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Ashok Subron : «Il ne faut pas croire que ce sera une élection facile»

Tous les éléments sont en place pour former un vaste front de l’opposition, nécessaire pour obtenir la majorité des trois quarts au Parlement indispensable à la mise en œuvre de changements fondamentaux dans la Constitution, affirme Ashok Subron. Face aux mesures sociales du gouvernement, il est crucial, ajoute-t-il, que l’opposition parlementaire et extraparlementaire s’accorde sur une nouvelle dynamique pour le pays et passe à l’action. 

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Rezistans ek Alternativ organise une conférence constitutionnelle dans quelques jours. Quels sont le but et la philosophie derrière cette initiative ?
La conférence aura lieu le samedi 30 mars, à Unity House, Beau-Bassin, de 13 h 30 à 14 h 30. Elle sera co-présidée par l’ex-Directeur des poursuites publiques (DPP), Me Satyajit Boolell, et Nalini Burn. Nous avons tenu à ce qu’il y ait un homme et une femme crédibles et respectés, et qui croient dans le besoin d’un changement constitutionnel, pour présider cette conférence. 

La société civile est invitée. Nous attendons environ 25 à 30 personnes de milieux divers. Chaque organisation politique invitée pourra amener jusqu’à 10 personnes en sus de son représentant. Les médias seront invités à couvrir cette conférence en direct. Les partis politiques invités pourront aussi diffuser la conférence sur leurs réseaux sociaux. Ainsi, les gens pourront suivre la conférence. 

Ce ne sera pas un débat contradictoire, mais un espace où les partis politiques de l’opposition pourront venir dire quels sont les cinq changements prioritaires, selon eux, à apporter à la Constitution et comment ils comptent les réaliser. Soulignons que cette conférence se fait spécifiquement dans le contexte des élections générales. Le but est de faire en sorte que ces changements constitutionnels deviennent la colonne vertébrale du programme de changement des partis de l’opposition parlementaire et extraparlementaire. 

Nous voulons éviter que les élections se résument, une fois de plus, à un changement de visages, d’équipe ou de couleur. Nous considérons que nous vivons dans un moment assez spécial, où nous sommes dans une fin de cycle long à Maurice. Celui-ci a débuté à l’Indépendance. Les outils sur lesquels la société s’est reposée pour amorcer le vivre-ensemble et son fonctionnement après l’Indépendance sont arrivés à la fin de leur durée de vie. 

Tout système en fin de cycle long génère beaucoup de dynamiques qui peuvent être dangereux pour la société, si on ne se penche pas dessus. On l’a vu dans diverses sociétés à travers le monde.

La démocratie ne se résume pas à l’élection d’un gouvernement. Elle doit être inclusive. La démocratie et le vivre-ensemble, c’est de la négociation permanente»

Quelle est la philosophie derrière cette conférence ?
À l’intérieur de ce cycle long, toutes les permutations politiques, en termes d’alliances et autres, ont été faites. Nous en sommes à des remakes avec différentes variations. 

Mais, nous sommes aussi à une fin de cycle court, avec le gouvernement qui est au pouvoir et qui dirige le pays depuis 2014. Ce cycle court a été caractérisé par différents changements de fond. 

Nous avons assisté à un pourrissement systémique avancé, avec un blocage du système qui développe des crises constitutionnelles majeures avec, par exemple, ce conflit entre la police et le DPP. Ce sont des choses sans précédent. 

Nous sommes à un moment dangereux, avec le parti au pouvoir qui montre des caractéristiques d’un populisme autoritaire reposant sur un fond communalo-sectaire. Une section de la police cherche un pouvoir absolu et, pour diverses raisons, en veut au DPP. Cette crise prend des dimensions extrêmement dangereuses. Nous assistons à une amplification de cette crise avec la création de la Financial Crimes Commission. 

