2022 a été une année remplie d’événements, de faits marquants et de changements pour le système judiciaire. Voici ce que les légistes auront retenu de cette année. Au détour, ils confient ce qu’ils prévoient de faire pour les fêtes. Rencontre avec six d’entre eux.
Me Germain Wong Yuen Kook : la lenteur de certains procès déplorée
Selon Me Germain Wong Yuen Kook, le système judiciaire est et restera un rempart contre tout abus de l’exécutif ou du législatif. « Comme on a pu constater cette année dans l’affaire Soopramanien Kistnen, le judiciaire n’a pas hésité à exposer les lacunes de l’enquête policière », affirme-t-il.
Ce qui, selon lui, renforce l’argument selon lequel l’accusation provisoire n’a pas sa place dans notre système légal. Il déplore toutefois la lenteur de certains procès, notamment ceux liés aux pétitions électorales. Tout ce qu’il espère pour 2023, c’est qu’une Cour constitutionnelle soit enfin créée pour traiter les plaintes constitutionnelles plus rapidement.
Il estime que la nouvelle année qui arrive n’augure rien de bon pour l’indépendance de la profession légale à cause de l’arrivée du Law Practitioners (Disciplinary Proceedings) Bill. « Ce projet de loi, dans sa forme actuelle, n’a aucune raison d’être. Je suis d’accord avec plusieurs de mes collègues qui disent que c’est un ‘colourable device’ destiné à museler ceux de notre profession », martèle Me Germain Wong Yuen Kook.
Il souhaite cependant qu’au moment venu, le Bar Council prenne les choses en main pour contester la légalité et la légitimité constitutionnelle de ce projet de loi devant la Cour suprême.
Du temps pour la fête
Sur une note plus réjouissante, que compte-t-il faire pour les fêtes ? Il plaide coupable ; faute de temps, il a prévu un dîner au restaurant pour Noël et il essaiera de faire des achats de dernière minute pour offrir des cadeaux à ses proches. « Pour le Nouvel An, ce sera un dîner calme et paisible en famille », dit-il.
Me Sonali Doolooa : « Des défis surmontés et des leçons apprises »
Pour Me Sonali Doolooa, l’année 2022 a été un parcours d’apprentissage dans sa carrière d’avocate. « Il y a eu beaucoup de défis à surmonter et des leçons à apprendre », dit-elle. La première leçon qu’elle a retenue : lorsqu’une entreprise est poursuivie ou envisage d’intenter une action en justice, c’est souvent une période remplie de tension.
« Il peut y avoir de la bonne volonté entre les parties. Il n’est pas rare qu’une affaire prenne du temps car l’une des parties veut rendre la vie difficile à l’autre », souligne l’avocate. Elle ajoute que dans une telle situation, la première réaction d’un client est souvent d’embaucher un avocat perçu comme étant féroce, intransigeant et combatif.
« Lorsque vous faites tout ce que vous pouvez pour rendre votre adversaire malheureux, deux choses peuvent se produire : soit vous dépensez beaucoup de ressources et d’argent, soit vous risquez de vous trouver dans une situation qui est pire », constate Me Sonali Doolooa.
Pour elle, le rôle principal de l’avocat est de résoudre les différends d’une manière ou d’une autre. Parfois, cela signifie aller en procès. Bien plus souvent, il faut aussi trouver un compromis qui fonctionne pour le client.
« Une des premières questions que je pose est la suivante : ‘Où voulez-vous être dans un an ?’ Si le procès aide à atteindre cet objectif, on va dans cette direction. Si cela n’aide pas le client ou si cela peut lui coûter plus cher que ce qu’il n’aura en retour, j’essaie généralement de le persuader de chercher d’autres options », souligne l’avocate.
Beaucoup de questions
Selon elle, lors des premières rencontres avec un client, il est important de se renseigner sur lui, sur son entreprise, sur son but et sur son objectif. Elle soutient qu’elle n’hésite pas à poser beaucoup de questions afin de bien comprendre le problème pour mieux aider le client.
S’il y a une autre leçon que retient Me Sonali Doolooa est que durant ses premières années au sein de la profession, un avocat a tendance à se concentrer fortement sur les règles. Elle constate qu’avec de l’expérience et des années de pratique, un avocat se forge une carapace.
