Depuis dimanche, l’annonce de Pravind Jugnauth de verser un 14e mois à tous les salariés, tant dans le secteur public que privé, a bouleversé la campagne électorale. L’Alliance du Changement a promptement réagi en promettant d’en faire de même en cas de victoire. Cette surenchère suffira-t-elle à faire oublier les révélations de Missie Moustass et d’Anonym Moris ?
Publicité
L’annonce d’un quatorzième mois de salaire a-t-elle suffi à rediriger l’attention d’une campagne jusque-là dominée par les révélations des « Moustass Leaks » ? Ces enregistrements audio, ciblant spécifiquement le gouvernement de Pravind Jugnauth, ont capté l’attention du public avec des accusations de manipulations d’appels d’offres, de relations personnelles au sein du cabinet et de dons financiers controversés.
Pourtant, malgré la promesse du 14e mois, la chaîne YouTube de Missie Moustass poursuit ses attaques, publiant de nouvelles révélations visant le Premier ministre et ses collaborateurs. La question se pose : cette promesse de dernière minute suffira-t-elle à détourner l’attention des électeurs des Moustass Leaks et à alléger la pression pesant sur Pravind Jugnauth, ou ne fera-t-elle que créer un répit temporaire ?
Pour l’observateur politique et historien Jocelyn Chan Low, la pertinence du 14e mois face aux révélations de Missie Moustass est incertaine. Il rappelle que le Mouvement socialiste militant (MSM), qui n’avait pas anticipé ces révélations, avait construit sa campagne sur ses réalisations des cinq dernières années, mettant en avant les avancées en matière de modernisation et d’infrastructures, ainsi que les mesures sociales adoptées.
Cependant, Jocelyn Chan Low estime que les fuites de Missie Moustass ont radicalement perturbé la campagne du MSM, reléguant au second plan les réussites passées au profit d’un débat autour de la mauvaise gouvernance et des scandales. « Ces révélations ont complètement sapé la campagne du MSM », déclare-t-il.
L’émergence d’Anonym Moris
Pour Jocelyn Chan Low, l’émergence récente de la page Anonym Moris sur TikTok illustre clairement l’impact des bandes sonores de Missie Moustass dans cette campagne électorale, notamment sur le MSM. Cette nouvelle page vise à contrer les révélations de Missie Moustass en soulignant les dysfonctionnements du gouvernement et en favorisant l’opposition. En se positionnant comme une voix de défense, Anonym Moris cherche à rétablir une narration favorable au MSM et à ses alliés.
Jocelyn Chan Low souligne qu’il est néanmoins difficile à ce stade de prédire si le paiement du 14e mois parviendra à atténuer l’impact des Moustass Leaks. Selon lui, la situation est d’autant plus complexe que, bien que l’on connaisse la position de l’Alliance du Changement et celle de L’Alliance Lepep, il n’existe aucune information claire sur les Moustass Leaks ni sur la page Anonym Moris. « Nous n’avons donc aucune idée de leur stratégie ni de l’effet que cela pourrait avoir dans l’esprit des citoyens », déclare-t-il.
L’imprévisibilité de Missie Moustass
L’ancien éditorialiste Yvan Martial partage l’analyse de Jocelyn Chan Low. Il souligne l’imprévisibilité qui entoure Missie Moustass : « Nous savons maintenant que le MSM a promis le 14e mois et que l’Alliance du Changement propose également cette mesure. Mais qu’en est-il des révélations que Missie Moustass pourrait faire dans les jours à venir ? »
Selon Yvan Martial, l’effet de surprise généré par les Moustass Leaks est particulièrement marqué par le fait que, contrairement aux stations de radio qui, à l’approche de la fin de la campagne électorale, devront cesser de diffuser des émissions politiques, Missie Moustass a la possibilité de continuer à faire des révélations à tout moment. « Les radios, comme nous le savons, devront interrompre la diffusion de leurs programmes politiques, et les partis ne pourront pas véritablement faire valoir leur discours le jour des élections. En revanche, Missie Moustass continuera probablement de diffuser ses bandes sonores. Nous ne savons pas ce qu’elle pourrait révéler le jour du scrutin, alors que les électeurs se dirigent vers les urnes », dit-il.
