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Vassen Kauppaymuthoo : «Il est temps de sortir de la carte postale»

Le dernier rapport du GIEC vient confirmer que la situation est encore plus grave que ce qui avait été précédemment prédit. Il nous reste une décennie pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre d’au moins 43 % par rapport à nos émissions de 2019, souligne l’océanographe et ingénieur en environnement Vassen Kauppaymuthoo. 

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Le GIEC, quelle utilité ?
Le GIEC a été créé en 1988 par le Programme des Nations unies pour l’environnement et l’Organisation météorologique mondiale dans le but d’adopter une approche scientifique pour étudier le changement climatique et d’éclairer les décideurs politiques, le secteur économique ainsi que la population en général sur ce défi majeur pour l’humanité.

Les mesures nécessaires sont connues. Est-il temps de les mettre en place à Maurice ? 
À Maurice, malgré la création du ministère du Changement climatique, nous n’avons pas pris les mesures nécessaires ni agi concrètement pour faire face aux impacts du changement climatique. Nous nous sommes toujours cantonnés à maintenir une image de carte postale du pays afin d’attirer des investisseurs et des touristes.

Ces projets risquent de se transformer en pertes financières importantes lorsque les zones où ils sont construits deviendront inhabitables en raison des impacts du changement climatique. Un exemple flagrant concerne le projet d’IRS de Roches-Noires, qui risque de refaire surface, alors que cette zone est l’une des dernières où la nature offre une résilience naturelle face aux effets néfastes du changement climatique. 

La première action à prendre est de joindre les actions aux beaux discours. Malheureusement, on a trop longtemps considéré les environnementalistes comme des « bloqueurs de développement » alors qu’ils ont tiré la sonnette d’alarme depuis plusieurs décennies. Nous avons perdu un temps précieux qui fait défaut aujourd’hui.

Il est temps d’agir pour assurer une production d’énergie propre en brisant le monopole du CEB sur l’énergie solaire et d’autres sources d’énergie renouvelables»

Les risques augmentent avec chaque augmentation de la température ? 
À chaque augmentation d’un degré de la température moyenne mondiale, la quantité de chaleur et d’énergie stockée dans l’atmosphère et les océans augmente également. Cette énergie entraîne la formation de cyclones plus puissants, qui transfèrent cette énergie des océans vers l’atmosphère. De plus, la chaleur stockée dans l’atmosphère augmente le taux d’humidité et favorise la formation de grosses gouttes de pluie, entraînant des précipitations torrentielles localisées.

Le GIEC met en avant le fait que ce phénomène, qui a commencé lentement, s’accélère désormais et entraîne une fonte accélérée des glaces de la cryosphère. Les effets du changement climatique sont donc exponentiels, et chaque jour de retard en termes d’atténuation et d’adaptation ne fait qu’augmenter l’effet dévastateur du changement climatique de plus de deux jours.

Quelles sont les options d’adaptation et leurs limites dans un monde plus chaud ?
Je pense que les mesures d’adaptation sont en train de devenir obsolètes. Vu l’inaction mondiale depuis la COP21 en 2015, ainsi que la concentration sur le développement économique, les visions politiques à court terme et la compétition malsaine entre les grandes puissances, il est déjà trop tard. 
Il est donc primordial aujourd’hui, en particulier pour un petit État insulaire comme le nôtre, de prendre des mesures pour protéger nos derniers espaces verts, notre biodiversité, nos lagons, et de planifier le retrait des zones côtières, de Port-Louis, des flancs de montagnes, ainsi que des 320 zones inondables de Maurice, car ces zones sont amenées à devenir inhabitables. 

Il est temps de faire face à la réalité et de sortir de la carte postale. Nous devons agir en urgence.

L’instabilité climatique et la force des phénomènes vont s’accentuer, ce qui exigera une adaptation dynamique et réactive de la part des autorités et de la population»

Les effets néfastes du changement climatique d’origine humaine continueront à s’intensifier à Maurice ?
En tant que petit État insulaire en voie de développement, Maurice est particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique en raison de sa taille et de sa localisation au milieu de l’océan Indien. Nous avons une côte de 320 kilomètres, dont plus de deux tiers sont constitués de plages de sable et nous disposons de 220 kilomètres carrés de lagons. De plus, notre zone économique exclusive de 2,3 millions de kilomètres carrés est formée grâce à la présence d’îlots de sable ou de corail de faible altitude, tels que Agaléga, Saint Brandon, Tromelin et les Chagos, qui risquent de disparaître avec l’élévation du niveau de la mer, tout comme les Maldives. 

Les effets du changement climatique seront d’autant plus intenses que 80 % de la chaleur liée à ce phénomène a été stockée dans les océans. En tant qu’État océanique, nous serons en première ligne par rapport à ces impacts.

