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Yanis Sookloll, vice-président de l’ACA : «L’intelligence artificielle peut assister, mais elle ne peut pas rêver»

Yanis Sookloll

« La créativité n’est plus une option, mais une nécessité qui propulse l’économie mauricienne vers l’avenir », déclare Yanis Sookloll, vice-président de l’Association of Communication Agencies de Maurice et Chief Creative Officer de FCBCREAD. Au terme de la 2ᵉ édition du Flame Festival qui a réuni les professionnels de la communication, ce dernier aborde la question de la place de l’humain dans la sphère de la communication qui a de plus en plus recours à l’intelligence artificielle.

Pour l’organisation du FLAME Festival 2025, quel bilan dressez-vous des objectifs fixés par l’Association of Communication Agencies après le festival de 2024 ? Ces objectifs ont-ils été atteints ?
Le FLAME 2025 a dépassé nos attentes. La journée de formation au Caudan Art Centre a réuni six intervenants de haut niveau et un public professionnel engagé. Nous avons ressenti un véritable élan. Les échanges ont montré que les communicants venaient non seulement pour débattre et réfléchir, mais surtout pour apprendre. La séance cinéma des « Best of Loeries Awards » à Tribecca a quant à elle exposé notre audience locale à des « case studies’ internationales démontrant que l’efficacité créative va bien au-delà de l’esthétique. La compétition FLAME New Blood a attiré six universités et plus de cinquante entrées d’étudiants sur le thème du « bullying’, avec des idées percutantes et humaines pour aborder un défi sociétal urgent.

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Les inscriptions aux FLAME Awards de l’océan Indien ont également connu une forte hausse par rapport à la première édition, avec une plus grande diversité de participants : agences, freelances, consultants et annonceurs. Ces awards sont ouverts à toutes les agences du pays et ne sont pas réservés qu’aux membres de l’Association of Communication Agencies de Maurice (ACA). Nous avons reçu 454 entrées de trente agences et quatorze agences se sont partagé les principaux prix. Les jurés des Loeries ont, cette année, attribué des prix dans un éventail plus large de catégories, du packaging au spot radio, en passant par l’utilisation de l’intelligence artificielle. Un moment qui a particulièrement réchauffé le cœur de la région : l’agence Logia Madagascar, pour le UNHCR, a remporté le Gold Award (radio) avec une campagne appelant à l’unité du peuple malgache, un message porteur d’espoir et d’humanité pour tout l’océan Indien. Madagascar a été primé pour la toute première fois.  Nous sommes profondément reconnaissants envers les partenaires qui soutiennent le FLAME Festival et qui croient en la valeur de la créativité pour notre économie : MCB, ER, Charles Telfair Education, Beachcomber, Currimjee, QBL, Eclosia, Sofap, Brand Activ et Aptis. Leur confiance nous permet de continuer à élever les standards de notre industrie et à inspirer la prochaine génération de créatifs.

Au-delà des statistiques, le vrai succès de FLAME 2025 réside dans la profondeur des échanges. L’événement a dépassé le cadre d’un festival pour devenir un mouvement. Beaucoup de communicants souhaitent désormais qu’il devienne annuel, preuve que le flamme continue de grandir.

Comment les marques peuvent-elles rester fidèles à leurs valeurs tout en répondant aux attentes de consommateurs dont le pouvoir d’achat s’érode ?
Le prix n’est plus le seul critère d’achat. Une marque forte ne survit pas parce qu’elle est « value for money’, mais parce qu’elle crée une relation avec son audience. Ce n’est pas le prix qui rend fidèle. On le voit partout : les consommateurs cherchent à se reconnaître dans les marques. L’iPhone ou le café à emporter, pour beaucoup, ne sont pas des achats rationnels pour leur budget. Mais ce sont des choix d’affinité, d’identité et de style de vie. Dans un contexte économique tendu, la différenciation doit se faire par les valeurs et la pertinence culturelles. Une étude de Deloitte l’a démontré. Les entreprises les plus performantes sont celles qui ont intégré la créativité au cœur de leur stratégie, en encourageant la prise de risque et la collaboration interdisciplinaire. Une marque ne doit donc plus parler de prix, mais de valeur. Car ce n’est pas seulement la tête qu’il faut convaincre, c’est le cœur.

