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Changement climatique : petit à petit, Maurice sombre

Le village de Rivière-des-Galets est le premier endroit de Maurice où des familles devront être déplacées à cause des effets du réchauffement climatique. Les plages de sable fin, comme ici au Morne, pourraient disparaître d’ici une cinquantaine d’années. Le front de mer de Case-Noyale a été modifié et la plage sacrifiée pour des infrastructures en dur afin de protéger les habitants. Des travaux ont été effectués sur une partie de la plage de Trou-aux-Biches dans l’espoir d’atténuer l’érosion.

Dans le monde, seuls les plus sceptiques doutent du fait que les intempéries et autres catastrophes naturelles vont se multiplier. Montée des eaux, sécheresses extrêmes, canicules, pluies diluviennes, inondations… Maurice n’y échappe certainement pas. Selon le Climate Vulnerability Index Ranking, Maurice est le 46e pays le plus menacé de la planète. Sommes-nous suffisamment armés pour y faire face ?

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Plus qu’ailleurs, Maurice coule. Avec la hausse des températures dans le monde, qui provoque la fonte des glaciers, le niveau de la mer augmente de plus en plus. 

« Nous expérimentons une hausse dans la température de l’air de 1,4 degré Celsius. La montée du niveau de la mer se poursuit au rythme accéléré de 5,6 mm par an. Ces chiffres excèdent les moyennes globales de 1,1 degré Celsius pour la température et de 3,4 mm annuellement pour le niveau de la mer », affirme Kavy Ramano. C’était lors d’un récent atelier de travail. À Rodrigues, on parle de 9 millimètres par an, alors que la moyenne globale est de 3,3 mm par an.

Selon le ministère de l’Environnement, avec l’accélération du phénomène, la mer devrait s’élever de 49 centimètres d’ici 2100. Le 9 décembre dernier, le Premier ministre Pravind Jugnauth, lors de son discours d’ouverture à l’African Economic Conference, à l’hôtel Intercontinental, Balaclava, devait affirmer : « dans certains endroits, l’érosion a réduit la largeur de la plage de 20 mètres sur la dernière décennie. La montée du niveau de la mer impacte nos plages qui sont vitales pour notre industrie touristique, le pilier majeur de notre économie. »

Et de prédire : « l’impact grandissant du changement climatique devrait augmenter l’intensité et la fréquence des cyclones, les pluies torrentielles et les flash floods, des vagues anormales, des sécheresses et des inondations. Cela affectera la vie des gens, les écosystèmes et l’économie. » Il y a donc urgence en la demeure.

Sans plages, que deviendra le paradis touristique mauricien si ce n’est un désert affligeant ? Le gouvernement mauricien affirme sortir l’artillerie lourde pour mitiger les effets et pour s’adapter. Un National Climate Change Mitigation Strategy and Action Plan a été élaboré pour établir les priorités nationales de développements pour une facture totale estimée à 2,7 milliards US$ (Rs 118 milliards, selon le taux de change du jour). Un Climate Change Act est en vigueur depuis avril 2021 et la Banque de Maurice a mis sur pied un Climate Change Centre la même année pour analyser, mesurer, gérer et essayer d’atténuer les risques liés au changement climatique.

« Il ne faut plus se leurrer »

Le document mauricien, présenté en marge de la COP26, tenue en 2021 en Écosse, propose un chiffre différent. Maurice y indique avoir besoin d’environ Rs 284 milliards sur dix ans pour atténuer les effets et s’adapter au changement climatique. De cette somme, le gouvernement espère lever Rs 180 milliards auprès de donateurs à l’international. Le reste serait financé localement, souhaite le gouvernement. En d’autres mots, Maurice estime avoir besoin de Rs 28 milliards par an pour protéger sa population et son environnement des effets dévastateurs du changement climatique.

« Nous tournons en boucle sur les solutions si nécessaires mais si lentes à trouver. Il ne faut plus se leurrer. Sachez que les fonds attendus pourront être déboursés pour le financement des projets si seulement ces derniers sont crédibles, convaincants et bien ficelés, selon les normes internationales », indique le député travailliste Osman Mahomed dans une lettre ouverte aux Mauriciens à la fin de l’année dernière. 

« Je me demande s’il y a un/e département/unité avec des officiers dédiés qui travaillent sur cette importante démarche car, au fil des années, les officiers ont beaucoup bénéficié en termes de capacity building, que ce soit localement ou internationalement. Il est temps de mettre toute cette connaissance acquise au sein de la fonction publique au service du pays. Il est aussi grand temps que la diplomatie climatique se mette en marche dans l’intérêt supérieur du pays », devait-il ajouter.

