Société

Baisse des naissances: À quand ce baby-boom tant espéré ?

Le ministère de la Santé multiplie les appels : Maurice connaît une démographie déclinante. À tel point que dans quelques années, le nombre de décès dépassera celui de naissances. Anil Gayan, ministre de la Santé, a à nouveau lancé un appel aux familles pour qu’elles fassent plus d’enfants. C’était au cours d’un atelier organisé par la Mauritius Family Planning & Welfare Association (MFPWA) en avril dernier. Il avait déjà soulevé cette question en juillet 2015 lors de la Journée mondiale de la population. Depuis, différentes institutions ont tiré la sonnette d’alarme à propos de la baisse des naissances. Pour comprendre ce phénomène, il faut analyser les dernières statistiques.

Baisse sévère

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"16958","attributes":{"class":"media-image size-full wp-image-28702","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"720","alt":"Taux de natalit\u00e9 2005 \u00e0 2015"}}]] Taux de natalité 2005 à 2015

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/div> Il y a eu une baisse constante du nombre de naissances à Maurice durant ces dix dernières années. En effet, Statistics Mauritius indique que 18 820 bébés ont vu le jour en 2005. En 2015, le nombre a chuté à 12 738. Ce qui représente une différence de 6 082 naissances. Ce qui frappe le plus, c’est que la baisse est constante, année après année (voir tableau). Par ailleurs, comparée à 2014, l’année 2015 affichait déjà une baisse de 5 %. Cette baisse ne concerne pas Maurice uniquement. Rodrigues connaît le même phénomène : 681 en 2015 contre 896 naissances en 2005. Une différence de 215 naissances. D’autres chiffres compilés par Statistics Mauritius donnent une perspective plus large sur les naissances à Maurice. Pour ce qui est des villes, Port-Louis connaît le plus grand nombre de naissances, avec 1 707 en 2014, suivi de Beau-Bassin/Rose-Hill, avec 1 036. Toutefois, Curepipe, qui est la plus grande ville de Maurice, est en queue de peloton, avec 687 naissances en 2014. Si cette tendance se maintient, la population de Maurice passera à 1 000 026 en 2 054. Le vieillissement de la population s’ajoutant à la baisse des naissances provoquera un phénomène social sans précédent, explique le démographe Jumoondar Sunkur (voir interview plus loin). L’économie du pays risque d’en souffrir avec un éventuel crash du Fonds national de pension. Pour l’éviter, une augmentation de la taxe ainsi que la somme contribuée à la caisse de retraite pourraient être nécessaires. De son côté, Anoushka Virahsawmy de Genderlinks soutient que la donne a changé et que la structure familiale n’est plus ce qu’elle était (voir hors-texte). Toutefois, l’invitation du ministère de la Santé à faire plus d’enfants ne concerne pas toutes les familles. Pour Vidya Charan de la MFPWA, il est nécessaire de cibler (voir plus loin). Par conséquent, la MFPWA mène actuellement deux types de campagne. D’un côté, elle encourage les femmes actives et financièrement stables à avoir plus d’enfants et, de l’autre, incite les familles au bas de l’échelle à revoir leur planification familiale. Elle insiste aussi sur le fait que l’économie de Maurice peut être affectée par cette baisse des naissances. « Nous risquons de perdre les facilités dont nous disposons aujourd’hui, comme le transport gratuit, la santé gratuite, l’éducation gratuite. »

Ciblage - La solution ?

Le ministère de la Santé invite les familles à procréer davantage. Une requête qui ne concerne toutefois pas toutes les familles, avance Vidya Charan, directrice de la Mauritius Family Planning & Welfare Association (MFPWA). La campagne qu’a toujours menée la MFPWA depuis son existence se fait toujours auprès des femmes au bas de l’échelle, selon notre interlocutrice. « Dans certaines poches de pauvreté que nous avons ciblées, il y a une recrudescence de naissances. De ce fait, nous sensibilisons les familles à la bonne planification familiale. Nous leur conseillons de suivre une méthode de contraception sans leur imposer quoi que ce soit. » D’autre part, la MFPWA sensibilise les femmes qui travaillent et qui sont stables financièrement à avoir plus d’enfants. « Nous constatons que les femmes actives se limitent à deux ou moins d’enfants pour diverses raisons. C’est avec cette catégorie de femmes que nous travaillons en leur demandant de procréer davantage », explique-t-elle. Dans cette optique, l’organisation avait réuni quelques femmes lors d’un workshop, le 21 avril dernier. Objectif : sensibiliser les femmes sur la baisse de la natalité à Maurice et leur expliquer les problèmes que cela engendrera dans un proche avenir. Prenant en considération le fait que d’accueillir un nouvel enfant peut être difficile dans certains cas, la MFPWA a soumis plusieurs propositions aux ministères de la Santé et des Finances. Parmi, il y a l’aménagement d’un service de crèche proche du lieu de travail de la maman, l’application du flexitime pour les femmes ainsi que la révision des coûts des accessoires, des services et des denrées pour les bébés. Un suivi médical pour les femmes enceintes sur le lieu de travail a aussi été proposé ainsi que le rallongement des congés de maternité et de paternité.