Nous devons donc discuter de la Constitution dans ce contexte. Il est l’heure de se poser et de réfléchir aux changements à apporter pour mieux avancer. Nous avons aussi un dépeuplement, où les gens quittent le pays, et un repeuplement caractérisé par l’arrivée de nouveaux riches, dont certains peuvent acheter des villas en bord de mer à plus de Rs 600 millions, mais aussi l’importation de travailleurs étrangers. 

Nous sommes à un tournant de la société mauricienne. Nous sommes aussi à un moment où il y a une perpétuation d’une bourgeoisie économique et d’une bourgeoisie d’État. Le MSM a introduit une autre dimension à la bourgeoisie d’État. Nous assistons à un transfert de richesses du bas vers le haut sans précédent. Cette conférence se tient à un moment clé où Maurice est en train d’être redessiné. 

Vous avez invité les partis de l’opposition à participer. Qui sont ceux qui ont accepté de venir ? Est-ce que vous avez invité des partis au pouvoir ?
Rezistans ek Alternativ a mené plusieurs rounds de discussions avec les partis parlementaires et extraparlementaires d’opposition. Nous avons proposé un front unitaire sur la base d’un programme articulant cinq changements constitutionnels majeurs. L’idée de cette conférence a été accueillie positivement. Plusieurs partis ont déjà confirmé leur présence, et par égard pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, nous annoncerons les participants en temps voulu.

C’est une initiative que nous avons entamée avec beaucoup d’humilité. Il y a une grande attente des Mauriciens pour des réflexions de fond sur des sujets importants.

Le MSM, bien qu’il mène campagne sur des mesures sociales, pourrait trouver cela insuffisant pour convaincre lors des prochaines élections générales»

À quoi va aboutir cette conférence ?
Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Neuf partis d’opposition sont invités. Cette conférence sera un espace de compréhension de ce qu’il faut changer. On ne peut pas savoir d’avance ce qu’il va se passer. Il est également prématuré de spéculer sur d’éventuelles convergences qui pourraient constituer le fondement d’une participation unifiée aux prochaines élections générales. 

Nous aspirons aussi à susciter un débat au sein de toutes les sphères de la société concernant la nécessité de changements profonds de la Constitution. Il est possible qu’il y ait une seconde conférence après le 30 mars, avec une plus grande implication de la société civile.

Quels sont les aspects de la Constitution qui ont, selon vous, le plus besoin d’attention ?
Il y en a beaucoup. Pour Rezistans ek Alternativ, il faut des changements pour une démocratie mauricienne, citoyenne et participative. Nous devons adopter une Constitution qui promeut la citoyenneté mauricienne et pas la représentation communale. Il faut une dose de proportionnelle pour que les différents sensibilités et courants de pensée politique puissent être représentés au Parlement. 

Il faut aussi accorder aux électeurs le droit de révoquer un parlementaire qui aurait « fané » ou qui ne serait pas à la hauteur, entre deux élections. Il faudrait inclure le référendum dans la Constitution. Les droits économiques doivent être inclus dans la Constitution. On a adhéré à la Convention internationale sur les droits sociaux et politiques pour que les droits des citoyens ne deviennent pas un outil de clientélisme électoral, comme on le voit maintenant. 

Le droit de la nature doit également être reconnu dans la Constitution. Vous vous rendez compte qu’aujourd’hui, on doit prouver en cour qu’on a un locus standi quand on veut contester un projet qui endommage le bien commun qu’est la nature ! 

En somme, il s’agit de mettre en place l’île Maurice de demain. La Constitution doit promouvoir la paix qui interdirait des bases militaires sur nos terres et garantirait un non-alignement perpétuel. Nous ne sommes pas des guerriers pour aller participer à des conflits entre grands pays. Notre Histoire n’est pas suffisamment intégrée dans notre Constitution et il faudrait le faire d’une façon ou d’une autre.