Dilemme dans un contexte économique difficile
« L’annonce du paiement d’un 14e mois par le Premier ministre Pravind Jugnauth redéfinit effectivement la fin de cette campagne électorale », souligne, pour sa part, l’observateur Faizal Jeerooburkhan. Une annonce qui, selon lui, a, au final, ouvert la voie à une surenchère politique, ne laissant à l’autre alliance d’autre choix que de suivre le mouvement pour ne pas perdre de terrain. « Sur le plan moral, il aurait été préférable que l’Alliance du Changement refuse de céder à cette pression, mais tactiquement, elle ne pouvait pas se le permettre. Proposer un 14e mois dans le contexte actuel n’est pas un signe de bonne gouvernance, surtout face à une économie défaillante et une dette publique qui a atteint des sommets. Les défis sont multiples avec certains ministères qui peinent à payer les fonctionnaires leurs heures supplémentaires et le fonds de la Contribution sociale généralisée qui est complètement déficitaire », dit-il.
Pour Faizal Jeerooburkhan, bien que l’annonce du 14e mois séduise une partie de l’électorat, notamment ceux peu enclins à réfléchir aux implications économiques de cette décision, cela pose des questions cruciales sur la conscience civique et la responsabilité des citoyens. « La situation du pays ne préoccupe pas une partie des gens tant qu’ils ont de l’argent dans leurs poches », souligne-t-il.
Ce phénomène, selon lui, soulève des questions cruciales sur la conscience civique et la responsabilité des citoyens dans le processus démocratique. « L’attention portée uniquement sur les gains immédiats masque les défis structurels auxquels la nation est confrontée. Elle affaiblit aussi la capacité des électeurs à s’engager sur des enjeux politiques et économiques cruciaux. En privilégiant l’intérêt personnel, nous risquons de compromettre non seulement notre démocratie, mais également l’avenir de notre pays », explique Faizal Jeerooburkhan.
Ce qui semble cependant le désoler, c’est que l’influence de l’argent, devenu un appât électoral, a altéré la nature même des élections à Maurice. « Notre démocratie s’est finalement transformée en une vente aux enchères avec des acteurs politiques irresponsables », déplore-t-il.
L’origine de la proposition
C’est Xavier-Luc Duval, alors leader de l’opposition, qui avait initialement plaidé en faveur du paiement du quatorzième mois l’année dernière. Selon lui, les difficultés économiques rencontrées par les Mauriciens, accentuées par la pandémie de COVID-19, justifiaient une telle mesure. À l’époque, il avait adressé une Private Notice Question au ministre du Travail, qui avait répondu que cette décision ne devait pas être prise à la légère et nécessitait des consultations approfondies. Pravind Jugnauth, qui s’était également exprimé sur la proposition, avait fait montre de scepticisme, arguant que cela risquait de compromettre de nombreuses entreprises et l’emploi. Cependant, avec l’alliance entre le Mouvement socialiste militant (MSM) et le Parti mauricien social-démocrate (PMSD), Pravind Jugnauth et le MSM auraient décidé de revoir leur position. Le 14e mois, selon plusieurs sources, était prétendument une condition du PMSD pour concrétiser toute alliance avec le MSM. Le comité chargé de préparer la présentation du programme de l’Alliance du Changement aurait étudié la proposition du quatorzième mois, telle qu’annoncée par le président du Parti travailliste, Patrick Assirvaden. Toutefois, cette proposition n’aurait pas été intégrée dans le programme présenté la semaine dernière.
Un héritage de promesses électorales qui marque l’histoire politique
Les campagnes électorales à Maurice ont souvent été marquées par des annonces spectaculaires qui laissent leur empreinte dans l’histoire politique. Lors des élections générales de 1976, par exemple, sir Seewoosagur Ramgoolam avait fait de l’éducation gratuite une promesse phare, un engagement qui a profondément marqué la société mauricienne. En 2005, Navin Ramgoolam avait annoncé le transport gratuit pour les écoliers et les personnes âgées, une autre promesse qui a eu un grand écho. Puis aux élections générales de 2014, la promesse d’une pension à Rs 5 000 a constitué un véritable tournant pour L’Alliance Lepep.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !