Rajanah Dhaliah, contre qui pèse une accusation provisoire de trafic d'influence - il lui est reproché d'avoir sollicité un pot-de-vin pour user de son influence en tant que Parliamentary Private Secretary (PPS) pour faciliter l'octroi d'un bail pour un terrain de 250,76 hectares à Grand-Bassin - devrait-il démissionner également en tant que député du no 7 (Piton/Rivière-du-Rempart) ? Les avis divergent dépendant des intervenants sollicités. Si légalement, rien n'oblige Rajanah Dhaliah à démissionner en tant que député, et rien ne l'obligeait non plus légalement à démissionner comme PPS, sur le plan moral, c'est une autre affaire.
« Il jouit quand même de la présomption d'innocence jusqu'à ce qu'une cour le trouve éventuellement coupable. C'est son droit constitutionnel de demeurer député. Maintenant, si les preuves sont tellement accablantes, il devrait, à mon avis, démissionner, même si la loi ne l'y oblige pas », avance le Senior Counsel et ancien ministre, Me Anil Gayan.
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Rajen Narsinghen, Senior Lecturer en Droit à l'Université de Maurice, attire l'attention sur le fait que, selon la Constitution, « un député perd son siège s'il est condamné à plus de 12 mois de prison ». « Dans le cas de Dhaliah, il n'y a pas eu de condamnation, mais seulement une accusation provisoire. Il bénéficie donc toujours de la présomption d'innocence, mais je pense qu'il y a une lacune dans notre Constitution. Il faudrait l'amender pour que quand un député fait face à une charge pour un délit aussi grave, il soit dans l'obligation de se retirer du Parlement, car en tant que parlementaire, il peut encore entraver les procédures », souligne-t-il. Et d'ajouter que « pour moins que ça, dans d'autres pays, tels que la France, des politiciens, ministres ou autres, ont dû démissionner avant même le verdict ou des poursuites formelles ».
Rajen Narsinghen affirme qu'il y a donc aussi le côté moral. « Le peuple a élu quelqu'un pour le représenter au Parlement. Le député doit être à la hauteur de la confiance dont il a été investi. Puis, il aurait fait l’objet d’une charge provisoire dès le départ s'il s'agissait d'un citoyen lambda. Je ne comprends pas pourquoi l'Icac prend autant de précautions », ajoute-t-il.
Kris Valaydon, juriste et ancien haut fonctionnaire international, avance que « sur la question de savoir si un politicien doit démissionner de son poste ministériel, de PPS ou de son siège de député, il existe deux dimensions, c'est-à-dire une dimension légale et une dimension morale, ou ce que l'on peut appeler une question d'éthique ».
Décision du leader
Kris Valaydon souligne aussi qu'il ne faut pas oublier que la décision de démissionner d'une responsabilité ne dépend pas du politicien incriminé lui-même. « Dans la pratique, à Maurice, cette décision dépend du souhait du leader du parti auquel appartient le politicien mêlé à un scandale. Il faut savoir que si quelqu'un démissionne comme ministre ou comme PPS, c'est parce que son leader lui a demandé de le faire. Aussi, c'est également son leader qui lui demande de ne pas démissionner comme député, ou qui le laisse siéger, et cela pour des raisons qui correspondent à la culture du leader lui-même. Dans le cas présent, on sent que c'est le leader du parti qui a demandé à Monsieur Dhaliah de délaisser son portefeuille de PPS, mais de conserver son poste de député. C'est le leader qui juge et décide et puisque le Premier ministre est la personne la plus informée du pays - c'est lui-même qui le dit -, il doit forcément connaître la vérité dans toute cette affaire », observe-t-il.
