Dans cet entretien exclusif, le premier à la presse locale depuis sa prise de fonction, Yandraduth Googoolye explique sa vision en tant que Gouverneur. Ses 33 ans passés au sein de la Banque centrale représentent un atout essentiel. Le Comité sur la politique monétaire, dit-il, n’est sujet à aucune pression ou influence externe.
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Vous avez accédé au poste de Gouverneur de la Banque de Maurice depuis le 15 janvier. Est-ce que vous vous attendiez à accéder à ce poste quand vous avez fait vos premiers pas dans l’institution en 1985 ?
J’ai intégré la Banque de Maurice en 1985 et j’ai travaillé dans différents départements. En 2006, j’ai été nommé First Deputy Governor. J’ai eu le privilège de travailler aux côtés de quatre différents Gouverneurs. J’ai également eu l’honneur d’assumer le rôle de Gouverneur en quelques occasions. C’est actuellement ma trente-troisième année au sein de la Banque. J’ai été associé à plusieurs développements dans le créneau de la banque centrale à Maurice: l’élimination du contrôle des changes, l’introduction du Real-Time Gross Settlement System et du Cheque Truncation, l’introduction de l’offshore banking et l’élaboration du cadre légal qui y est relatif. J’ai également contribué à la mise en place du Monetary Policy Committee, instance dont je suis membre depuis sa création. À cela, permettez-moi d’ajouter que j’ai été – et le suis encore d’ailleurs – un intervenant régulier dans des conférences internationales.
Tout au long de ma carrière, je me suis attelé à accomplir mon travail au mieux de mes compétences et j’ai toujours assumé mes responsabilités avec rigueur et discipline. L’expérience acquise activement aux cours des dernières décennies dans le développement du domaine bancaire et les différents changements institutionnels à travers la Banque a été pour moi extrêmement enrichissante. Il est tout à fait légitime d’aspirer à de plus grandes responsabilités et de vouloir mettre mes compétences, mon expérience et ma vision au service de mon pays. Je tiens à remercier le Premier ministre Pravind Jugnauth pour la confiance placée en moi. Je suis pleinement confiant de pouvoir contribuer à l’évolution de la banque centrale et au développement du secteur bancaire mauricien.
Tout changement à la tête d’une institution est, en général, synonyme de changement majeur dans le fonctionnement. Est-ce que vous allez prôner la continuité ou apporter des modifications ?
Il est dit que le changement est la seule chose qui soit permanente! Ceci étant dit, il y aura de la continuité mais aussi des changements. Personnellement, j’ai été assez longtemps au sein de l’institution et j’ai été dans des différents top managements. C’est cette expérience qui me permet aujourd’hui de pleinement jauger ce qui doit changer et ce qui doit être maintenu.
Cependant, ce qui importe le plus, c’est que l’institution continue à évoluer et à améliorer ses services pour le pays, la société et l’économie. La Bank of Mauritius Act 2004 définit nos objectifs et nos fonctions. Ces objectifs et fonctions ne changent pas dans la forme car il faut savoir qu’une banque centrale a des rôles traditionnels de par son mandat et que ceux-ci sont liés à sa raison d’être.
Nous célébrons cette année le cinquantième anniversaire de la banque et si vous parcourez l’évolution des activités de la banque, vous constaterez qu’elle a été en constante mutation et ce, même en dépit du fait que certaines de ses fonctions n’ont pas évolué. Tout au long de son existence, la banque centrale a su accompagner les différents décideurs économiques dans la création d’une Ile Maurice meilleure. Nous sommes sortis d’une économie avec un régime de contrôle des changes pour devenir un centre financier international. (…)
Sans une coordination efficace des politiques, une instabilité économique et financière, qui aura un impact négatif sur la croissance, pourrait s’installer.»
Quel type de relations comptez-vous entretenir avec le gouvernement en tenant compte de l’harmonie fiscale et monétaire?
Pour atteindre les objectifs définis par la Bank of Mauritius Act, nous devons assurer une coordination étroite entre les décideurs dans les domaines de la politique monétaire et fiscale. L’effet final des mesures prises dans l’un ou l’autre de ces domaines dépendra inévitablement de la façon dont les politiques dans chaque domaine affectent celles de l’autre. C’est justement dans ce sens que nous assurons un dialogue permanent avec les différents interlocuteurs économiques. Sans une coordination efficace des politiques, une instabilité économique et financière, qui aura un impact négatif sur la croissance, pourrait s’installer. Une coordination efficace permettra d’atteindre plus facilement les objectifs stratégiques. Cette coordination peut prendre la forme de contacts à intervalles réguliers entre les autorités fiscales et monétaires en vue d’une concertation et d’une prise de décision conjointe sur des aspects relatifs à la conception et à la mise en œuvre des politiques.
Qu’en sera-t-il des acteurs économiques du pays?
Je suis un homme de dialogue. Je suis à l’écoute des opérateurs et du marché. C’est pour cette raison que la réunion trimestrielle avec les dirigeants des banques est importante. L’ouverture des banques samedi dernier est un exemple concret du fait d’être à l’écoute des opérateurs dans leur ensemble. Il est impératif que la Banque de Maurice joue pleinement son rôle en vue de garantir l’essor économique et promeuve la stabilité des prix tout en assurant la stabilité financière. Je maintiendrai une ligne de communication permanente avec tous les acteurs économiques. Le but ultime, c’est que le pays en sorte gagnant.