Une des critiques qui revient le plus est la concentration des pouvoirs entre les mains du Premier ministre. Est-ce que ce sera un objet d’attention durant la conférence ? Décentraliser les pouvoirs ne pose-t-il pas le risque de conflits et de blocages au niveau décisionnel ?
La question de la concentration des pouvoirs est centrale. Maurice a eu une Constitution taillée sur mesure pour que le Premier ministre ait le pouvoir qu’avait le colonisateur, un pouvoir quasi absolu, notamment en termes de nominations et de la fixation de la date des élections. 

Un amendement nécessaire consisterait à diminuer le pouvoir du Premier ministre pour que des nominations clés ne se fassent plus en consultation avec le leader de l’opposition, mais requièrent son accord. Nous avons actuellement un Premier ministre qui a eu un soutien de 28 % de la population aux dernières élections, mais qui a un pouvoir absolu sur les institutions, alors que le leader de l’opposition représente ceux qui n’ont pas voté en faveur du gouvernement. 

La démocratie ne se résume pas à l’élection d’un gouvernement. Elle doit être inclusive. La démocratie et le vivre-ensemble, c’est de la négociation permanente. C’est peut-être même l’abécédaire du vivre-ensemble.

La période électorale a commencé avec la démission de Vikram Hurdoyal (…) L’ensemble de l’opposition, y compris Rezistans ek Alternativ, est en retard»

Qu’est-ce qui peut être fait pour plus de bonne gouvernance et de transparence ?
Nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire qu’une institution unique soit chargée de veiller à la bonne gouvernance ou à la transparence. C’est aux citoyens d’instaurer l’ordre lorsqu’ils en ont le pouvoir. 

Il est également temps de ré-imaginer nos institutions et de penser au-delà des normes établies. Pourquoi ne pas envisager un système permettant à des citoyens de siéger sur des conseils d’administration ? L’adoption d’un Freedom of Information Act est également essentielle. 

Il existe de multiples façons de permettre aux citoyens de jouer le rôle de chien de garde. À l’ère des nouvelles technologies, pourquoi ne pas rendre publiques toutes les informations concernant l’État et la société, tout en préservant l’intégrité individuelle ?
Nous pouvons aspirer à une société ouverte, à l’image de ce qui se fait déjà avec succès dans certains pays scandinaves. La digitalisation, souvent utilisée pour surveiller la société, pourrait être réorientée pour permettre une surveillance des structures de l’État par les citoyens. 

De plus, pourquoi ne pas promouvoir la participation des travailleurs dans la gestion des compagnies privées ? Cela contribuerait à la bonne gouvernance, ces entreprises étant souvent sources de dysfonctionnements au niveau de l’État.

Pour apporter des changements à la Constitution, il faut une majorité de 2/3 ou de 3/4 dépendant des clauses. Qu’est-ce qui vous dit que l’opposition pourra y arriver ?
La première stratégie de Rezistans ek Alternativ pour induire des changements constitutionnels en cette fin de cycle est de constituer un front commun entre l’opposition parlementaire et extraparlementaire. Cela ne signifie pas renoncer aux principes idéologiques, mais plutôt reconnaître la crise profonde que nous devons surmonter pour assurer l’avenir du pays.

Une partie de la population se reconnaît dans les partis traditionnels, tandis que d’autres préfèrent les partis non-traditionnels. Pour réaliser des changements, une majorité des trois quarts au Parlement est nécessaire. Avec un front uni de l’opposition, nous augmentons nos chances d’atteindre cette majorité des trois quarts.

Il est crucial de profiter de ce moment unique où nous nous trouvons. Vous vous rendez compte qu’il existe une majorité constitutionnelle de 70 % qui n’est pas au pouvoir…

On a des gens comme Paul Bérenger et Navin Ramgoolam (…) Ces deux leaders ont une responsabilité vis-à-vis du pays dans la dernière partie de leur vie»

Pour un grand front de l’opposition, il y a bien des ego et ambitions personnelles à réconcilier. Est-ce vraiment possible ? 
J’espère que nous pourrons réconcilier nos différences à temps et rassembler les fragments de notre société. Beaucoup de citoyens appellent de leurs vœux un front d’opposition porteur d’un véritable programme de rupture. Le MSM, bien qu’il mène campagne sur des mesures sociales, pourrait trouver cela insuffisant pour convaincre lors des prochaines élections générales. 