« Il se résume simplement à être courtois, à bien écouter, à travailler dur et à être un être humain décent », souligne-t-elle.
Dans un autre registre, que compte-t-elle faire pour les fêtes ? « La Noël et le Nouvel An sont mes fêtes préférées », soutient d’abord l’avocate avant de répondre qu’elle envisage de passer les fêtes en famille. S’il y a un moment qu’elle affectionne particulièrement, c’est l’échange de cadeaux.
Cette année, elle est d’autant plus heureuse de fêter que ses proches du Royaume-Uni seront à Maurice. Double célébration donc. Elle précise qu’elle profitera de l’occasion pour emmener son neveu Cecil à la mer car il adore cela. Elle prévoit aussi quelques randonnées. Sans compter un peu de lecture.
Me Ekant Bhavish Budhoo : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités »
Pour Me Ekant Bhavish Budhoo, tous les événements qui se sont produits en 2022 auront au moins servi à une chose : ils ont envoyé un message alarmant à la société. Ce qui ne peut l’empêcher de penser à des films de Marvel dans lesquels il a entendu cette phrase : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. » Poursuivant dans ses explications, il indique que si ce pouvoir est confié aux mauvaises personnes, « cela peut avoir des effets dévastateurs sur ce que nous appelons la démocratie ».
L’homme de loi estime que 2022 est l’une des années les plus dramatiques de l’histoire du judiciaire. Il cite l’affaire du Slovaque Peter Uricek qui a été expulsé du pays malgré un ordre d’injonction de la cour. « Le Directeur des poursuites publiques (DPP) avait par la suite demandé au magistrat du tribunal de district de Port-Louis de mener une enquête et un examen de toute infraction relative aux circonstances dans lesquelles Peter Uricek avait été déporté du territoire mauricien », relate-t-il.
Il rappelle aussi les différends juridiques dont nous avons été témoins entre le bureau de l’Attorney General (AG) et celui du DPP. Il souligne qu’à un moment donné, on a même vu l’AG tenir un point de presse pour parler de la divulgation d’un document qui, selon lui, aurait dû rester confidentiel (référence ici faite au rapport de l’enquête judiciaire sur le meurtre de Soopramanien Kistnen). « Nous avons vu, à travers la manière dont l’affaire a été traitée, à quel point notre système pénal peut être défectueux lorsqu’il est placé entre les mains de mauvaises personnes. »
Une autre révélation, poursuit l’avocat, a été la fuite de plusieurs vidéos montrant plusieurs personnes victimes d’actes de brutalité policière. Cela, dit-il, s’est produit dans un pays qui a signé et ratifié la Convention contre la torture, dans un pays dont la Constitution (l’article 7) interdit le recours à la torture ou tout traitement inhumain à l’encontre d’une personne et dans un pays dont le Code pénal, plus précisément l’article 78, prévoit une peine de dix ans de prison si un agent public a fait usage de la torture sur une personne.
Me Ekant Bhavish Budhoo précise que la population a été traumatisée à la vue des traitements barbares infligés à des suspects par certains membres de la force policière. Selon lui, la cerise sur le gâteau a été la récente vidéo montrant la dissimulation de drogue par des policiers au domicile d’une personne lors d’une supposée perquisition.
Et les fêtes dans tout ça ? Me Ekant Bhavish Budhoo dit être un fêtard. Mais il indique que cette année, il ne prévoit rien d’extravagant vu que son grand-père est décédé. Il prévoit tout de même de voir sa famille. « Avec les contraintes du métier, je passe rarement du temps avec les miens. C’est donc le moment propice pour moi de mettre de côté mes contraintes professionnelles pour passer Noël et Ie Nouvel An avec des êtres chers », affirme-t-il.
Me Yanish Cheetoo : « Pas suffisamment de structures mises en œuvre »
Me Yanish Cheetoo trouve que 2022 a été une année très mouvementée. Il estime qu’il y a eu plusieurs événements qui ont galvanisé l’opinion publique. Ce qu’il regrette surtout, c’est qu’il n’y ait pas eu suffisamment de structures et de mécanismes mises en œuvre.
Selon lui, de nombreuses choses ont ébranlé le système judiciaire. À commencer, dit-il, par la durée excessive d’un procès. « Cela ne changera guère dans un proche avenir à cause du manque de mise en œuvre de structures et de mécanismes au sein du système judiciaire, comme c’est le cas dans d’autres juridictions avancées et progressistes », martèle l’avocat.
Autre point qu’il soulève : la lenteur dans le traitement des pétitions électorales. « Le public a été témoin du temps que cela prend pour qu’une affaire soit entendue. Notre système judiciaire n’offre aucune solution pragmatique à ce niveau-là », soutient l’homme de loi.
Me Yanish Cheetoo regrette le fait qu’il y ait eu ce qu’il qualifie de manipulation flagrante des procédures établies, laquelle équivaut à une, voire plusieurs infractions pénales. De plus, il constate avec tristesse que des membres de la force policière se rendant coupables dans l’exercice de leurs fonctions ne sont pas suffisamment sanctionnés par le système judiciaire.
Rule of Law
L’homme de loi déplore aussi le fait que certains membres des institutions gouvernementales bafouent de manière flagrante les ordres émis par le système judiciaire. « Ce qui pousse à s’interroger sur l’avenir même du système judiciaire et sur le poids qui y est rattaché. Notre ‘rule of law’ a été souvent enfreint », regrette-t-il.
Il rappelle que le concept de la séparation de pouvoir est de la plus haute importance pour tout pays s’autoproclamant démocratique. « La ligne de démarcation entre le judiciaire, l’exécutif et le législatif est cruciale », précise-t-il avant de conclure néanmoins que le système judiciaire reste le meilleur chien de garde pour contrer les lacunes de notre pays.
Quid des fêtes ? « Après une année mouvementée et fatigante, je souhaite me détendre et passer des moments agréables en famille avant d’amorcer l’année prochaine. 2023 s’annonce encore plus mouvementée que 2022 vu la charge de travail qui m’attend », explique-t-il.
Me Nazeeda Dookhee : « Il y a eu des innovations dans le notariat »
Si Me Nazeeda Dookhee, notaire, reconnaît qu’il y a eu des innovations dans le notariat à Maurice, elle déplore toutefois le fait qu’il existe toujours des lacunes.
Parmi les innovations apportées jusqu’ici pour que le travail d’un notaire soit plus efficace et rapide : un acte notarié prend désormais beaucoup moins du temps à être expédié au client. « Cela se fait à travers l’e-Registry. Le notaire n’a nul besoin de se déplacer. »
Me Nazeeda Dookhee parle aussi du nouveau mode de paiement à travers le QR Code scanné directement sur un smartphone. « Ce système a été récemment introduit. »
« Côté grand public, nous notons des mesures telles que les ‘cash back incentives’ qui permettent à un acheteur de récupérer 5 % du prix d’acquisition jusqu’à Rs 500 000. Nous devons nous attendre à voir les impacts d’une hausse sur le ‘Repo Rate’ avec le nombre d’acquisitions financières qu’il y a eu ces derniers temps à travers des emprunts contractés auprès des banques », affirme la notaire.
« Nous avons récemment eu à faire face à la validité d’une carte d’identité. Je me suis demandé comment on peut savoir si une carte présentée par le client est vraie ou fausse. Idem pour l’extrait de naissance, le certificat de mariage ou l’acte de décès. » Elle en a même fait l’expérience et elle a dû rapporter le cas à la police. Ce qu’elle propose, c’est que le notaire ait la possibilité de vérifier ces documents à travers un système sécurisé mis en place par le gouvernement.
Me Nazeeda Dookhee ajoute que la Financial Intelligence Unit envoie régulièrement des lignes directrices aux notaires pour les informer qui sont les gens « blacklisted ».
