Une première étude sera lancée sur les causes et les conséquences des avortements illégaux à Maurice. Les chercheurs devront notamment déterminer les facteurs qui incitent les femmes en âge de procréer à y avoir recours. Mais d’ores et déjà, il s’avère que les raisons sont multiples, tout comme les conséquences.
Un couloir étroit et sombre dans lequel patientent d’autres personnes, dont des femmes visiblement enceintes. Aussi sombre que l’état d’esprit de Diane (prénom d’emprunt) alors qu’elle attend l’arrivée du gynécologue. Son époux est à ses côtés. Déjà parents de deux enfants, ils ont appris qu’elle était enceinte pour la troisième fois. Une grossesse imprévue et non désirée.
Une heure après, le couple sort du cabinet de consultation situé dans les Plaines-Wilhems, la précieuse ordonnance en main. Pour ne pas « avoir d’ennuis », le médecin a également prescrit un sirop pour les problèmes de digestion. « Les comprimés de Cytotec passeront alors comme une lettre à la poste », leur a-t-il expliqué. Il leur a également indiqué dans quelle pharmacie se rendre. « Zot pou kone laba ki pou fer », a déclaré le gynécologue, raconte Diane. Coût de la consultation : Rs 1 500.
La jeune femme âgée d’une trentaine d’années est partagée. D’un côté, elle se sent triste. De l’autre, elle ressent un soulagement, même si ce n’est que dans deux semaines, après la fin des saignements et la seconde échographie chez le gynécologue, qu’elle saura si le fœtus est parti. « Au cas contraire, le médecin nous a dit qu’il faudra que je sois admise pour une intervention afin d’éviter les complications », indique Diane.
« Nous n’avons pas les moyens d’avoir un troisième enfant. La vie est beaucoup trop chère. Nous en avons discuté avec mon mari. Lui aussi est triste. Mais ce n’est vraiment pas possible », se justifie-t-elle. « Mieux vaut ne pas mettre au monde un enfant à qui l’on ne pourra pas offrir le meilleur », ajoute la trentenaire avant de prendre congé.
Sunita (prénom d’emprunt) avait, elle, à peine 20 ans lorsque son fiancé et elle ont pris la décision de ne pas poursuivre sa grossesse. Cette décision n’a pas été facile à prendre et plus de 10 ans après, elle pèse toujours sur leurs épaules.
« J’avais 20 ans et lui en avait 25. Notre relation était encore à ses débuts quand j’ai découvert ma grossesse. Ce fut un choc pour nous, car nous n’étions ni prêts ni préparés à fonder une famille. Nous appréhendions également la réaction de notre entourage », explique Sunita.
Le couple consulte un gynécologue qui a confirmé la grossesse. « Nous lui avons expliqué que nous n’étions pas en mesure de prendre en charge un enfant, tant d’un point de vue financier qu’émotionnel », dit-elle. À l’époque, ils vivaient tous les deux chez leurs parents respectifs, et il était inimaginable pour eux de révéler cette grossesse hors mariage alors qu’ils se fréquentaient depuis seulement quelques mois.
« Nos parents, bien qu’ouverts d’esprit, attachaient une grande importance aux valeurs traditionnelles. Nous redoutions leur réaction. De plus, avoir un enfant n’était pas dans nos plans immédiats. » Le couple espérait d’abord avoir sa propre maison et une stabilité financière avant de songer à fonder une famille.
Si le gynécologue est initialement réticent, il finit par les soutenir, tout en leur expliquant les risques et les conséquences de manière détaillée. « Il nous a fait comprendre que comme pour toute intervention, il existe des risques de complications, mais il s’est également engagé à tout mettre en œuvre pour les minimiser », poursuit Sunita.
Par la suite, un rendez-vous a été pris dans une clinique privée pour l’intervention, qualifiée sur papier de curetage pour des raisons médicales. « Heureusement que l’intervention s’est bien déroulée et qu’aucune complication n’est survenue par la suite », confie-t-elle.
Cependant, ce qui s’est avéré difficile à vivre, c’est le moment où elle s’est rendue à la pharmacie pour acheter les médicaments qui lui avaient été prescrits pour le suivi post-intervention et pour éviter les contractions. « Certains employés de pharmacie nous ont regardés de manière désapprobatrice et nous ont sèchement informés qu’ils ne disposaient pas de ce type de médicament. Nous avons dû visiter plusieurs pharmacies avant de finalement trouver ce qui m’avait été prescrit. »
Après son mariage, Sunita pensait qu’elle serait en mesure de concevoir sans difficulté. Cependant, elle a rapidement déchanté lorsqu’elle a connu plusieurs fausses couches. Après divers traitements pour faciliter une grossesse en bonne santé, son médecin traitant lui a suggéré un cerclage pour maintenir le fœtus. « Cela a été une période éprouvante lorsque nous avons essayé d’avoir un enfant. La décision initiale d’avortement continue de me hanter et j’éprouve des remords », confie-t-elle.
Un père arrêté pour avoir forcé sa fille à avorter
Pas plus tard que le mardi 29 août, un maçon de 45 ans a été arrêté par la police de Camp-Levieux et placé en détention. Il lui est reproché d’avoir contraint sa fille de 17 ans à avorter.
C’est à la suite d’une plainte de sa fille aînée, âgée de 21 ans, plus tôt le même jour, qu’il a été interpellé. À la police, cette caissière domiciliée à Roches-Brunes avance que sa petite sœur âgée de 17 ans, qui vit avec leur père depuis mars 2023 après de longues années en famille d’accueil à la suite du divorce de leurs parents en 2013, lui aurait dit qu’elle était enceinte et que leur père l’aurait emmenée chez un médecin pour un « traitement ». La vingtenaire soutient avoir échangé des messages WhatsApp en ce sens avec sa sœur entre le samedi 26 août et le lundi 28 août.
Interrogée par une agente de la Child Development Unit, l’adolescente de 17 ans a confirmé avoir eu des rapports sexuels avec son petit ami qui est âgé de 15 ans, le 24 juillet dernier, sur la plage d’Albion. Selon elle, ils entretiennent une relation amoureuse depuis avril 2022.
C’est en faisant un test de grossesse qu’elle a appris qu’elle était enceinte. Selon elle, le lundi 28 août, vers 11 heures, son père l’aurait emmenée au cabinet de consultation d’un médecin privé à Vacoas. A la demande du quadragénaire, poursuit-elle, le médecin l’aurait examinée avant de lui faire deux injections. Il aurait également remis une ordonnance au père de la jeune fille pour 10 pilules de Cytotec. Elle affirme que ce dernier l’aurait forcée à en prendre le même jour et le lendemain matin, à 8 heures. La jeune fille a été transportée au PMOC où elle a été admise en salle après sa déclaration et un examen de son téléphone portable.
Après l’arrestation du père, le médecin risque de se retrouver dans de beaux draps et pourrait faire l’objet d’une arrestation dans le cadre de cette affaire.
Questions à…Vidya Charan, directrice de la Mauritius Family Planning and Welfare Association : «La décriminalisation de l’avortement soulagerait celles qui sont en difficulté»
Diverses raisons peuvent pousser une personne à recourir à un avortement, notamment la pauvreté, l’augmentation du coût de la vie, des relations sexuelles précoces, entre autres. Selon Vidya Charan, il est impératif de continuer l’éducation de la population et d’élargir l’accès à la contraception pour certains groupes de personnes.
Comment a évolué la situation de l’avortement à Maurice au cours des dernières décennies ?
Le sujet de l’avortement a toujours suscité des débats intenses et des résistances au fil du temps. En 2012, le gouvernement avait proposé un projet de loi visant à dépénaliser l’avortement. Le code pénal avait été modifié, introduisant un nouvel article 235A qui permet l’interruption d’une grossesse dans les cas suivants :
Lorsque la poursuite de la grossesse met en danger la vie de la personne enceinte, et que l’avortement est nécessaire pour prévenir des dommages graves et permanents à sa santé physique ou mentale ;
En cas de risque important que la poursuite de la grossesse conduise à une malformation grave ou à une anomalie physique ou mentale sérieuse du fœtus, évaluée par des spécialistes compétents ;
Lorsque la grossesse n’a pas dépassé sa quatorzième semaine et résulte d’un viol, de rapports sexuels avec une femme de moins de 16 ans, ou de rapports sexuels avec une personne déterminée, signalés à la police ou au médecin.