Quelles sont vos priorités en ce début de mandat et pourquoi ?
Étant responsable de la formulation de la politique monétaire et de la réglementation et de la supervision des institutions bancaires, la Banque joue un rôle crucial en ce qui s’agit de la création des conditions propices à la stabilité financière et au secteur réel. La Banque travaille déjà sur la concrétisation du National Payments Switch qui, littéralement, révolutionnera l’industrie des paiements à Maurice. Le renforcement du cadre de la politique monétaire est un autre élément qui est lié à ma vision en vue de garantir l’efficacité du mécanisme de transmission monétaire dans une petite économie ouverte comme la nôtre. La mise en place du concept dit de risk-based supervision changera radicalement notre approche en matière d’analyse de la solidité des banques et autres institutions réglementées par la Banque, ainsi aidant à assurer la résilience de notre industrie bancaire. La modernisation de l’infrastructure du marché financier à Maurice serait incomplète si nous n’œuvrons pas à la création d’un marché secondaire florissant pour les titres et ne développons pas un marché obligataire.
Y-a-t-il les compétences pour mener à bien cette transformation?
L’industrie bancaire doit se professionnaliser davantage afin que nous puissions former un capital humain local de haut niveau. J’ai, dans ce sens, déjà entamé des discussions avec la Mauritius Bankers Association en vue d’un programme de renforcement des capacités.
L’industrie bancaire doit se professionnaliser davantage afin que nous puissions former un capital humain local de haut niveau.»
Êtes-vous de ceux qui croient que le Maurice est en retard en matière d’éducation financière?
Je crois fermement que l’éducation financière revêt une importance capitale. Pour cela, nous travaillerons de concert avec nos partenaires, principalement la Financial Services Commission et la Financial Intelligence Unit et aussi avec les banques et autres institutions que nous réglementons de même que d’autres instances. Nous entendons lancer très prochainement un plan d’action.
Pendant 30 mois, la Banque de Maurice a tenté d’empêcher l’accumulation d’un excès de liquidités. Que pouvez-vous nous dire à ce propos? La Banque a-t-elle atteint les limites de sa capacité d’intervention?
Nous sommes conscients du fait que cette situation d’excès de liquidité prévaut depuis un moment déjà. D’une part, la Banque centrale est intervenue sur le marché en vue de contenir la hausse de l’excès de liquidité en termes de roupies. D’autre part, elle a aussi effectué des interventions de stérilisation au niveau des devises étrangères. La Banque de Maurice intervient sur le marché domestique des changes afin d’aplanir toute volatilité injustifiée du taux de change de la roupie. Le point de vue de la Banque centrale est que le taux de change de la roupie doit refléter les fondamentaux macroéconomiques et qu’il devrait convenir à toutes les parties prenantes au sein de l’économie plutôt que de répondre à des considérations sectorielles.
L’encours total des d’instruments émis par la Banque de Maurice s’élève à Rs 71 milliards de roupies, ce qui est considérable. Dans le cadre de ses fonctions, et en vue de contenir le trop-plein d’excès de réserves au sein du système bancaire, la Banque de Maurice a émis des Bank of Mauritius Bills. Elle a également accepté, de la part des banques, des dépôts assortis de rémunération. Il est toutefois crucial de comprendre que le coût associé aux opérations de stérilisation a eu un impact significatif sur le bilan financier de la Banque.
Nous disposons d’un éventail d’instruments pour intervenir sur le marché et assurer son développement. C’est à ce niveau que le marché secondaire devrait entrer en jeu. De manière générale, la Banque reverra son approche par rapport aux opérations monétaires, opérations qui devront également être en phase avec le cadre de politique monétaire.
L’inflation reprend de l’altitude. Le taux directeur est à son niveau le plus bas depuis la création du mécanisme de la politique monétaire. Une hausse n’est-elle pas nécessaire pour contenir l’inflation et inciter davantage à l’épargne?
La tendance à la hausse du taux d’inflation doit être mise dans le contexte approprié. Il reflète les effets de base passés de même que les chocs d’offres temporaires qui ont affecté le panier de biens et services du consommateur. Les pressions découlant de la demande ont cependant été contenues. Une lecture des changements au niveau de l’indice des prix à la consommation en 2017 démontre que l’indice a pris l’ascenseur en raison d’une majoration des prix des légumes et d’autres produits alimentaires, des boissons alcoolisées, du tabac, de l’essence et du diesel.
Le comité sur la politique monétaire n’est sujet à aucun contrôle ou directive que ce soit de la part d’une personne ou autorité quelconque. Dans leur prise de décision, les membres du MPC analysent les conditions économiques locales et internationales à la lumière de données et d’informations économiques et financières, tant actuelles que résultant de prévisions.
Le Comité de Politique Monétaire que je présiderai le 28 février prochain évaluera les risques relatifs à l’inflation et à la croissance domestiques. Et c’est uniquement à la lumière de cette évaluation qu’une décision sera prise en ce qui concerne le taux directeur.
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