Au niveau du gouvernement, on souligne que beaucoup de mesures sont prises, que 150 millions USD (Rs 3,4 milliards) ont été investies sur ces cinq dernières années pour soutenir le « climate agenda ». Maurice s’est déjà fixé plusieurs objectifs dans la lutte contre le changement climatique. Dans ses Nationally Determined Contributions (NDC), Maurice s’est mis comme objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre par 40 %, de produire 60 % de son électricité avec des énergies vertes et de financer 35 % des coûts pour son action climatique par du financement domestique public et privé. 

Dans les NDC de 2021 qui tombent sous l’United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC), les autorités ont aussi fixé des objectifs ambitieux pour soutenir l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. En matière d’atténuation, les principaux objectifs d’ici à 2030 sont de réduire de 40 % les émissions globales de gaz à effet de serre, de porter à 60 % la part de la production d’énergie provenant de sources vertes, d’éliminer progressivement l’utilisation du charbon et d’accroître l’efficacité énergétique de 10 % par rapport à 2019. 

Pour ce qui est de l’adaptation, les principaux objectifs sont d’élargir la base de connaissances sur les risques liés au changement climatique et leur impact sur les communautés, et d’accroître la résilience des activités humaines en améliorant la gouvernance et en renforçant la préparation et la réponse aux catastrophes, notamment pour les infrastructures.

Résilience climatique : Maurice 56e sur 180 pays

Selon une étude publiée par Henley & Partners en mai dernier, Maurice est, avec 39,1 sur 100 points, 56e sur 180 pays en ce qui concerne la résilience climatique, soit le niveau de préparation du pays pour combattre les effets du changement climatique. Cette étude analyse la capacité économique d’un pays à s’adapter et protéger sa population contre les effets néfastes du changement climatique. Maurice tombe ainsi dans la catégorie des pays qui ont une résilience faible.

Il est estimé que 18 000 habitants de zones côtières du pays pourraient être obligés de migrer vers l’intérieur du pays à cause de la montée des eaux. Rivière-des-Galets en est un exemple concret. Des travaux d’envergure ont dû être réalisés dans ce village du Sud afin de minimiser l’érosion et protéger les habitants des grosses houles. Malgré cela, plusieurs dizaines de familles devraient être contraintes de déménager à cause du risque élevé.

Des travaux ont déjà dû être entrepris à Mont-Choisy, Grand-Baie, Calodyne, Trou-aux-Biches, Case-Noyale, pour ne citer que ces endroits-là, dans le combat contre l’érosion côtière. Parfois, cela a été fait au prix de la plage, comme à Grand-Baie, où des dizaines de mètres ont été remplacés par du béton et des rochers.

Lutte contre les catastrophes climatiques

Maurice a besoin de Rs 284 milliards pour se préparer d’ici 2030

D’ici 2030, Maurice aura besoin de 2 milliards USD (Rs 196,6 milliards) pour mettre en œuvre des mesures d’atténuation et de Rs 4,5 milliards USD (Rs 87,4 milliards) pour des mesures d’adaptation afin de lutter contre les conditions extrêmes provoquées par le changement climatique. C’est l’estimation faite par le Fonds monétaire international (FMI) dans son dernier Selected Issues Paper on Mauritius, publié le 20 juillet dernier. Cela donne un total de Rs 284 milliards.

Selon l’étude faite par le FMI, neuf ménages mauriciens sur 10 sont au courant du changement climatique. La majorité est d’accord pour dire que c’est une menace et cela, entre autres, pour la sécurité alimentaire et hydrique.

Maurice est déjà exposée avec des sécheresses récurrentes, des pluies diluviennes et la montée du niveau d’eau de mer. Selon le FMI, si Maurice ne prend pas des mesures fermes pour se protéger, cela pourrait être la catastrophe. Et elle estime que le pays n’investit pas suffisamment.

Dans son rapport, la FMI indique que Maurice devrait mettre 3,6 % de son Produit intérieur brut (PIB) dans des mesures d’adaptation pour atteindre les objectifs de 2030. Or, pour l’instant, le chiffre n’est que de 2 %.

Si Maurice n’a pas suffisamment d’argent disponible, elle doit se tourner vers l’étranger, estime le FMI. « Compte tenu de la marge de manœuvre budgétaire limitée de Maurice et de sa vulnérabilité élevée face à la dette, il faudra combiner subventions et prêts concessionnels pour combler ce déficit », souligne l’institution.

Mais pour accéder aux fonds climatiques mondiaux et aux instruments de dette liés au climat, tels que les obligations vertes, des réformes s’imposent au niveau du gouvernement.

Par exemple, les règles régissant la gestion des investissements publics doivent être renforcées et des règlements spécifiques doivent être élaborés pour une meilleure planification et coordination de projets d’investissements liés au climat.

Le National Disaster Risk Reduction and Management Centre : «Des mesures structurelles et non-structurelles appliquées»

Au niveau du National Disaster Risk Reduction and Management Centre (NDRMC), on avance que des « mesures structurelles et non-structurelles sont en train d’être mises en œuvre par les autorités afin de faire face aux conditions météorologiques extrêmes ». 