Bien que certaines voix s’élèvent en arguant que cela encouragera davantage d’avortements, le nombre de demandes s’est avéré minime, principalement en raison des restrictions strictes imposées par cette loi.
Cependant, les avortements clandestins ont persisté, entraînant des complications pour certaines personnes, nécessitant par la suite des soins dans les hôpitaux et les cliniques privées. Au cours des dernières décennies, on a enregistré chaque année plus d’un millier de cas de complications liées à des avortements.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, un cas de complication est observé pour chaque dix avortements. Cependant, il est important de noter que de nombreuses personnes parviennent à avorter sans rencontrer de complications.
Des cas de personnes arrêtées ont été signalés, et certains médecins ont dû comparaître devant la justice pour leur implication dans des affaires d’avortement. Ainsi, le problème persiste malgré les évolutions législatives et demeure un enjeu complexe.
La décision de recourir à un avortement n’est certainement pas facile à prendre. Quelles sont les raisons qui poussent certaines femmes à faire ce choix ?
Divers facteurs conduisent les femmes à envisager un avortement. Aujourd’hui, les données ont évolué, et par conséquent, une étude sur la question de l’avortement contribuera à mieux comprendre les besoins de ces personnes.
À ce stade, on peut énumérer plusieurs raisons, notamment la pauvreté, l’augmentation du coût de la vie, des relations sexuelles précoces sans connaissance approfondie du fonctionnement de leur corps, des situations de contrainte sexuelle, des séparations conjugales, l’âge de la personne enceinte, le non-recours à la contraception, les conflits entre partenaires, l’adultère, la présence de certaines maladies, des contraintes professionnelles, des partenaires refusant de soutenir une naissance, une absence de stabilité entre les partenaires, les engagements dans les études, et ainsi de suite.
Quel est le profil des personnes qui optent pour un avortement plutôt que de mener leur grossesse à terme ?
Toutes les catégories de personnes sont concernées, avec des variations d’âge, mais une prévalence plus marquée parmi les femmes mûres en union. Parfois, cela touche des personnes en concubinage, en séparation avec leur partenaire, voire des cas très jeunes. L’étude à venir fournira des indications sur d’éventuelles évolutions dans les profils actuels.
Différentes méthodes sont utilisées pour effectuer un avortement. Quelles sont les méthodes les plus couramment employées ?
Certaines femmes consultent un médecin et suivent ses recommandations. D’autres rapportent avoir pris des médicaments non recommandés pendant la grossesse pour mettre fin à la gestation, comme le Cytotec qui est bien connu. Les méthodes d’aspiration et les injections sont également pratiquées. Certaines fabriquent leur propre mélange à base de cannelle, de gingembre, de vin et d’autres ingrédients.
Quelles actions pourraient être entreprises ou quelles solutions envisagées pour aborder la question complexe de l’avortement ?
Il est impératif de continuer l’éducation de la population et d’élargir l’accès à la contraception pour certains groupes de personnes. La décriminalisation de l’avortement apporterait un soulagement significatif à ceux qui font face à des difficultés. Si cette loi permettait aux femmes en situation de détresse d’interrompre leur grossesse à un stade précoce en toute légalité, cela éviterait davantage de décès et de graves complications dans notre société.
De plus, si des pilules abortives pouvaient être prescrites par des autorités compétentes, sous stricte supervision médicale, à l’instar d’autres pays, cela empêcherait les femmes de recourir à des méthodes dangereuses pour mettre fin à une grossesse non désirée. Le fait que ce service ne soit pas disponible dans les établissements hospitaliers pousse de nombreuses personnes à se tourner vers le secteur privé pour obtenir cette prestation, au risque de payer des sommes considérables. Ce manque de moyens pousse d’autres à opter pour des méthodes beaucoup plus risquées.