L’opposition doit pouvoir démontrer qu’elle envisage un avenir différent et pour cela, un programme de fond est absolument nécessaire. On a des gens comme Paul Bérenger et Navin Ramgoolam, et des partis comme le MMM et le PTr, qu’on ne pourra jamais effacer. Ces deux leaders ont une responsabilité vis-à-vis du pays dans la dernière partie de leur vie. Il y a des choses qu’ils peuvent faire. C’est une question de prendre ses responsabilités. 

Je pense aussi à Valayden, Bodha, Bruneau… il faut une politique de rupture. On ne doit pas penser que le gouvernement au pouvoir n’est pas capable de remporter les élections une nouvelle fois. Le MSM sous la direction de Pravind Jugnauth a remporté les élections en 2019, dans une lutte à trois certes, mais il a gagné. Il ne faut pas croire que ce sera facile de changer ce gouvernement. 

Il est essentiel de montrer que nous ne répéterons pas ce qui a été fait au cours des 40 dernières années. Il incombe à tous les partis de l’opposition de présenter un projet de changement radical. Ce moment doit être une réplique des élections pour l’indépendance et celles de 1982. Il ne faut pas s’attendre à une élection facile. Sur le papier, cela peut sembler simple, mais dans la réalité, de nombreux facteurs entrent en jeu. Il est crucial de démontrer en quoi l’opposition peut se différencier fondamentalement du MSM. 

Quelle est la rationnelle d’un gouvernement de transition ?
Il s’agit de faire évoluer le pays au-delà de sa première phase post-indépendance, en tirant les leçons du passé et en lui offrant un nouveau « système d’exploitation ». De nombreux partis de l’opposition expriment leur scepticisme quant à l’idée d’un gouvernement de transition de deux ans. Chez Rezistans ek Alternativ, nous sommes convaincus de la pertinence de notre proposition. Nous avons suggéré de dissoudre le Parlement après deux ans, tout en restant ouverts à la discussion sur ce sujet.

Sommes-nous déjà en période électorale ?
Oui. Cela a démarré depuis la démission de Vikram Hurdoyal en tant que député, après sa révocation comme ministre. Cela a fait avancer un peu le compte à rebours. Les mesures sociales du gouvernement sont un indicateur. Nous pensons que l’ensemble de l’opposition est en retard, y compris Rezistans ek Alternativ.

Rezistans ek Alternativ se dresse contre la déclaration ethnique pour pouvoir être candidat aux élections générales. Cette obligation reste présente dans la loi. Que comptez-vous faire à ce sujet ?
Depuis 18 ans, nous menons un combat actif contre la déclaration ethnique lors des élections générales pour les candidats. Le gouvernement n’a ni réussi à mettre en œuvre un mini-amendement constitutionnel, ni à proposer une réforme électorale jugée acceptable. 

Nous ne nous faisons aucune illusion et ne croyons pas qu’il proposera un quelconque amendement lors de la dernière session parlementaire, s’il y en a une. C’est un régime qui ne répond pas aux critères des changements constitutionnels que nous préconisons.

Notre lutte a conduit à des progrès significatifs, notamment une prise de conscience au sein de la société, et nous avons remporté des victoires judiciaires. La déclaration communale est totalement inadmissible. Notre combat sur le plan légal se poursuivra.

Rezistans ek Alternativ participera aux prochaines élections tout en continuant cette lutte. La première option est de s’inscrire dans un large front de l’opposition. La deuxième option est de se présenter aux côtés d’autres organisations qui partagent notre vision et notre projet de société. La troisième option serait d’aligner nos candidats avec nos alliés traditionnels, comme nous l’avons fait par le passé.

 

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