
- Les victimes : « Il nous a dit de mentir à la MRA »
En début de semaine, une enquête menée par la Financial Crimes Commission (FCC) a mis en lumière plusieurs fraudes liées aux Primes à l’Emploi offertes par la Mauritius Revenue Authority. Après l’arrestation de Tomeshwarnath Avilash Ramlowah, accusé d’avoir réclamé des subventions pour 285 employés fictifs répartis dans huit sociétés, d’autres suspects pourraient bientôt être dans le collimateur des autorités.
Ce qui semblait être un cas isolé pourrait en réalité révéler un système d’exploitation bien plus vaste. Plusieurs entrepreneurs peu scrupuleux, se faisant passer pour des employeurs, auraient mis en place des stratagèmes similaires pour détourner ce dispositif initialement conçu pour soutenir financièrement les jeunes, les femmes et les chômeurs de longue durée.
Publicité
Escroquerie
Des femmes travaillant pour un autre entrepreneur controversé dénoncent également avoir été exploitées dans une affaire similaire de détournement de la Prime à l’Emploi. Leurs témoignages suggèrent que la fraude pourrait être plus répandue qu’on ne le pensait initialement. Cet entrepreneur, connu des services de police pour escroquerie, aurait, à son actif, plusieurs entreprises et associations sociales enregistrées à son nom.
Une habitante d’un village du Sud raconte son expérience troublante. « J’avais vu un post sur Facebook concernant une association qui cherchait des personnes en tant que bénévoles. Une amie a pris contact et elle m’a assuré que c’était bien rémunéré. J’ai ensuite contacté, à mon tour, un dénommé Ludovic. »
« J’étais censée percevoir Rs 10 000 à Rs 15 000 »
Elle ajoute que l’interview s’est déroulée au téléphone. « Il m’a demandé si je savais parler le français couramment. Je lui ai fait remarquer que c’était du bénévolat, mais il m’a dit qu’il travaillait sur un système où je pouvais percevoir un salaire allant de Rs 10 000 à Rs 15 000, à savoir que ce n’était pas tous les jours que je devais m’y rendre », explique-t-elle.
Elle a ensuite été intégrée à un groupe WhatsApp regroupant plusieurs candidates. « Je devais me rendre dans une des branches de l’entreprise située à Forest-Side. Il m’a demandé ma carte d’identité pour qu’il puisse me payer. Toutes nos communications passaient principalement par WhatsApp », précise-t-elle.
Le premier mois, aucune rémunération n’est arrivée. Les promesses de paiement se sont multipliées, mais sans résultat concret. « Il disait que les démarches pour avoir l’argent étaient en cours, mais comme plusieurs autres femmes et jeunes filles, nous n’avons rien eu. Au bout de quatre mois, je suis partie », dit-elle.
D’autres femmes et elle se sont rendues à la MRA. C’est là qu’elles ont découvert la supercherie : l’association était en réalité enregistrée en tant qu’entreprise. « Nous étions donc éligibles à la Prime à l’Emploi. Cet argent, on ne l’a jamais reçu. Nous l’avons aussi dénoncé auprès du bureau du travail », dit-elle.
Juliana, jeune mère célibataire, témoigne d’une expérience similaire. « J’avais vu une offre faite par une jeune femme dans un post pour travailler auprès des personnes vulnérables. Cela m’a intéressé. » On lui avait promis de bénéficier de la Prime à l’emploi tout en conservant les allocations pour ses trois enfants en bas âge : « Je lui ai demandé si la pension de mes enfants serait supprimée si j’acceptais cette offre. Elle m’a assuré que non. Ensuite j’ai su que c’était la secrétaire qui me parlait. »
Quatre mois et toujours pas de salaire
Après avoir rejoint le même groupe WhatsApp où se tenaient exclusivement les réunions, elle a attendu quatre mois sans recevoir de salaire. « Nous étions plus d’une trentaine de femmes à travailler pour lui. Il animait les réunions et disait que l’argent serait déboursé. J’ai attendu quatre mois et n’avais toujours pas été payé. Plus dramatique encore, j’ai constaté que la pension de mes enfants avait été supprimée deux mois après avoir accepté ce travail », déplore-t-elle.