Maurice étant caractérisé par un marché restreint, cette réalité constitue-t-elle un obstacle ?
Le vrai obstacle n’est pas la taille du marché, mais la taille de la vision. Maurice a toujours été un pays de créateurs, mais certains pensent encore trop petit. D’autres, au contraire, voient plus loin et placent leur ambition de communication au niveau international dès le départ. Une marque se construit comme une personne, avec du temps. Il faut savoir voir loin et croire dans le temps. Plusieurs marques mauriciennes ont déjà franchi les frontières grâce à leur authenticité et leur vision. Quand on crée de la valeur humaine et différenciante, le marché local devient simplement un point de départ. C’est avant tout une mentalité à adopter.

Dans un marché comme celui de Maurice, fortement concurrencé par des produits importés, comment valoriser les produits « Made in Moris » ?
On réalise souvent la valeur de Maurice quand on s’en éloigne. Les Mauriciens à l’étranger en sont la preuve : ils recherchent leurs produits locaux, leurs goûts, leurs symboles. Le « Made in Moris local » a souvent plus de valeur à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays. Mais la bataille du prix contre les importations est perdue d’avance. Notre force réside dans l’authenticité et la qualité. Le miel mauricien, par exemple, n’a ni la même saveur ni la même histoire qu’un miel industriel importé. Et un t-shirt avec une expression locale qui fait sourire par sa référence culturelle ne peut pas être comparé à un t-shirt importé. Nous devons réapprendre à valoriser ce qui vient d’ici, à condition que ce soit vrai. Le danger vient des « Fake in Moris », produits qui se disent locaux, mais qui ne le sont pas et qui nuisent à la crédibilité du label.

Nous devons défendre ce savoir-faire avec fierté, à travers des produits faits ici, par des mains mauriciennes, et porteurs d’histoires sincères. Si nous restons exigeants, le local peut rivaliser avec l’international, non par la quantité, mais par sa singularité humaine.

Comment s’est transformée l’influence auprès des consommateurs depuis vingt à trente ans ?
Il y a trente ans, l’influence venait d’en haut : des experts, des médias, des institutions. Aujourd’hui, elle vient de partout. Le seul facteur qui la dirige, c’est la confiance. Les consommateurs n’écoutent plus seulement les spécialistes, mais ceux en qui ils croient. Ils écoutent ceux qui leur ressemblent, ceux qui partagent leurs valeurs. L’influence s’est humanisée. Désormais, elle repose sur la proximité, la crédibilité et la cohérence. On ne suit plus quelqu’un parce qu’il est célèbre, mais parce qu’il est vrai. Pour les marques, cette situation change tout : elles ne cherchent plus à « acheter » des audiences en parlant plus fort, mais à s’associer à des voix authentiques et dignes de confiance.

L’émergence d’influenceurs a-t-elle modifié le marketing ? Comment les agences s’y adaptent-elles ?
Oui, le marketing d’influence a profondément transformé notre industrie. Il a créé de nouveaux métiers, de nouveaux formats et une nouvelle manière de raconter les marques. Les agences ont dû s’adapter : elles collaborent dorénavant avec les créateurs de contenu comme de véritables partenaires créatifs. On ne leur demande plus seulement de publier un message, mais de le co-construire.
Sur le plan légal, le cadre mauricien reste à définir. Les agences s’appuient sur le code d’éthique publicitaire et les lois existantes pour garantir la transparence et la responsabilité. L’ACA travaille activement à sensibiliser les acteurs du secteur et à poser les bases d’une régulation adaptée, inspirée des bonnes pratiques internationales.

Que signifie aujourd’hui une communication responsable ?
Une publicité responsable est une publicité consciente. Elle se pose la question de son impact avant de penser à son effet. Dans un monde confronté à des enjeux sociaux et environnementaux majeurs, promouvoir à tout prix n’est plus une option et peut parfois même être illégal. La transparence et l’intégrité doivent redevenir les fondations de la communication. C’est notre responsabilité collective de mesurer les mots, les images et les valeurs que nous mettons dans l’espace public. À Maurice, comme ailleurs, cette responsabilité implique aussi de lutter contre la communication mensongère. L’ACA, à travers son code d’éthique, encourage déjà les agences et les marques à adopter des pratiques responsables. La responsabilité ne consiste pas à être parfait, mais à être consciencieux. C’est ce qui empêche l’anarchie dans notre industrie, et c’est ce qui donne du sens à notre métier.

Quelles sont les conditions, sans oublier l’écosystème, qui favoriseront l’essor de la publicité numérique ?
Le numérique ne doit pas être traité comme un canal isolé. C’est une connexion directe avec notre audience, mais elle fait partie d’une chaîne de contacts qui coïncide avec le monde réel, qu’il ne faut surtout pas oublier. Aujourd’hui, on a tendance à s’obséder sur l’algorithme en oubliant l’humain qui vit au-delà du monde numérique. Le numérique requiert donc une éducation nouvelle : non pas une approche en silo, mais une intégration réelle entre la communication, les affaires et la société.

Les formations universitaires, bien qu’elles soient essentielles, reflètent encore partiellement cette transformation. Il est temps de repenser les programmes pour mieux préparer les jeunes aux réalités du marché et aux mutations du secteur. C’est là que la collaboration entre l’ACA et les organismes académiques joue un rôle clé, en créant ce pont entre la théorie et la pratique, entre l’école et l’industrie. Nos universités apprennent à créer du contenu, mais rarement à se demander pourquoi le créer. Encourager cette réflexion stratégique et holistique du marketing numérique est essentiel. C’est à travers elle que se construit la nouvelle génération de communicants mauriciens. L’essor de la publicité numérique passe d’abord par l’accompagnement de ce sang neuf vers l’avenir de la discipline. De l’autre côté, beaucoup de marques communiquent activement sur les plateformes, mais sans vision à long terme. Elles enchaînent les campagnes promotionnelles sans chercher à bâtir une communauté fidèle et engagée. Le retail reste important et efficace, mais creuser davantage le dialogue, c’est aussi construire une relation durable. Enfin, le dernier point, c’est l’innovation. À titre personnel, je trouve que la publicité numérique manque encore de créativité et d’audace. Quand on observe ce qui se fait sur d’autres marchés, on réalise que nous restons trop souvent dans notre zone de confort, à produire du contenu « safe ». Pourtant, l’essor de ce canal repose entièrement sur sa capacité à évoluer et à innover, pour se différencier dans un flux déjà saturé.

Faut-il adapter les messages publicitaires aux préférences individuelles ?
C’est non seulement souhaitable, mais indispensable. Les meilleures publicités en ligne sont celles qui ne ressemblent pas à des publicités. Elles parlent aux gens, pas aux consommateurs. Les gens savent filtrer. Ils ne veulent plus de messages génériques. Les marques qui utilisent intelligemment les données peuvent offrir des expériences plus personnelles, plus pertinentes et moins intrusives à leur audience. Certains penseront que je suggère de créer une publicité différente pour chaque individu. Non. L’enjeu n’est pas de tout personnaliser, mais de s’adresser personnellement, plutôt que de parler à tout le monde. Les meilleures campagnes sont celles qui parlent à chacun sans perdre leur fond. L’insight culturel de l’audience doit rester le point de départ de tout contenu. Comme le disait souvent feu Piyush Pandey, l’un des plus grands publicitaires indiens : « Quand une idée est vraie pour les gens autour de toi, elle devient universelle ».