Quels probabilité et risques de changements inévitables, irréversibles ou brutaux ?
Le changement climatique évolue de manière exponentielle, ce qui signifie qu’il s’accélère et que ses impacts deviennent plus fréquents, brutaux et irréversibles. Par exemple, certaines zones géographiques ont perdu entre 30 et 40 % de leur superficie en raison de la montée du niveau de la mer et de l’érosion côtière associée. Ces changements sont maintenant permanents et vont continuer de s’aggraver.

De même, les 320 zones inondables identifiées dans le Land Drainage Master Plan sont devenues des zones à risque permanentes. Nous avons également connu une sécheresse grave jusqu’à mi-janvier 2023, qui a été interrompue par des pluies torrentielles. L’instabilité climatique et la force des phénomènes vont s’accentuer, ce qui exigera une adaptation dynamique et réactive de la part des autorités et de la population.

Le scénario catastrophe apocalyptique est aujourd’hui confirmé par les rapports scientifiques du GIEC, et les phénomènes météorologiques que nous constatons à Maurice»

Quelles doivent être les priorités désormais ? 
La première priorité est de sensibiliser tous les acteurs, qu’il s’agisse des politiciens, du secteur privé et de la population. Nous sommes confrontés à un danger mondial majeur qui exige une préparation et des mesures de relocalisation, ainsi qu’une transformation de notre système économique qui n’a jamais pris en compte les paramètres sociaux et environnementaux pour parvenir à un véritable développement durable.

Il faudra refuser et abandonner les projets situés sur les flancs de montagnes ou dans la zone côtière, ainsi que dans la région de la capitale. Nous devrons sortir de la « carte postale » et relever ces défis majeurs avec détermination et ensemble, car nous en sommes capables. 

Malheureusement, nous sommes actuellement dans une phase de déni climatique qui commence à nous causer beaucoup de tort.

Quels sont le progrès, les lacunes et les défis actuels ?
Concernant les mesures d’atténuation, il est temps d’agir concrètement pour assurer une production d’énergie propre en brisant le monopole du CEB sur l’énergie solaire et d’autres sources d’énergie renouvelables. Nous devons également effectuer une transition vers des véhicules électriques alimentés par des sources d’énergie propre et garantir une production alimentaire durable et une sécurité alimentaire.

De plus, nous ne devrions pas avoir de contradictions en matière de notre contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. D’un côté, nous nous fixons des objectifs ambitieux tels que 60 % d’énergie renouvelable d’ici 2030, alors que nous sommes actuellement en dessous de 20 %. De l’autre côté, nous autorisons la recherche de pétrole dans notre zone économique exclusive, ce qui ne fera qu’aggraver les effets du changement climatique.

Les conséquences qui se font ressentir aujourd’hui sont minimes par rapport à ce qui nous attend, et la débâcle s’accélère»

Quelles devraient être les mesures d’adaptation ?
Les terrains en bord de mer et ceux situés dans la capitale perdront rapidement de la valeur. Il nous faudra reculer face à la montée des eaux des océans et aux submersions marines causées par les cyclones. Les mesures d’adaptation comme la construction de murs ou de brise-lames ne sont plus suffisantes aujourd’hui pour nous protéger. La seule solution la plus efficace est d’adopter des mesures basées sur la nature qui seront, à elles seules, capables de ralentir la progression : planter des mangroves, réhabiliter les zones humides (wetlands), planter des coraux et protéger les derniers espaces verts disponibles.

Quid des risques futurs et réponses liés au changement climatique à long terme ?
La situation par rapport à la fonte des calottes polaires s’accentue, faisant augmenter la vitesse de la montée des océans qui est actuellement de 5,6 millimètres par an à Maurice, soit presque deux fois plus que la moyenne mondiale qui est de 3,3 millimètres par an. L’érosion côtière qui y est liée va augmenter de façon encore plus dramatique et les plages de sable risquent ainsi de rapidement disparaître. 

Les phénomènes météorologiques s’accentueront et deviendront de plus en plus instables avec l’accumulation d’énergie sous forme de chaleur dans l’atmosphère et les océans. Ce qui provoquera la formation de cyclones plus intenses. Nous en avons eu l’exemple avec Freddy qui a battu les records de longévité (plus de 40 jours), de puissance (des rafales à 326 km/h) et d’énergie accumulée. Ce cyclone a fait plus de 300 morts au Malawi. Il a causé une submersion marine des côtes dans le nord et l’Est de Maurice. 

Les sécheresses s’accentueront et l’approvisionnement en eau sera grandement affecté. N’oublions pas la situation critique dans laquelle se trouvait Maurice en janvier avec le taux de remplissage des réservoirs et nappes d’eau phréatiques ne laissant que quelques jours à notre pays pour réagir. Il a été prouvé que la pluviométrie a baissé de 8 % à Maurice entre 1950 et 2007. 

De plus, les sécheresses seront entrecoupées de pluies torrentielles qui causeront des inondations plus fréquentes et plus graves, des glissements de terrain et des coulées de boue qui présenteront un danger majeur pour les zones résidentielles. 

