrat de fixer les conditions relatives à la libération du prévenu. Il est bon de rappeler que, dans la grande majorité des cas, la police demande à ce que le prévenu soit sous le coup d’une interdiction de quitter le pays. Une pratique que je considère illégale. La police doit, au préalable, fournir des raisons valables pour soutenir une telle demande. Malheureusement, tel n’est pas le cas.
Sur quels éléments la police se base-t-elle pour loger une charge provisoire contre un individu ? Aucune loi à Maurice ne fait mention de l’existence de la charge provisoire. D’ailleurs, j’ai questionné la légalité de cette pratique dès ma première semaine au barreau mauricien. Certains de mes collègues se sont moqués de moi. Cela avait même fait sourciller certains magistrats qui pensaient peut-être que je disais une bêtise. J’ai même soulevé la question avec des politiciens, mais ceux-ci ne m’ont pas prêté une oreille attentive. Je vous dis que plus d’une fois, j’ai pu empêcher qu’une charge provisoire soit logée contre mon client en faisant une motion en ce sens devant une Cour de Justice.
[blockquote]« La loi protège déjà les citoyens de ce pays contre des arrestations arbitraires, mais elle n’est pas respectée par ceux qui sont supposés l’appliquer »[/blockquote]
La vérité est que la charge provisoire réside sur aucun fondement légal. D’ailleurs, je suis étonné à chaque fois que le bureau du Directeur des poursuites publiques fait mention du jugement ‘Gordon-Gentil and Ors v State of Mauritius and Anor’. Le bureau du DPP croit que ce jugement donne à la charge provisoire sa raison d’être dans la loi. Il n’y a rien de plus faux. La police ainsi que le bureau du DPP, ignorant les circonstances dans lesquelles une personne peut être arrêtée sans un mandat d’arrêt et quelles sont les procédures à respecter. Certains estiment que l’introduction d’un Police and Criminal Evidence Act (PACE) devrait surmonter les problèmes liés aux charges provisoires… Pensez-vous que l’introduction d’une loi va résoudre le problème. Il faut mettre de côté les attitudes du passé et cette croyance que la situation est aussi simpliste. La PACE n’est pas une baguette magique. D’ailleurs, la loi protège déjà les citoyens de ce pays contre des arrestations arbitraires, mais elle n’est pas respectée par ceux qui sont supposés l’appliquer. Nous devons reconnaître avant tout que nous nous sommes trompés sur toute la ligne, lorsque nous parlons de réforme. En parlant de réforme, les procédures pénales, qui datent pour beaucoup du XIXe siècle, sont archaïques. Il faut une réforme en profondeur pour que la justice ne soit pas qu’un vain mot. La charge provisoire reste, néanmoins, un rempart contre les arrestations arbitraires, car la police est tenue de présenter un prévenu devant une Cour de Justice dans un délai prescrit par la loi. Pensez-vous que les critiques contre les charges provisoires sont justifiées ? Comme je viens de le dire plus haut, il y a des lois qui protègent le citoyen contre des arrestations arbitraires. Malheureusement, elles ne sont pas respectées par ceux qui sont supposés les appliquer dans l’intérêt de tout un chacun. La cour a également une part de responsabilité, car elle peut toujours rayer une charge provisoire si elle considère qu’il n’y a pas de preuves raisonnables contre un prévenu. N’est-il pas injuste de s’attaquer uniquement à la police, alors que la cour peut intervenir pour empêcher des abus ? Chacun a sa part de responsabilité. Mais, il est important de souligner que les magistrats travaillent dans des conditions très difficiles. Le nombre de cas qui sont présentés devant eux chaque jour est en lui-même un déni de justice. Il est difficile de blâmer une personne ou une institution en particulier. Je peux vous dire que les plus grands responsables sont les politiciens qui sont élus par le peuple et qui sont payés avec l’argent des contribuables. Malheureusement, ils  ne font rien pour apporter des changements structurels.
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