Les enjeux liés à l’intelligence artificielle (IA) sont aujourd’hui au centre des débats. Comment les aborder dans le contexte local ?
L’IA est un outil puissant, à condition d’être bien utilisée. Elle peut améliorer la productivité, affiner les stratégies et libérer du temps pour la création. L’objectif n’est pas de remplacer l’humain, mais de le renforcer. L’IA élargit les possibilités créatives. À Maurice, nous devons apprendre à cohabiter avec elle, tout en gardant une distance critique. Elle doit rester un moyen, pas une finalité. L’IA n’a ni imagination, ni instinct, ni sensibilité. L’humain, avec son intuition, sa compréhension culturelle et surtout son intelligence émotionnelle, reste irremplaçable. Mais l’enjeu, encore une fois, est d’être responsable. Avec autant de pouvoir vient une grande responsabilité. Le cadre légal à Maurice reste encore trop flou et laisse place à des usages sans éthique. La question du respect de la propriété intellectuelle devient d’ailleurs centrale dans cette nouvelle ère. Comme beaucoup, j’ai moi aussi fait mes propres erreurs de parcours en apprenant à utiliser ces outils, et elles m’ont rappelé l’importance de la vigilance et de la responsabilité dans leur emploi. Tant que la loi se renforce sur ces questions, je me fixe, ainsi qu’à mon équipe, une ligne de conduite claire : redoubler d’attention et d’éthique dans notre manière d’explorer ces nouveaux outils.

Quelle place garde la créativité humaine dans un monde piloté par l’IA ?
La créativité humaine garde la première place. L’intelligence artificielle peut assister, mais elle ne peut pas rêver. Et rêver, c’est le point de départ de toute innovation. L’IA ne comprend ni la culture mauricienne ni nos instincts créatifs. Les études de World Advertising Research Center et de Cannes Lions le confirment : les campagnes les plus créatives sont aussi les plus performantes. Ce n’est pas une coïncidence. L’émotion, la surprise et la sincérité sont les véritables moteurs de la préférence de marque. La magie de l’équilibre entre la logique et l’émotion reste, encore aujourd’hui, le meilleur bénéfice.

Comment valoriser les forces humaines comme la créativité, l’intuition et l’empathie ?
Nous devons revendiquer l’humanité comme notre plus grand atout. Dans un monde dans lequel tout s’automatise, l’intuition devient un avantage compétitif. L’empathie, elle, crée du lien là où les algorithmes s’arrêtent. Investir dans les talents, encourager la collaboration entre profils créatifs et entrepreneuriaux : voilà ce qui fera avancer notre industrie. Ce qui m’a particulièrement marqué cette année, c’est que la majorité des projets récompensés aux FLAME Awards relevaient de la communication engagée, au service des causes justes. Ce qui confirme ce que Thomas Kolster (Mr Goodvertising) défend depuis des années. Les marques qui ont un impact positif sur la société sont celles qui marquent les esprits. Et les Loeries eux-mêmes l’ont montré cette année, avec un palmarès largement dominé par des campagnes porteuses de sens. Mais au-delà de l’engagement, il y a aussi la preuve économique de la créativité. L’exemple de KFC, nommé Creative Marketer of the Year pour la deuxième année consécutive au FLAME Awards 2025, en est l’illustration parfaite. La créativité est un levier de croissance et d’innovation. Et le Grand Prix en Design Craft – Best Use of AI, remporté par Ascencia pour son rapport annuel financier a montré qu’un sujet réputé « sérieux » pouvait être traité avec émotion, beauté et sens. Quand un rapport financier touche des investisseurs comme une histoire, c’est que la créativité n’a pas de frontière. C’est cette humanité qu’il faut préserver, tout en embrassant les outils du futur. La créativité n’est pas un supplément d’âme, c’est une ressource économique.

 

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