Étude sur les causes et conséquences de l’avortement
Comprendre les causes et les conséquences des avortements illégaux à Maurice. Tel est l’objectif du ministère de la Santé à travers une étude. Les chercheurs auront pour mission de déterminer les facteurs qui incitent les femmes en âge de procréer à y avoir recours.
Cette première étude devrait éclairer la situation de l’avortement dans le pays, alors que les chiffres officiels signalent une tendance à la baisse des complications liées à cette procédure. Un comité directeur, présidé par le directeur de la Santé et composé des parties prenantes, a été constitué, bénéficiant du soutien d’un comité technique.
« Le but de cette recherche est de comprendre la situation de l’avortement à Maurice, en particulier des avortements illégaux », explique le Dr Tavisha Gunness, coordinatrice de la santé et de la reproduction au ministère de tutelle. Actuellement, il n’existe pas de statistiques complètes concernant cette situation à Maurice. « Les données disponibles se limitent aux cas de complications liées à l’avortement ou aux avortements spontanés. De plus, ces chiffres ne distinguent pas entre les avortements médicaux et clandestins », ajoute-t-elle.
Ainsi, l’étude permettra d’avoir une meilleure idée du nombre d’avortements clandestins. Devant les risques potentiels que comporte un avortement, le Dr Gunness indique que cette étude permettra de guider les mesures à mettre en place par le ministère de la Santé.
Elle rappelle, d’autre part, que le ministère de la Santé a élaboré une politique concernant la santé sexuelle et reproductive, dont le plan a été lancé en 2022. L’avortement fait partie de la santé sexuelle, et dans le contexte mauricien, il est autorisé sous quatre critères bien spécifiques. Un accompagnement psychologique ainsi qu’une assistance médicale sont proposés à la patiente pour tous les cas de « résiliation médicale », précise-t-elle. Cette décision est validée par un conseil composé, entre autres, de gynécologues, afin de déterminer la catégorisation de la grossesse.
Le Dr Tavisha Gunness ajoute que lors des sessions de formation dispensées par le ministère concernant la santé sexuelle et reproductive, une attention particulière est accordée aux risques associés à la pratique de l’avortement, ainsi qu’à la mise en évidence des méthodes de contraception disponibles. « Le service de planification familiale est à disposition, et nous expliquons comment prévenir les grossesses non planifiées ainsi que les dangers liés aux avortements clandestins », déclare-t-elle. Cela joue un rôle dans le report de l’initiation des relations sexuelles, selon elle. Elle pense d’ailleurs que c’est probablement la raison pour laquelle nous observons une diminution des chiffres des complications liées à l’avortement.
Une procédure clandestine qui peut s’avérer mortelle
Normalement, l’avortement est pratiqué au cours des dix premières semaines de grossesse. Au-delà, prévient le Dr Chandra Shekar Ramdaursingh, gynécologue obstétricien en pratique privée, les risques et les conséquences peuvent être plus graves.
La plupart des cas d’avortement concernent des femmes âgées de 16 à 23 ans. Il peut s’agir de femmes célibataires ou mariées qui ne souhaitent pas avoir un deuxième enfant trop rapidement. Cependant, la majorité concerne des femmes non mariées ou celles qui n’ont pas réussi à utiliser efficacement des méthodes de contraception ou la pilule du lendemain.
Les avortements clandestins sont pratiqués de deux manières à Maurice : soit par la prise de certains médicaments conventionnels, par voie orale ou vaginale, provoquant des contractions utérines, soit par l’utilisation de remèdes artisanaux à base de mélanges divers, également induisant des contractions pour expulser le fœtus, explique le Dr Chandra Shekar Ramdaursingh. Quelle que soit la méthode utilisée, les avortements clandestins peuvent s’avérer dangereux pour la patiente, précise-t-il, car elle n’a généralement pas subi d’examen médical préalable.
