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[Blog] Œil de Lynx : guerre des lobbys et krach sociétal ?

Nous vivons un moment délicat de l’histoire avec le risque réel de bascule historique définitive. Et ce à un moment où il y a potentiellement les ingrédients pour être optimiste par volonté et pessimiste par intelligence épousant la pensée du philosophe et penseur Antonio Gramsci. Six mois après les élections du 11 novembre 2024, un état des lieux du changement promis par le nouveau pouvoir s’impose. Notre société ne réunit pas les ingrédients culturels et est déficitaire en dynamiques sociopolitiques pour s’engager dans la voie du changement. 

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Constat et analyse clinique 

Notre société n’arrive pas à produire des « élites » politiques, économiques, d’idées et culturelles intelligentes, capables de s’entendre sur un plan minimaliste pour surmonter les contradictions afin d’avancer ensemble dans la trame de l’histoire du vivre et du construire ensemble de plus de trois siècles. Notre histoire, à bien des égards, est une histoire extraordinaire. Nous sommes nombreux à croire dans un pays, un peuple, un destin… 

Atouts et fragilités 

Maurice a très peu d’atouts terrestres en termes de taille et de ressources naturelles. Néanmoins, sa position géostratégique, son statut d’Etat océan, son peuplement, sa capacité de confronter et de surmonter des difficultés – parfois existentielles –, une indépendance et une diaspora toujours attachée au pays sont des atouts non négligeables. Après une indépendance réussie, le pays va connaître un « miracle économique » pendant une dizaine – et une profonde transformation de la société mauricienne. Il est question de miracle mauricien, de société de consommation avec ses nouvelles contradictions, de démission des élites, d’ethno-populismes déclinés en « malaises ». La société s’est ressaisie contre les courants populistes prônant des solutions simplistes aux problèmes complexes.

La décennie 1993-2002 qui fait suite au «  miracle économique » sera difficile, car il a fallu remettre en question des certitudes, un confort intellectuel paresseux, des croyances et des recettes dépassées pour continuer à avancer.  Mais il est indispensable pour sortir d’une situation bloquée. Pendant plus de vingt ans – de 2000 a 2020 – ça a été le règne ou la recherche de bouc-émissaires, de l’enfer-c’est-les-autres. Nous avons tous été responsables d’avoir d’une manière ou d’une autre contribué à ce blocage qui s’est renforcé au fil des années.

Aujourd’hui, avec la place des réseaux sociaux animés par l’émotion, les ingrédients se développent pour nourrir ce blocage social devenu blocage sociétal. Les trois années à venir vont être très difficiles et il faudra animer la flamme de l’espoir. Pour sortir de la crise, il conviendra de faire un pari sur le cœur, l’intelligence concrète, la raison et le bon sens des Mauriciens. Le pays dispose de ces atouts pour contrer les facteurs bloquants nourris par des populismes mortifères qui se développent. Il y a un temps pour tout. Là, c’est le temps de la réflexion sérieuse et de la raison communicative pour trouver les pistes concrètes de sortie de crise.

Depuis 1983 suite à l’arrivée de la coalition Bleu-Blanc-Rouge dirigée par le MSM, l’embryon des forces mafieuses – « gouvernman dan nou lame »,  irruption de la drogue avec ses liens organiques avec les forces politiques ne cesse de se développer. Le « miracle mauricien » voit au niveau social, une fragmentation ethnique avec la multiplication des « malaises ». Dix ans après, avec le déclin du MSM, l’espoir PTr-MMM se brisera très vite, provoquant le retour du MSM et la nostalgie du « miracle économique » avec le duo SAJ-Vishnu Lutchmeenaraidoo. Très vite notre société va connaître une des plus graves périodes de son histoire avec une dérive autocratique couplée de l’existence d’un État Mafia nourri de l’argent sale et de la drogue. Les  pratiques de cette époque marquent profondément la société mauricienne au point où on parle de société gangrénée.  

En novembre 2024 ont lieu les élections législatives. L’alliance des forces d’opposition promet un changement et une rupture pour sortir la société de la profonde crise structurelle et systémique qu’elle traverse dans de nombreux domaines. Mais après six mois, le désenchantement  commence à s’installer en l’absence de boussole contre les dérives diverses de la crise sociétale et multidimensionnelle. Et cela commence par la politique de nominations. C’est visible et  prend la forme d’une guerre des « élites ». Le PTr et le MSM, par le mécanisme de vase communicant, sont touchés par cette guerre des « élites » politiques et des lobbys. Pour diverses raisons, c’est moins le cas pour les autres composantes de l’Alliance du Changement, à savoir le MMM, le ND et ReA. 

