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Au pas, au trot, au galop… Elles domptent les préjugés

Elles s’appellent Brinda et Ouma. Palefrenières dans un monde encore très masculin, ces femmes de cœur et de courage vivent leur passion avec détermination. Entre réveils avant l’aube, blessures, et chevaux qu’elles considèrent comme leurs enfants, elles écrivent chaque jour une nouvelle page de l’histoire équestre féminine à Maurice. Portraits croisés, au rythme du sabot.

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Il est 3 heures du matin. Le silence est encore lourd dans les rues de l’Est mauricien. Mais chez Brinda Nandkihore, 34 ans, la journée a déjà commencé.

Elle se lève sans alarme. « Mon corps connaît le rythme. Je suis palefrenière depuis que j’ai 15 ans. C’est devenu ma seconde nature. » Le temps d’avaler un thé chaud, elle enfile ses bottes, noue ses cheveux, et fonce à l’écurie où l’attendent ses premiers compagnons du jour : les chevaux.

Brinda n’a pas choisi ce métier pour faire joli dans un tableau. « Mon père est mort quand j’étais encore jeune. Ma mère se débattait pour faire vivre la famille. J’ai dû l’aider. C’était une question de survie. » Elle marque une pause. « Je me souviens du regard du patron quand je suis venue demander du travail. Il m’a dit : “T’es sûre ? C’est pas pour les filles, ça…” »

Mais elle était sûre. Et elle n’a jamais lâché.

« À mes débuts, j’étais la seule femme. C’était dur, mais mes collègues m’ont épaulée. Ils m’ont formée, ils m’ont protégée. »

Petit à petit, elle gagne leur respect. Et surtout celui des chevaux. Car, dans ce métier, le véritable patron, c’est l’animal. « Si le cheval ne t’accepte pas, t’es foutue. Mais si tu gagnes sa confiance, c’est un amour inconditionnel. »

Un amour qui fait parfois mal

Brinda a connu les accidents. Des ruades, des chutes, des nuits à la clinique. « J’ai eu des côtes cassées, des contusions, des points de suture. Mais j’ai toujours voulu revenir. » Pourquoi ? Elle sourit. « Parce que j’aime mes chevaux. Ce sont mes enfants. »

Son regard se voile quand elle évoque les victoires : « Certains chevaux que j’ai soignés ont remporté des titres. Quand ils passent la ligne d’arrivée, c’est comme si c’était moi qui courais. Je suis fière. »

Le rythme est intense

Elle commence à 4 h 30 du matin, termine à 9 h 00, rentre chez elle faire les tâches ménagères, mange un morceau, puis repart de 13 h 30 à 14 h 00. « Il faut manger bien, rester focus, et surtout dormir. Le sommeil, c’est vital dans ce métier. »

Célibataire, elle vit sa vie à son rythme. « Peut-être que si j’étais mariée, je n’aurais pas pu continuer. Mais aujourd’hui, je suis libre, et je fais ce que j’aime. »

« Être palefrenière, c’est pas facile. Mais c’est pas impossible non plus. Il faut du cœur, de l’endurance et de l’amour. »

Et de la complicité. Car Brinda n’est plus seule. Depuis quelques années, une autre femme a rejoint les écuries. Elle s’appelle Ouma Audeen, a 46 ans, et un regard de feu.

Mariée à un planteur, mère d’une adolescente de 14 ans, Ouma a choisi cette voie pour subvenir aux besoins de sa famille. Mais aussi, pour suivre sa passion. « J’ai toujours aimé les chevaux. Enfant, je les observais de loin. Aujourd’hui, je suis avec eux chaque jour. »

Au départ, sa famille n’était pas d’accord. « Ma mère me disait : c’est un métier d’homme, tu vas souffrir, tu vas te faire mal. Mon mari était perplexe. Mais j’ai insisté. Et ils ont vu que j’étais heureuse. »

Elle aussi a connu les doutes, les douleurs, les blessures. « J’ai eu des bleus, des maux de dos, des pieds enflés. Mais chaque fois que je touche un cheval, j’oublie tout. »

« Les chevaux sentent quand tu les aimes. Ils te le rendent. Un cheval, c’est comme un enfant. Il faut l’écouter, le comprendre, lui parler. »

Aujourd’hui, elle est totalement autonome. Elle prépare les chevaux, les nourrit, les soigne, les accompagne à l’entraînement. « Je suis capable de tout faire. Mes collègues me respectent. Et moi, je respecte leur savoir. »

Le respect, c’est la clé dans ce monde fermé et physique. « Les chevaux peuvent peser jusqu’à 500 kilos. Il faut avoir de la force, mais surtout, de la patience. »

Et une routine de fer

Ouma se lève tôt, fait son travail, s’occupe de sa fille, reprend l’après-midi. « Il faut être disciplinée. On ne peut pas se laisser aller. »

Son rêve ? Que sa fille soit fière d’elle. « Je veux qu’elle voie que sa maman n’a pas peur. Que les femmes peuvent faire tous les métiers. Même ceux qu’on dit réservés aux hommes. »

Aujourd’hui, elles sont plusieurs femmes dans les écuries. Un petit groupe qui ne cesse de s’agrandir. « Avant, on nous regardait de travers. Maintenant, on nous regarde avec respect. » dit Brinda. « Le monde change. Il faut juste oser. »

Et si le cheval était le miroir de leur force intérieure ?

Brinda rit : « Quand je monte sur un cheval, je sens que je contrôle ma vie. J’ai les rênes. Littéralement. » Ouma acquiesce : « Un cheval ne ment pas. Il sent si tu es fatiguée, triste, ou en colère. Il t’oblige à te recentrer. »

Ce métier, elles ne veulent pas le quitter. Jamais ! « Même à 60 ans, si je peux encore nettoyer un sabot, je le ferai », assure Brinda. « Je n’échangerais pas ma vie pour un bureau climatisé », lance Ouma dans un éclat de rire.

Elles ont conquis leur place

Avec courage, discrétion et persévérance, ces femmes palefrenières ont gagné leur pari : vivre de leur passion, dompter les carcans sociaux, et montrer que l’amour peut faire plier les obstacles les plus massifs.

Elles n’ont pas de cape. Pas de trophée. Mais elles ont cette fierté simple et indomptable des héroïnes de l’ombre.

« À cheval, je suis libre », dit Brinda. « Avec eux, je me sens vivante », ajoute Ouma.

Et chaque matin, alors que le soleil se lève lentement sur les paddocks, leurs pas résonnent comme une réponse au silence des préjugés. Un pas, un trot, un galop… vers plus d’égalité. Et beaucoup d’amour.

Quelques chiffres et repères

  • Poids moyen d’un cheval de course : entre 400 et 500 kg
  • Nombre de femmes palefrenières à Maurice : moins d’une dizaine
  • Heure moyenne de prise de service : 4 h 30
  • Durée de travail quotidienne : environ 6 heures réparties entre matin et après-midi
  • Risques fréquents : morsures, ruades, chutes, fatigue musculaire

Ajagen Koomalen Rungen et Azeem Khodabux 

 

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