Selon lui, ces examens sont essentiels pour déterminer la position du fœtus. « En cas de grossesse extra-utérine, tenter un avortement peut avoir des conséquences très graves. La mère pourrait succomber à une hémorragie interne », met-il en garde, surtout si l’avortement se fait à domicile. Les saignements abondants pourraient provoquer des pertes de conscience et des blessures liées à des chutes, ajoute le spécialiste.
Le danger est encore plus grand pour celles qui ont déjà subi une opération pour un fibrome ou une césarienne. Car les contractions induites peuvent être très intenses, augmentant ainsi le risque de rupture utérine, poursuit le médecin.
« Normalement, ces médicaments sont délivrés uniquement sur ordonnance, mais des individus mal intentionnés les vendent plus cher à des personnes non munies de prescription. » Ce type de médicament est principalement utilisé en cas de problèmes médicaux au cours des premières semaines de grossesse.
« L’avortement clandestin peut également être réalisé par le biais d’une chirurgie avec des instruments non recommandés, tels que des rayons de bicyclette ou une sonde généralement utilisée pour la vessie », avertit le gynécologue. Toutes ces méthodes comportent un risque de perforation de l’utérus et la possibilité de septicémie. « En perforant l’utérus, on peut également perforer les intestins, ce qui peut entraîner des saignements abondants et mettre la vie de la patiente en danger. »
Selon le Dr Chandra Shekar Ramdaursingh, certains médecins pratiquent des avortements dans leur cabinet de consultation plutôt qu’en milieu hospitalier. Cela peut également être fait par des professionnels de santé paramédicaux n’ayant pas de connaissances médicales approfondies. « Les conséquences d’un avortement chirurgical en dehors d’un environnement médical peuvent être graves pour la mère. » Les risques comprennent notamment l’hémorragie, l’hypotension, la perte de conscience et les infections. Il existe également un risque de perforation des intestins, entraînant la sortie de matières fécales par le vagin.
Les conséquences à long terme d’un avortement peuvent inclure une infertilité secondaire résultant des adhérences pouvant se former à la suite des méthodes utilisées, souligne le médecin.
Le curetage
Le curetage est une procédure chirurgicale effectuée sous anesthésie visant à dilater le col de la patiente afin de retirer le fœtus. Cette intervention est pratiquée lorsque le fœtus n’est pas viable ou déjà décédé. Elle peut également être réalisée dans le cas où la patiente n’est pas enceinte, mais pour enlever un polype ou pour effectuer un diagnostic chez une patiente afin de comprendre les raisons de son infertilité.
Baisse du nombre de cas de complications
Selon le Health Statistics Report 2022, une diminution générale du nombre de cas de complications associées à l’avortement est observée. Ce chiffre est passé de 1 144 en 2021 à 1 130 l’année dernière. Cependant, il convient de noter que ces statistiques englobent également les avortements spontanés.
Par ailleurs, les données révèlent une diminution des cas de complications référés aux hôpitaux du service public, tandis qu’ils ont augmenté dans les cliniques privées. Selon le Dr Chandra Shekar Ramdaursingh, cette baisse reflète l’utilisation de médicaments dans les cas d’avortement plutôt que de méthodes chirurgicales.
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Que dit notre législation sur l’avortement ?
L’avortement était illégal à Maurice depuis plus longtemps qu’il ne l’aurait dû. Finalement, la loi a été modifiée en 2012 pour refléter les changements, les besoins de la société moderne et pour se conformer aux normes internationales.
L’objectif principal de cette réforme est la préservation de la santé de l’individu. Cependant, il convient de noter que l’avortement ne peut pas être considéré comme totalement légal à Maurice, car il n’est autorisé que dans des circonstances très spécifiques et sous des conditions strictes.
Pour résumer les lois actuelles sur l’avortement, celui-ci est permis dans des circonstances particulières. Seuls les praticiens médicaux dûment enregistrés peuvent fournir un tel traitement, avec une autorisation parentale requise dans les cas impliquant des mineures, et un accompagnement psychologique doit être proposé à une femme enceinte avant et après une interruption de grossesse.
Dans quelles circonstances une femme peut-elle avoir recours à l’avortement sans être inquiétée ?