Devoir et obligations du nouveau gouvernement

Le nouveau pouvoir a un devoir de changement et une obligation de résultats. Cela se traduit au niveau de l’Alliance, de ses composantes et des femmes et hommes appelés à exercer le pouvoir pour conduire le changement. Une observation lucide et attentive des démarches de certains ministres est la suivante : l’écoute active fait défaut pour imaginer des solutions et des pistes de sorties. Les concepts et les mots ont un sens. Il en est de même des orientations et mesures concrètes qui sont énoncées. L’exigence de l’heure est de ne pas tomber dans l’auto-satisfaction et la complaisance dans les méthodes classiques sans imagination et innovation.*

Les problèmes structurels pour une révolution tranquille ne sont pas de la responsabilité des seuls politiques. L’incapacité du patronat/secteur privé de repenser son rôle dans la conduite et d’accompagnement du changement constitue une réelle problématique. De grâce, cessons avec la version washing – social,  green etc – au profit d’initiatives concrètes à la hauteur de la gravité des enjeux. Les organisations de la société civile – syndicats et ONG  – sont tout aussi concernées par le changement à opérer.

État, secteur privé et société civile sont tous sont concernés par le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. Gardons-nous de la pauvreté et de la médiocrité intellectuelles qui se contentent de slogans vides, de formules creuses et de propos simplistes. Cela renvoie à une criante réalité.  Les partis au pouvoir ne se sont pas dotés de think-tank structurés digne de ce nom. Aujourd’hui au pouvoir et en responsabilité, les partis politiques vont le payer cash quand il s’agit de trouver des solutions concrètes. On se gargarise de slogans ceux.  En l’absence d’une formation pour une maîtrise de la complexité croissante, on se contente du mode « pe dekouver Lamerik lor map ». 

La « solution » pour beaucoup de Mauriciens face à l’absence de valeurs démocratiques et de méritocratie dans les pratiques, c’est la recherche « d’un bout » et ses déclinaisons de noubanisme, népotisme, communalisme, castéïsme, avec l’appui de lobbys. Les lobbys ont toujours existé avec  le clientélisme politique mais il semblerait qu’il y a ces temps-ci une véritable guerre latente et manifeste des lobbys. Cette guerre qui fait rage est source de frustrations plus ou moins profondes. À sa naissance, la lutte des classes doit remplacer la lutte des races était le slogan du MMM. Après 1983, c’est de nouveau la lutte des races comme dynamique mobilisatrice. Est-ce qu’aujourd’hui la dynamique dominante est la lutte/règne des élites et des lobbys ? Les remontées d’information tendent à soutenir cette thèse. C’est à désespérer si c’est le cas. 

Pour promouvoir une dynamique vertueuse qui passe par un changement de mentalités, une révolution culturelle (dont une révolution intellectuelle) s’impose. C’est un exercice plus difficile et pénible par certains côtés car impliquant une remise en cause de certitudes, d’un confort intellectuel paresseux, de croyances, de recettes dépassées. C’est toutefois indispensable pour sortir d’une situation bloquée.

Aujourd’hui, avec la place des réseaux sociaux animés par l’émotion, les ingrédients se développent pour nourrir ce blocage social devenu blocage sociétal.  Les années à venir vont être très difficiles et il faudra animer la flamme de l’espoir et trouver celles et ceux qui vont la porter. Pour sortir de la crise il faudra toujours inscrire à l’agenda national un pari sur le cœur, l’intelligence concrète, la raison et le bon sens des Mauriciens. Le pays dispose de ces atouts pour contrer les facteurs bloquants nourris par des populismes mortifères qui continuent à se développer. Il y a un temps pour tout. Maintenant est le temps de la réflexion sérieuse, de la responsabilité et de la raison communicative pour trouver des pistes concrètes de sortie de crise.

*Il ne s’agit pas de généraliser, car il y a des exceptions qui confirment la règle ! L’heure est à l’exigence et non à la complaisance !

 

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