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Alain Laridon ancien député et ambassadeur en Afrique australe : «Le mauricianisme existe dans le quotidien des Mauriciens»

Depuis l’indépendance de la République de l’île Maurice, l’état Archipel, la question identitaire apporte son lot d’affirmations et d’interrogations au milieu d’un débat qui cherche ses repères, tant durant la colonisation qu’en ces années post-coloniales. La question s’en est retrouvée complexifiée avec l’enjeu géopolitique et un certain repli sur soi et des crispations des identités.  Selon Alain Laridon, militant indépendantiste marxiste en 1968, ex-député et ancien ambassadeur en Afrique Austral, toute tentative de définir une identité mauricienne doit résolument s’ancrer dans les réalités propres à notre Archipel.

Faut-il se définir par rapport à sa morphologie et sa foi ou plutôt dans des expériences quotidiennes collectives, des réactions et des comportements ?  À cette question de nature superficielle, Alain Laridon fait valoir l’expérience mauricienne faite de réactions, de solidarité et d’empathie. « Le vivre-ensemble à Maurice n’est pas un discours creux et ne s’apprend pas à l’école, c’est un comportement intériorisé qui se transmet dans la pratique grâce au bon voisinage, à l’acceptation de l’autre, à la tolérance. Les Mauriciens n’acceptent pas les discours sectaires », fait observer Alain Laridon avant d’ajouter : « La définition de la ‘nation’ au sens moderne du mot possède une dominante politique. Ainsi, dans ce sens, elle peut désigner un État ou un peuple ayant l’objectif politique de maintenir ou d’instituer un État, ou du moins de se constituer en une structure politique autonome. Mais la réalité de l’île Maurice impose une autre définition qui pourrait paraitre nébuleuse, mais qui a l’avantage de se tenir et qui tient compte de la dimension du sacré dans la psyché des Mauriciens. Ainsi, nous avons vu le mauricianisme s'exprimer de manière spontanée durant la crise économique et la menace d’une rupture de notre approvisionnement en aliments durant la Covid-19 et, plus récemment, lors des inondations provoquées par le cyclone Belal ». 

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Pays de peuplement

Pays de peuplement, avec deux siècles d’histoires l’île Maurice a été obligée de s’accommoder de la communauté française – les colons -, d’esclaves d’origine malgache et africaine et plus tard des engagés venus de l’Inde à l’abolition de l’esclavage et d’une petite communauté de Chinois. « Il s’est passé une sorte d’ingénierie sociale, économique, culturelle et religieuse qui a épargné à Maurice coloniale des révoltes sanguinaires entre, d’un côté les colons et de l’autre, les esclaves et les engagés. Puis, l’indépendance a été obtenue parce des négociations et pas par des luttes de libération comme cela a été le cas dans de nombreux pays en Afrique, entre autres. Toutefois, après les bagarres communales de 1968, année de l’accession à l’indépendance qui a été combattue par Gaëtan Duval et son parti, le PMSD, il y a eu l’intelligence de Seewoosagur Ramgoolam et de ce dernier de former un gouvernement d’unité nationale sous l’impulsion de Michel Debré, député de La Réunion, sans doute pour empêcher que Seewoosagur ne tombe dans le giron de l’ex-Urss », fait ressortir Alain Laridon. Cependant, la contrepartie de cette concession de part et d’autre a eu pour effet de jeter une bonne partie de l’électorat du PMSD dans les rangs du MMM naissant.

« …action syndicale du MMM »

« Je pense que l’action syndicale du MMM a aussi permis de créer une conscience de classe au sein des classes laborieuses après les terribles émeutes communales de 1968 », fait valoir Alain Laridon. « Grâce à cette dimension de classes, les travailleurs dans tous les secteurs d’activité ont commencé par mettre de côté des divergences qui les avaient opposés en 1967-1968. Mais, il ne faut pas croire qu’il y avait déjà là une conscience identitaire mauricienne, ce sont les collégiens de Mai-75 qui avaient tenté de répondre à cet enjeu en réclamant la décolonisation du système éducatif mauricien. C’est aussi en ces années-là qu’il y a eu des débats, des colloques en kreol organisés par le MMM, puis le MMM-SP ».

Depuis ces 20 dernières années est apparu le terme de métissage qui tente de s’inscrire contre une certaine définition clivante des identités en ce que celles-ci peuvent conduire à des crispations et revendications excluantes et dangereuses. « Les communautés issues du métissage apportent du ciment additionnel à l’identité mauricienne, elles sont dynamiques et progressives et repoussent toute forme d’orthodoxie. C’est une nouvelle manière d’appréhender la notion de l’identité et qui est toujours ancrée dans une démarche inclusive. La particularité du métis est qu’il échappe à toute catégorisation ethnique, mais ce facteur est aussi une problématique dans une société comme celle de l’île Maurice où il faut absolument se définir en des termes ethniques. Pourtant, il n’existe pas de communautés dites pures à Maurice », fait observer Alain Laridon.

Le prisme de la culture occidentale

Ce dernier met en garde contre la tentation de définir l’identité mauricienne par le prisme de la culture occidentale, laquelle exclut toute influence des religions/spiritualité dans la sphère publique. « Le Mauricien est très croyant et toute sa vie est structurée autour de la volonté divine. Le Mauricien est convaincu que rien n’arrive sans cette volonté. C’est ce qui explique le nombre de fêtes religieuses et parfois la présence de politiciens durant celles-ci, à l’invitation des chefs d’organisation religieuses », fait observer Alain Laridon. Pour autant, poursuit-il, l’équilibre entre la sphère religieuse et celle de l’administration des affaires publiques n’est pas toujours acquis. « Chacun veut protéger ‘so montagn’ et cette démarche peut parfois se réaliser au détriment des autres communautés. C’est ici que les lois interviennent afin de suppléer aux lacunes parfois inhérentes aux pratiques qu’on croit infaillibles. Aussi faut-il être vigilant et très prudent sur nos gardes », dit-il. Cette mise en garde doit être constamment renouvelée surtout lorsqu’interviennent des crises sociales où certains n’hésitent pas à mettre une coloration communautaire sur les responsabilités. « C’est une tentation omniprésente dans les sociétés pluri-religieuses où les équilibres sont très fragiles, comme au Liban. D’autant que dans un monde connecté en temps réel, on réagit parfois de manière épidermique aux évènements de nature communautariste qui surviennent à l’étranger et qui n’ont aucun rapport avec Maurice », fait-il observer.

 

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