« Le ministère des Infrastructures nationales a déjà procédé à la réalisation d’un bon nombre de drains et autres conduits d’évacuation d’eau lors des averses », fait-on comprendre. Les autorités mènent actuellement des campagnes de sensibilisation à travers le pays, poursuit-on. « La Land Drainage Authority se charge également de construire des drains et procède au rehaussage des ponts, entre autres, dans diverses zones du pays. » 
Quid des mesures non-structurelles ? « Le ministère des Collectivités locales, en collaboration avec le NDRMC, organise des Community Disaster Response Programmes afin de préparer les habitants domiciliés dans les régions vulnérables au changement climatique », souligne-t-on.

Les services météorologiques de Vacoas : «Le système d’alerte sera amélioré»

Des préposés basés aux services météorologiques de Vacoas soulignent que le système d’alerte est actuellement revisité. « Le Conseil des ministres a d’ailleurs avalisé le nouveau système. Nous allons ainsi travailler dans un cadre légal. Le système d’alerte sera sujet à des améliorations au fil du temps », fait-on comprendre. 

Autre mesure qui sera introduite : un bulletin d’avis de sécurité en français qui sera émis lorsque les alertes cycloniques seront levées.  

Questions à…Subiraj Sok Appadu, ancien directeur des services météorologiques de Vacoas : «Il faut une communication simple entre la Météo et la population»

sokL’ancien directeur des services météorologiques de Vacoas, Subiraj Sok Appadu, est d’avis que les autorités doivent mener une campagne explicative sur les nouvelles conditions météorologiques extrêmes auxquelles le pays pourrait faire face.

Subiraj Sok Appadu, en tant qu’ancien directeur des services météorologiques, que comprenez-vous par des conditions météorologiques extrêmes ?
Bonne question. Kiete sa ? Mo pa kone mwa. On parle de conditions météorologiques extrêmes. Mais dans quel sens ?

On comprend que l’on aura plus d’averses, le temps sera plus venteux, entre autres…
Maurice a-t-il été témoin d’un taux de pluviométrie très élevé et d’un temps très venteux ? L’important, à mon avis, est de définir à quel genre de conditions extrêmes on doit s’attendre à l’avenir. Quand, par exemple, on parle de sécheresse, il est important de préciser à quel genre de sécheresse nous aurons affaire. Cela va de soi pour les nouvelles conditions météorologiques.

À votre avis, quelles sont les précautions qui doivent être prises afin de faire face à ces nouvelles conditions météorologiques ?
Notre système d’alerte est déjà pourvu d’une liste de précautions qui doivent être prises en cas de situation extrême.

Mais ce genre de situation fait peur tout de même…
Pourquoi devrait-on avoir peur ? Bien au contraire. Nous devons nous en réjouir afin de pouvoir prendre les précautions qui s’imposent. Écoutez, dans la pratique, il y a diverses étapes à franchir avant l’émission d’une alerte cyclonique. Les techniciens des services météorologiques de Vacoas savent qu’ils doivent y penser à deux fois. C’est d’ailleurs le protocole.

L’important est de définir à quel genre de conditions extrêmes on doit s’attendre à l’avenir»

Votre avis sur le système d’alerte cyclonique à six niveaux ?
L’alerte cyclonique de niveau 6 permettra d’éclairer la population. Des vies seront épargnées et des propriétés sauvegardées. 

Quelles autres mesures de précaution devraient être introduites, selon vous ?
Il faut un système de communication très simple entre les préposés des services d’alerte et la population. Les autorités doivent également songer à mener une campagne explicative dans les écoles primaires. 

Les enfants doivent être mis au courant des conditions météorologiques. Comme une marée haute, une marée basse, des pluies torrentielles… Et c’est en grandissant qu’ils comprendront les choses et se prépareront pour affronter l’avenir. 

Vous savez, ce sont des éléments techniques. Les termes techniques, comme la distinction entre une pluie torrentielle et une forte pluie, doivent être simplifiés afin de permettre à la population de comprendre.

Pensez-vous que notre système d’alerte est suffisam-ment efficace pour affronter l’avenir ?
Le système d’alerte actuel était certainement très efficace lors de son entrée en vigueur. Mais au fil du temps, le mécanisme doit forcément être revisité face à l’émergence de nouveaux outils de communication, radars et autres radios satellitaires qui révolutionnent le monde.

Votre opinion sur le Doppler radar de Trou-aux-Cerfs, opérationnel depuis 2019.
L’appareil est très loin d’être obsolète. En fait, tout radar a une durée de vie. La logique veut que la durée de vie d’un radar soit d’au moins 20 ans. Pour la petite histoire, les services météorologiques basaient autrefois leurs prévisions à partir d’un radar planté à Trou-aux-Cerfs. L’appareil était opérationnel depuis 1977. Je me souviens que le radar est resté opérationnel jusqu’en 2007. Soit l’année où j’étais directeur des services météorologiques.

 

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