Sur une note plus joyeuse, qu’a-t-elle prévu pour les fêtes ? Elle confie qu’elle a fait un plan pour en profiter au maximum et la liste est longue. Son programme : passer les fêtes en famille, rendre visite à des orphelins, aller à la plage, visiter l’île-aux-Aigrettes, faire de la plongée dans le « Marine Park », faire des randonnées en forêt, passer des journées sur un catamaran, faire du Tulawaka au Casela et séjourner à l’hôtel pour se détendre, entre autres activités. « J’envisage aussi de profiter pleinement des fruits de saison, tels que les letchis, les melons d’eau et les mangues », indique-t-elle.
Me Hemrani Guttoo, avouée : « Un judiciaire mixte aidera à renforcer la confiance du public dans la justice »
Selon Me Hemrani Guttoo, avouée, avec l’avènement de la pandémie de COVID-19, les obstacles et l’incertitude peuvent représenter un défi insurmontable pour la fonction juridique. Pourtant, dit-elle, malgré ces épreuves, certains thèmes-clés ont émergé. Ils sont même devenus prioritaires, selon elle, pour de nombreux départements juridiques.
Quel est le plus grand défi auquel a été confronté le système judiciaire cette année ? L’authenticité, répond-elle. Elle explique que le souci est que chacun souhaite faire la même chose que ses collègues. « Il y a un réel besoin pour les avoués d’être créatifs. Je souhaite plus d’honnêteté et de coopération dans le système », dit-elle.
Elle insiste que les avoués doivent être plus coopératifs que jamais car nous vivons dans un monde surchargé d’informations. « Grâce à mon dévouement et à mes réalisations, j’ai été inspirée à croire davantage en moi et à grandir en tant que femme autonome », affirme l’avouée.
Elle se dit fière de faire partie de Dentons Mauritius LLP qui offre à son équipe toutes les ressources et les infrastructures nécessaires à l’épanouissement de ses employés. Elle est tout aussi fière de faire partie du Mauritius Law Society (MLS) qui s’évertue à tenir ses membres au courant des nouveaux concepts.
Référence est ici faite à un colloque organisé par la MLS et axé sur les notions émergentes telles que les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) ainsi que la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. « Cela a été une expérience enrichissante qui nous a permis de partager nos connaissances, notre expertise et nos expériences », se réjouit-elle. Pour elle, il est essentiel que le système judiciaire continue à évoluer.
Cette année, dit-elle, l’accent a vraiment été sur le régime légal entourant les « virtual assets ». « La Virtual Asset and Initial Token Offering Services Act 2021 est entrée en vigueur le 7 février 2022. Cette loi vise à établir un cadre législatif complet pour réglementer les activités commerciales dans ce secteur qui prend de l’ampleur dans notre société axée sur la technologie », indique-t-elle.
Système judiciaire mixte
Ce que Me Hemrani Guttoo retient surtout de cette année qui est sur le point de se terminer, c’est le fait que des femmes soient à la tête du système judiciaire : la Chef Juge Bibi Rehana Mungly Gulbul ainsi que la Master and Registrar Anjaleedevi Ramdin. Elle fait ressortir que la présidente de la MLS, Me Dya Ghose-Radhakeesoon, est également une femme.
« Les gens assimilent un système judiciaire mixte à une gouvernance plus représentative. Une diversité peut garantir une approche équilibrée dans l’application de la loi, ce qui, à son tour, renforce la confiance du public dans notre système judiciaire », affirme-t-elle.
Autre point qu’elle retient de cette année : des cours dispensés, sous l’égide de l’Institute of Judicial and Legal Services, aux aspirants juges et magistrats ainsi qu’aux juristes. « C’est incontestable qu’une formation juridique adéquate est nécessaire pour l’émancipation des avoués et le progrès du système judiciaire », estime-t-elle.
Quel message aurait-elle en cette fin d’année ? Me Hemrani Guttoo est d’avis que cette période festive est destinée à apporter quelque chose dans nos vies au cours de l’année. « J’ai hâte de passer du temps avec mes proches pendant les deux semaines restantes de ce mois. J’envisage de les réunir autour d’un repas. J’ai aussi une pensée spéciale pour les avoués qui sont décédés durant l’année. Leurs familles sont dans mes prières », souligne l’avouée.
Elle en profite pour souhaiter à tous les Mauriciens un joyeux Noël et une bonne année. « Que 2023 soit une meilleure année en matière de santé et de travail », lance-t-elle.
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