Selon le Code pénal mauricien, une femme enceinte peut se faire avorter si la grossesse met en danger sa vie ou si c’est nécessaire pour éviter des blessures graves et permanentes à sa santé physique ou mentale.
De plus, l’avortement peut être autorisé s’il existe un risque substantiel que la poursuite de la grossesse entraîne une malformation grave ou une anomalie physique ou mentale sévère du fœtus, qui affectera sa viabilité et sa compatibilité avec la vie.
Enfin, dans les cas de viol, de rapports sexuels avec une fille de moins de 16 ans ou les cas de relations incestueuses dont la dénonciation a été faite à la police, l’avortement peut être envisagé, si la grossesse ne dépasse pas quatorze semaines.
Il est important de noter que ces cas sont les seules situations où une femme enceinte peut être autorisée à avoir recours à l’avortement. Je dis bien « être autorisée », car elle doit impérativement obtenir la permission non pas d’un, mais de trois médecins et aussi, selon les éventualités, le consentement de l’époux ou des parents dans le cas d’une mineure.
Je voudrais ici faire ressortir que toute personne qui, dans le but de mettre fin à une grossesse, fait délibérément une fausse déclaration de viol, de rapports sexuels avec une mineure de moins de 16 ans ou de rapports incestueux, commet une infraction. Ainsi, elle est passible, en cas de condamnation, d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas dix ans. Il est important de noter qu’il est obligatoire qu’une femme enceinte donne son consentement à l’avortement dans quelques cas mentionnés ci-dessus.
Que se passe-t-il si une femme a été forcée d’avorter ?
Toute personne qui, par l’intermédiaire de toute nourriture, boisson, médicament, par la violence, ou par tout autre moyen, provoque la fausse couche d’une femme enceinte, ou fournit les moyens de provoquer une telle fausse couche, que la femme enceinte soit consentante ou non, commet un délit. Elle encourt une peine d’emprisonnement n’excédant pas dix ans.
Ceci s’applique également à toute femme qui provoque sa propre fausse couche, ou qui consent à utiliser les moyens susmentionnés pour provoquer une telle fausse couche.
De plus, tout médecin pratiquant ou pharmacien qui indique, facilite ou administre quelques moyens de provoquer une fausse couche, et où une fausse couche survient, risque en cas de condamnation une peine d’emprisonnement.
Le Code pénal prévoit, en outre, que nul ne peut, par la contrainte ou l’intimidation, contraindre ou inciter une femme enceinte à subir un avortement contre sa volonté. Toute personne enfreignant cette disposition commet une infraction et risque, en cas de verdict de culpabilité, une peine d’emprisonnement n’excédant pas cinq ans et une amende ne dépassant pas Rs 100 000.
Qu’encourt une mineure ?
Cela s’applique également aux mineures, ainsi qu’à tout médecin qui a réalisé l’avortement et à toute autre personne directement ou indirectement liée à l’avortement.
Que risque la personne qui a donné des instructions pour qu’une femme ou une mineure avorte ?
La même sanction est prévue.
Trois condamnations en 2022
D’après le rapport statistique du judiciaire, publié le 17 juillet 2023, il y a eu trois condamnations pour avortement en 2022, contre aucune en 2021.
Les peines infligées (2021/2022)
Condamné à payer une amende | Condamné à effectuer des travaux communautaires | La liberté conditionnelle | Total | |
---|---|---|---|---|
2021 | Nil | Nil | Nil | Nil |
2022 | 1 | 1 | 1 | 3 |
Quelques cas en Cour
2023
Une femme de 43 ans condamnée à 120 heures de travaux communautaires
Une habitante de Quatre-Bornes, âgée de 43 ans, a été condamnée en janvier 2023 à effectuer 120 heures de travaux communautaires devant la cour intermédiaire. Accusée d’avoir interrompu sa grossesse, elle avait plaidé coupable.
Le délit avait été commis le 15 mai 2015. Déjà mère de quatre enfants, elle était tombée enceinte à la suite d’’une liaison extraconjugale. Elle avait pris des pilules pour mettre fin à sa grossesse et avait pratiqué des exercices intenses jusqu’à ce qu’elle accouche d’un fœtus.