Pourquoi les familles sont si réticentes

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"16961","attributes":{"class":"media-image alignright wp-image-28705","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"400","height":"598","alt":"familles"}}]]Depuis quelques années, les familles se limitent à un ou deux enfants par couple. Ce qui apporte un changement radical au paysage démographique de Maurice. Pour Anoushka Virahsawmy de Genderlinks, les ambitions ainsi que le planning pour une famille ont évolué aujourd’hui. « Les femmes de nos jours travaillent et c’est difficile pour elles de s’occuper de beaucoup d’enfants. » Les difficultés que représente une famille nombreuse, Thierry Chumroo dit vouloir à tout prix l’éviter. Cet homme de 37 ans vient tout juste d’être père pour la deuxième fois. Son aînée est âgée de 3 ans, son cadet a 5 mois. Pourtant, ce père de famille et son épouse voulaient un seul enfant. Même s’il est très content d’avoir eu un second bébé, le couple soutient que son arrivée a quelque peu chamboulé ses finances et sa vie sociale. « Mon épouse souhaitait faire son master à l’université. Nos plans ont été mis entre parenthèses. » Hormis les priorités, le couple affirme que son budget a dû être modifié. Le lait et les couches coûtent cher. Ils ont dû aménager une chambre à coucher additionnelle. Ils ont aussi recruté lune nounou. « Deux enfants coûtent très cher. Il faut trouver de l’argent pour les vêtements, les chaussures, les jouets et la nourriture. De nos jours, les enfants s’adonnent à beaucoup d’activités, ce qui nécessite un budget. » Le couple a aussi revu son style de vie. L’épouse a dû revoir ses horaires de travail. Le sociologue Surendr Nowbuth dit comprendre le couple Chumroo. Il explique qu’avec la nucléarisation de la famille, avoir beaucoup d’enfants se révèle difficile. Il fait comprendre qu’auparavant les grands-parents vivaient ensemble, ce qui aide le couple, surtout quand la maman travaille. C’était la grand-mère qui gardait les enfants et s’occupait de son éducation sociale. Aujourd’hui, les parents doivent trouver une crèche pour la garde des enfants, ce qui peut coûter assez cher. Il estime également que les femmes, vu qu’elles travaillent, ne peuvent se permettre d’avoir de multiples grossesses, ni de s’occuper d’une grande famille. Notre interlocuteur soutient également que les parents d’aujourd’hui aiment par-dessus tout leur liberté et leur intimité. La naissance d’un enfant est comme une intrusion, un empiétement sur leur vie sociale. Ils aiment sortir, aller au cinéma, au restaurant.
 

Jamoondur Sunkur - Responsable du département de démographie au ministère de la Santé: «Nous aurons plus de décès que de naissances d’ici à l’an 2022»

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"16960","attributes":{"class":"media-image alignleft size-full wp-image-28704","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"250","height":"300","alt":"Jamoondur Sunkur"}}]]Pourquoi faut-il autant s’inquiéter de la baisse du taux de naissances à Maurice ? À partir de quel seuil démographique, la situation deviendra-t-elle critique ? Si la situation actuelle perdure, nous devons nous en inquiéter. Pour qu’il y ait une population stable, le nombre de naissances doit être supérieur à celui de décès. Ce qui se passe, c’est qu’aujourd’hui, le remplacement de la population ne se fait pas comme il se doit. Nous aurons plus de décès que de naissances, selon nos prédictions, d’ici 2022. Actuellement, la population connaît une croissance de 2 600 naissances par an. Or, dans six ans, la population arrêtera de croître. Au contraire, elle va diminuer. Les risques auxquels nous sommes confrontés sont que cette tendance représente un danger pour l’économie mauricienne avant tout. Nous n’aurons pas suffisamment de jeunes au travail pour notre économie. C’est ce qui risque de se produire dans sept ou huit ans. Pouvez-vous nous expliquer le niveau de reproduction et de renouvellement de la population ? Le seuil de remplacement doit être égal à 2,1 enfants par couple. De facto, pour une meilleure stabilité, cent couples doivent engendrer 210 enfants. Or, à Maurice, cent couples sont parents de 135 enfants seulement. Le renouvellement de la génération ne se fait pas comme il devrait l’être. Nous atteignons une moyenne plus basse qu’en Europe actuellement. C’est ce qui fait qu’à la longue, le nombre de décès dépassera celui de naissances. L’idéal serait que les couples aient deux à trois enfants, mais pas moins. Il semblerait que le vieillissement de la population n’arrange pas les choses ? La caisse de retraite risque d’en souffrir… La population était composée de 5,4 % de retraités en 1962. À présent, le nombre de personnes ayant plus de 60 ans représente 14,5 % de la population. Qui plus est, l’espérance de vie des personnes âgées s’est étendue. En 2050, 33 % de la population aura 60 ans et plus. En termes de Dependency Ratio, 1 000 personnes actives soutiennent 220 retraités. C’est-à-dire cinq citoyens contribuent à la pension d’une personne. En 2050, ce seront trois personnes qui financeront un retraité. Et pour qu’il n’y ait pas de crash de la caisse de retraite, le montant versé sera certainement revu à la hausse. La taxe risque aussi d’augmenter. Existe-t-il un équilibre parfait entre la croissance et le seuil de population que nous voulons atteindre ? Le seuil de population n’a jusqu’ici jamais été fixé. Dans les années soixante, il y avait une moyenne de six enfants par couple. Le taux d’accroissement de la population était de 3,1 % en 1962. Si cette courbe s’était maintenue, notre population aurait doublé tous les 20 ans. Nous aurions aujourd’hui 3,5 millions d’âmes. Le gouvernement avait tiré la sonnette d’alarme et introduit la planification familiale. Si la baisse de la natalité se concrétise, devons-nous avoir recours à l’immigration ? Lorsqu’un pays connaît le développement économique, il y a la création d’emplois. Si la main-d’œuvre venait à manquer, nous devrions avoir recours à des travailleurs étrangers. À Maurice, il y a actuellement 46 000 ouvriers étrangers. Toutefois, l’immigration n’est pas une solution durable. Ce serait bien que les Mauriciens travaillent pour l’économie mauricienne.
 

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