Patrick Belcourt, leader d’En Avant Moris, réclame pour sa part la démission de Rajanah Dhaliah en tant que député. « Qu’il ait besoin de « step down », ça aurait dû être de la députation. Car, son employeur n’est pas Pravind Jugnauth. C’est l’État qui assure le respect du vote de l’électorat. Qu’il ait besoin de « step down » le temps d’une enquête, cela est tout à fait compréhensible. Mais c’est de sa fonction de député qu’il aurait dû step down pour faire face à l’enquête le concernant. Ma manière de comprendre les principes de la démocratie, c’est que l’on soit un simple citoyen dans le cadre d’un processus d’enquête : quand votre probité est mise en cause, et que vous soyez toujours paré du statut d’Honorable, c’est comme ne rien comprendre à cette Honorabilité ».
Amédée Darga : « Le PM veut assurer un changement de la perception »
L'observateur politique, Amédée Darga, explique que pendant longtemps, l’actualité « a été dominée par des affaires de corruption, des scandales divers, le comportement du speaker au Parlement, les enquêtes qui n'aboutissent pas au niveau de la Commission anti-corruption (Icac), ainsi que les actions perçues comme excessives de la Special Striking Team (SST), notamment contre les personnalités trop gênantes, et où la police a été déboutée par la justice dans certains cas ».
Selon notre interlocuteur, il est évident que le Premier ministre déploie une stratégie visant à changer la perception de l'opinion publique. Amédée Darga affirme que le chef du gouvernement a commencé par évoquer la présence de mafias qui auraient infiltré certaines institutions. Il a lancé et poursuit une campagne contre la drogue en mobilisant la société civile, notamment les jeunes.
« Le Central Procurement Board (CPB) a publié un rapport pour l'exercice financier 2021-22, dans lequel il critique et exprime des inquiétudes quant au degré de compétence des équipes chargées des procédures d'appel d'offres du secteur public. La SST semble adopter un profil bas depuis quelque temps. Et voilà que le Premier ministre réprimande sévèrement et sanctionne le PPS Dhaliah, non pas sur le fond, mais en raison de son refus de comparaître devant l'Icac pour répondre à l'enquête de cette institution. Tout cela est soigneusement calculé et pourrait avoir un impact positif pour influencer une partie de l'opinion publique », estime notre interlocuteur.
Rajanah Dhaliah : une carrière politique sévèrement compromise
Alors qu’il caressait l’ambition de devenir ministre, le député du no 7 (Piton/ Rivière-du-Rempart) a finalement été contraint de démissionner mardi comme Parliamentary Private Secretary (PPS) et se retrouve simple « backbencher ». Ceci est une conséquence directe de son implication présumée dans un acte de corruption alléguée dans l’attribution d’un bail à Eco Deer Park Association à Grand-Bassin. Jeudi, cet ancien directeur-général de la State Trading Corporation et de Vivo Energy a été inculpé sous une accusation provisoire de trafic d’influence.
Lâché par le Premier ministre, Pravind Jugnauth, qui l’avait dans un premier temps soutenu après avoir entendu ses explications, Rajanah Dhaliah se trouve aujourd’hui aussi en mauvaise posture politique. Samedi dernier, lors de la réunion du comité central du MSM, au Sun Trust, le message était on ne peut plus clair. « La goutte d’eau a été ces « delaying tactics » dont l’option d’avoir recours au Privy council pour ne pas se rendre à l’Independent Commission Against Corruption (Icac) qui l’avait convoqué. La position de Pravind Jugnauth a toujours été de répondre aux convocations. Il a d’ailleurs lui-même toujours respecté cette ligne de conduite », confie une source proche au Bureau du Premier ministre. Pour que le message soit bien compris, le leader du MSM et chef du gouvernement a clairement exprimé sa position samedi.
Est-ce que cette affaire signe la fin de la carrière politique de Rajanah Dhaliah ? En politique, les prédictions sont impossibles. Mais, valeur du jour, la probabilité que Rajanah Dhaliah reçoive une candidature aux élections générales prévues pour 2024 sont extrêmement faibles, confie-t-on au Sun Trust.
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