Initialement, la quadragénaire avait écopé de six mois de prison. La Cour a suspendu sa peine et ordonné une enquête sociale à son sujet. Après un rapport favorable, la peine de six mois de prison a été commuée en travaux communautaires.
2022
Liberté conditionnelle à une Vacoassienne de 23 ans
Une habitante de Vacoas âgée de 23 ans a bénéficié de la libérté conditionnelle en mars 2023 après avoir été reconnue coupable d’avortement, un délit commis en novembre 2019.
Parmi les conditions émises par la cour : le versement d’une caution de Rs 15 000 et la signature d’un engagement de dette d’un montant de Rs 25 000. La vingtenaire devait également se comporter de manière exemplaire pendant une période de deux ans, sous peine de purger deux ans de prison.
La Vacoassienne était accusée d’avoir avorté en consommant des pilules alors qu’elle était enceinte. Elle avait plaidé coupable lors du procès et expliqué avoir avorté après qu’un gynécologue a constaté un problème avec le fœtus.
2016
Un médecin blanchi
Poursuivi pour avoir pratiqué un avortement, un ancien Medical Superintendent avait été acquitté en février 2016 par la cour intermédiaire. Dans son arrêt, la cour a conclu qu’il s’agissait d’un cas de fausse couche et non d’un avortement qui avait été pratiqué.
Lors du procès, une habitante de Vallée-Pitôt avait témoigné qu’elle était venue consulter le médecin le 12 janvier 2009 ; elle avait 18 ans à l’époque. Elle avait affirmé qu’il lui avait demandé de s’allonger sur un lit, puis avait procédé manuellement à l’évacuation du fœtus dans un seau, ce qui avait provoqué des saignements.
Par ailleurs, la femme avait admis que son ex-compagnon, qui était le géniteur de l’enfant, l’avait frappée et forcée à déposer une plainte contre le médecin au poste de police de Vallée-Pitôt.
Le médecin avait plaidé non coupable. Il avait affirmé n’avoir jamais examiné la jeune femme ni l’avoir vue en compagnie de sa mère. De plus, il avait déclaré n’avoir jamais pratiqué d’avortement ni prescrit de médicaments à la femme.
2012
Une septuagénaire disculpée
Une femme de 70 ans a été disculpée en octobre 2012 devant la cour intermédiaire pour avortement, faute de preuve. Selon l’acte d’accusation, elle aurait pratiqué un avortement sur une habitante de Souillac alors enceinte de quatre semaines, le 19 mai 2000, à Souillac. La septuagénaire avait plaidé non coupable. Dans son arrêt, la Cour a statué que “there is no medical evidence to show the causal link between the acts allegedly performed by the Accused (la septuagénaire) and the alleged miscarriage”.
2011
Une ado de 17 ans obtient la liberté conditionnelle
Accusée d’avortement devant la cour intermédiaire, une adolescente de 17 ans avait bénéficié de la liberté conditionnelle en octobre 2011. Les conditions émises par la cour étaient qu’elle fournisse une caution de Rs 3 000 et se comporte de manière exemplaire pendant une période d’un an. À défaut, elle devrait purger une peine de six mois de prison.
Le délit avait eu lieu le 14 avril 2009 à Cité Bostal, Grand-Rivière-Nord-Ouest. L’enquête policière débuté à la suite d’un signalement d’un membre du personnel de la Child Development Unit, aboutissant à l’arrestation de l’adolescente.
Lors du procès, elle avait plaidé coupable. Dans sa déposition présentée en Cour, l’adolescente avait expliqué qu’elle avait consommé une tisane à base de gingembre et de citronnelle, un remède de grand-mère, dans le but de provoquer un avortement le 14 avril 2009. Le lendemain matin, elle avait fait une fausse couche alors qu’elle se trouvait aux toilettes.
Craignant des représailles de ses parents, elle avait indiqué avoir enveloppé le fœtus d’environ 20 centimètres dans des serviettes hygiéniques, qu’elle avait ensuite placées entre deux rochers à l’arrière de sa maison.
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