Puis elle ajoute ceci : « Lors d’une réunion, il nous a demandé de mentir si des officiers de la MRA nous contactaient. » Exaspérée, Juliana s’est également tournée vers la MRA. « Au bureau du travail, il a été convoqué à maintes reprises. Il avait pris l’engagement à nous payer, mais en vain », s’indigne-t-elle, réclamant la restitution de l’argent pour subvenir aux besoins de ses enfants.
Un enregistrement vidéo d’une de ces réunions virtuelles est parvenu à la rédaction du Défi Plus. On y voit l’entrepreneur s’adresser aux participantes : « MRA, tou kas ankor dan zot pos… Nou bizin dekesman… Bann benevol ki travay pou fondasion… Aster zot pe travay pou enn lot… ki touzour ed bann dimounn pov. »
Ses directives sont sans équivoque : « Ninport ki apel zot gagne pou MRA, zot pou bizin kouma dir koz manti… Pou la bonn koz. Dayer bann dimounn deza ena dan sa lalis la. Zot gagn konfirmasion ki ziska ler MRA pankor pey nou. Tou kas ankor dan zot pos e nou pe atann kan pou gagn dekesman… La ousi ena enn erer de la par bann fonksioner. Nou pe bizin pas par derier ek koriz sa bann erer zot pe fer la. » Durant cette réunion, l’entrepreneur a également mentionné disposer des adresses email de ses présumées employées : « Mo demann zot adres mel. Li inportan. Tou zot ‘payslip’ pa pe inprime, me zot pou gagn li tou lemwa lor zot mel. Ladan pou ena komie koupe, CSG, tou linformasion ladan. »
Un homme au casier judiciaire bien garni
L’enquête révèle un profil particulièrement inquiétant. Sur ses réseaux sociaux, l’entrepreneur, Rudy Labonnette, se présente comme un « leader social » et se dit « passionné par la collecte de fonds et les organisations à but non lucratif ». Il prétend diriger une entreprise « œuvrant pour les sans-abris ».
Cependant, son passé judiciaire raconte une tout autre histoire. Loin d’être un philanthrope désintéressé, l’entrepreneur cumule les condamnations pour malversations financières. En 2010, il a été arrêté pour émission de chèques sans provision. Puis, en septembre 2011, alors qu’il était âgé de seulement 24 ans, il s’est retrouvé à nouveau devant la justice, poursuivi pour huit chefs d’accusation d’escroquerie.
Il lui est reproché d’avoir détourné pas moins de Rs 213 114,50 de la société qui l’employait, alors qu’il ne percevait qu’un salaire mensuel de Rs 8 000. Ayant plaidé coupable et possédant déjà un lourd casier judiciaire, il avait été condamné à trois ans de servitude pénale.
Plus préoccupant encore, à seulement 27 ans, il avait déjà cumulé sa vingt-deuxième condamnation pour malversations. Cette fois-ci, il s’agissait d’une escroquerie à hauteur de Rs 100 000, de vol, ainsi que de faux et usage de faux. La Cour intermédiaire l’avait alors condamné à deux ans d’emprisonnement assortis d’une amende de Rs 15 000.
L’accusé : « Nou pe fer nou travay kouma bizin »
L’entrepreneur, Rudy Labonnette, réfute les accusations portées contre lui, affirmant qu’elles sont sans fondement : « Je suis à la tête de deux ONG. Les personnes travaillaient auparavant bénévolement pour ces organisations. Avec l’introduction de la Prime à l’emploi, nous avons dû commencer à les rémunérer. »
Il maintient n'avoir reçu aucun financement jusqu'à présent. « Au niveau de la MRA, nous n’avons perçu aucune somme. ‘Mo ena ONG. Mo pa fer biznes. Tou seki travay pann fer konplint. Nou fer travay sosial. Nou met tou dan’ Prime à l’emploi », insiste-t-il.
Selon ses déclarations, il aurait dû se séparer de certains bénévoles pour mauvaise conduite : « Ena dimounn ki nounn bizin aret zot. Nou pa met sa bann dimounn la deor bonavini. Ena plizir rezon. Ena osi bann ‘gross misconduct’. »
L’entrepreneur déplore des atteintes à sa réputation. « De nos jours, c’est trop facile de venir de l’avant et de ternir l’image ainsi que la réputation d’une personne. ‘Nou travay pou kontinie. Nou pe fer li kouma bizin’ », conclut-il.

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !