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Adoption du Public Inquiries Act - Enquêtes publiques : la réforme qui divise

Me Parvez Dookhy dénonce une dérive inquiétante du pouvoir exécutif. Me Coomara Pyaneandee salue l’introduction de la nouvelle loi.

Le Public Inquiries Act promet une révolution des enquêtes publiques à Maurice : plus de transparence, plus de droits pour les personnes impliquées… Mais derrière cette réforme saluée par certains comme nécessaire, d’autres dénoncent un glissement inquiétant du pouvoir vers le Premier ministre. 

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Le Public Inquiries Act, adopté mardi au Parlement, vise à transformer fondamentalement le système des enquêtes publiques à Maurice. Cependant, cette réforme ne fait pas l’unanimité. D’un côté, l’avocat Coomara Pyaneandee salue cette initiative comme une « réforme institutionnelle nécessaire » qui renforcerait la transparence et protégerait mieux les droits individuels. De l’autre, l’avocat constitutionnaliste Parvez Dookhy y voit un dangereux « colorable device », un mécanisme qui, sous couvert de modernisation, concentrerait davantage de pouvoir entre les mains du Premier ministre, selon lui.

Ce texte de loi, qui remplace le Commission of Inquiry Act de 1944 hérité de l’administration britannique, promet une supervision parlementaire accrue des enquêtes publiques. Il soulève, toutefois, simultanément, des questions sur l’équilibre des pouvoirs dans une démocratie parlementaire.

L’un des changements fondamentaux concerne la transparence des rapports d’enquête. « Le Premier ministre peut recommander une commission, mais le rapport doit désormais être déposé devant l’Assemblée nationale, sauf pour des raisons de sécurité nationale ou s’il existe un risque de préjudice grave portant atteinte aux droits privés d’une personne », explique Me Pyaneandee. Cette disposition contraste avec le Commission of Inquiry Act de 1944, qui permettait au gouvernement de garder les rapports finaux confidentiels à sa discrétion.

Le nouveau texte prévoit également des mesures visant à protéger les droits des personnes impliquées dans les enquêtes. Certaines auditions pourront se tenir à huis clos, et certaines preuves pourront être recueillies ou examinées de manière confidentielle afin de préserver « l’intégrité d’une personne » mise en cause et les aspects privés de sa vie. Me Pyaneandee insiste toutefois sur le fait que le principe général demeure la tenue d’audiences publiques.

Une avancée significative du Public Inquiries Act est l’obligation d’informer toute personne nommément citée ou visée par des allégations potentiellement préjudiciables, et de lui offrir une opportunité de répondre. Cette disposition est particulièrement importante pour Me Pyaneandee, qui évoque son expérience personnelle : « J’ai dû faire face à des commentaires défavorables la suite de la publication du rapport de la commission d’enquête sur la drogue, présidée par l’ancien juge de la Cour suprême, Paul Lam Shang Leen. J’ai finalement obtenu gain de cause devant le Privy Council, où les Law Lords ont ordonné la suppression de ces passages. Ce genre de contestation peut vous faire perdre confiance dans la justice. Cela m’a aussi coûté beaucoup d’argent. Ma réputation en a pris un coup. »

Le projet de loi introduit également des règles plus strictes concernant le déroulement des auditions, notamment le droit à la représentation légale, la communication des preuves, et le respect du droit à contre-interroger une personne ayant porté des accusations. Sous le Commission of Inquiry Act de 1944, ces procédures étaient souvent définies par les commissaires eux-mêmes, sans garanties systématiques.
Ainsi, pour Me Pyaneandee, le Public Inquiry Act est « une bonne législation » dans l’ensemble. Mais il précise que le texte de loi devra être testé devant la justice et mis à jour après un certain temps.

Inquiétudes constitutionnelles

À l’opposé, l’avocat constitutionnaliste Parvez Dookhy exprime de sérieuses réserves concernant ce texte de loi. Pour lui, cette réforme constitue un exemple manifeste de « colorable device », c’est-à-dire, un mécanisme détourné qui dissimule une intention de contrôle politique sous l’apparence d’une réforme administrative.

Dans son analyse, Me Parvez Dookhy affirme que le projet n’apporte aucun changement fondamental sur le fond. « C’est un pur changement sémantique », explique-t-il, soulignant qu’on passe simplement de « Commission of Inquiry » à « Board of Inquiry » sans modifier la structure sous-jacente. Il considère que le contrôle du Premier ministre sur ces mécanismes devient encore plus centralisé.

Cette centralisation du pouvoir représente le problème principal selon le constitutionnaliste. « C’est toujours le Premier ministre qui a tous les pouvoirs pour décider de la mise en place d’une commission d’enquête devenue techniquement comité d’enquête. »

 Il relève un paradoxe : ces enquêtes sont généralement déclenchées contre des administrations ou des ministères, et c’est précisément le chef du gouvernement – qui dirige ces institutions – qui décide de leur ouverture. L’article 3 du projet de loi lui confère effectivement le pouvoir exclusif de constituer ces comités, d’en nommer les membres, et d’en déterminer la portée, souligne Me Parvez Dookhy.

Des limitations controversées 

Me Dookhy soulève aussi la question des limites imposées aux comités d’enquête. Le projet interdit aux Boards of Inquiry d’enquêter sur des affaires faisant déjà l’objet d’enquêtes pénales ou civiles. Selon lui, ce chevauchement possible permettrait au Premier ministre d’interrompre une enquête publique simplement en déclenchant une procédure parallèle, par exemple via la police. « À tout moment, pour stopper une enquête qu’il ne maîtrise plus, le Premier ministre peut enclencher une enquête policière sur le même sujet, suspendant ainsi l’enquête publique sine die », avertit-il.

Un autre point critique concerne la possibilité pour le Premier ministre de révoquer à sa discrétion les membres qu’il a lui-même nommés. Tout cela, selon Me Dookhy, contribue à conférer au chef de l’exécutif des « super pouvoirs » en matière d’enquêtes publiques.

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L’article 32-2 : une disposition controversée

L’article 32-2 du projet de loi suscite une controverse particulière. Cette disposition prévoit la cessation immédiate de toutes les commissions d’enquête existantes dès la promulgation de la loi. Pour Parvez Dookhy, cela pourrait servir à dissoudre des commissions en cours, y compris celles où le Premier ministre est directement mis en cause. A ce stade, la seule qui est en cours concerne l’affaire Betamax.

« Il s’agit d’un moyen détourné de dissoudre une commission d’enquête », affirme-t-il, rappelant un précédent : la dissolution de l’Economic Crime Office (ECO), remplacé par l’Independent Commission Against Corruption, sans véritable continuité dans les enquêtes initiées.

Face à ces préoccupations, le constitutionnaliste appelle à un recours devant la Cour suprême. Il estime que ce projet de loi viole l’article 45 de la Constitution, qui impose au Parlement de légiférer uniquement pour la bonne gouvernance. « Là, clairement, c’est un détournement de procédure, un colorable device, et pour la mauvaise gouvernance. » Il insiste sur l’importance de préserver l’équilibre des pouvoirs dans une démocratie parlementaire.

Ramgoolan défend, Lesjongard dénonce

Au Parlement, les débats sur le Public Inquiries Bill ont opposé le Premier ministre Navin Ramgoolam et le leader de l’opposition Joe Lesjongard. Selon Navin Ramgoolam, ce nouveau texte de loi est une solution aux faiblesses des commissions d’enquête passées, citant la Commission Lam Shang Leen sur le trafic de drogue, dont les recommandations « ont disparu dans le vide » malgré des dépenses considérables. Le projet de loi, selon lui, octroie au Premier ministre le pouvoir d’initier une enquête, nommer son comité et le suspendre si nécessaire, pour des enquêtes plus efficaces.

Joe Lesjongard, lui, dénonce un « levier de pouvoir » menaçant la démocratie. Il critique les pouvoirs discrétionnaires du Premier ministre, qui pourrait contrôler ou dissoudre une enquête, surtout si elle vise son administration. « Cette loi est-elle un outil politique ? » s’interroge-t-il. Pour lui, une réforme crédible nécessite des mécanismes indépendants et transparents, non une concentration du pouvoir.

 

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