Finalement, les vagues de chaleur atmosphériques et océaniques vont s’accentuer, menaçant directement la vie humaine avec l’effet « Wet Bulb » mortel, qui survient lorsque le corps humain ne peut plus se refroidir. Les écosystèmes et la biodiversité sont également en train de s’effondrer à cause de l’acidification des océans et des vagues de chaleur océaniques, créant des zones anoxiques et forçant les espèces à migrer vers les profondeurs. 

De même sur terre, les effets du changement climatique poussent les espèces à migrer graduellement vers les pôles.

Qu’en est-il de la sécurité alimentaire ?
La sécurité alimentaire sera grandement menacée. Les épidémies se propageront et l’économie risque de s’effondrer avec la perte de valeur des terres dans les zones côtières, la capitale et les zones inondables qui deviendront rapidement inhabitables et devront être évacuées, créant ainsi des réfugiés climatiques. Tout ce scénario que l’on considérait comme une catastrophe apocalyptique est aujourd’hui confirmé par les rapports scientifiques du GIEC, ainsi que par les phénomènes météorologiques que nous constatons à Maurice.

Les réponses à long terme impliqueront une planification minutieuse pour la relocalisation de nos infrastructures et des populations concernées, ainsi qu’une transformation complète de notre économie et de notre société vers la décarbonisation. Nous devrons nous appuyer sur des sources d’énergie renouvelables telles que le soleil, le vent et les océans.

Quelle urgence pour des mesures intégrées à court terme ?
Les mesures à court terme ne sont que palliatives, c’est-à-dire qu’elles ne serviront qu’à ralentir les effets du changement climatique sur la population et les infrastructures sans apporter de solution durable. C’est comme si on prenait un médicament contre la fièvre alors qu’on a le cancer : ces mesures peuvent nous permettre de gagner un peu de temps, mais elles ne seront pas efficaces face à la situation alarmante du changement climatique à long terme.

Existe-t-il de multiples possibilités d’intensification de l’action climatique ? 
La solution est politique et économique. En effet, nous savons à quel point l’argent peut influencer les politiciens qui ont notre avenir entre leurs mains. Leurs décisions auront un impact sur notre avenir et sur celui de nos enfants. L’action climatique est actuellement très faible et ne prendra pas de force tant que ces deux sphères ne seront pas engagées dans l’action, plutôt que de simplement faire de beaux discours électoralistes.

Quelle sera la situation Terre-Océan-Alimentation-Eau si nous n’agissons pas maintenant ?
Les vagues de chaleur océaniques sont aujourd’hui une réalité avec des océans qui se sont réchauffés sur plus de 700 mètres de profondeur, causant un relèvement du niveau de la mer. Or, la montée des eaux menace les nappes phréatiques qui nous fournissent presque 70 % de notre eau potable. Les pluies torrentielles entrecoupées de sécheresses détruiront les récoltes et notre sécurité alimentaire sera affectée.

Il est de notre devoir d’agir face au changement climatique en faisant les bons choix à tous les niveaux, pas seulement en ramassant les déchets»

À quoi s’attendre si le gouvernement ne présente pas des politiques adéquates dès maintenant ?
La réponse est claire. Il n’y a pas encore de politiques adéquates ni d’actions concrètes face à ce phénomène, seulement de beaux discours sur l’avenir de nos enfants de la part de décideurs qui ne seront plus là pour faire face aux effets désastreux du changement climatique. Les conséquences qui se font ressentir aujourd’hui sont minimes par rapport à ce qui nous attend, et la débâcle s’accélère. Les scientifiques nous le confirment dans le dernier rapport du GIEC. Pour moi, c’est une situation très alarmante.

Pensez-vous que la finance, la technologie et la coopération internationale sont plus que nécessaires pour Maurice ? 
Le GIEC met en avant, dans son rapport, la nécessité des transferts de technologie afin de permettre une transition rapide vers une économie verte et décarbonisée. À Maurice, cependant, nous sommes en train de faire de la prospection pétrolière dans notre zone économique exclusive. 

Je pense que le changement climatique est une affaire de coopération internationale, car nous vivons dans un système où l’action d’un pays affectera les autres. La finance doit comprendre, et je pense qu’elle commence à le faire aujourd’hui, que le changement climatique entraînera des pertes financières énormes, ce qui pourrait peut-être entraîner un changement au niveau des décisions politiques, mais cela reste à voir.

Donc, nous devons agir dès maintenant pour assurer un futur vivable pour les générations futures.
Les femmes donnent naissance à des enfants qui devront reprendre le flambeau lorsque notre moment sera venu de quitter cette terre après notre bref passage. Notre responsabilité est donc engagée envers le monde dans lequel ils vivront, et c’est à nous de demander et d’agir pour préparer un futur viable et vivable pour nos enfants. 

Malheureusement, nous sommes pris dans les tâches quotidiennes, les dettes, le coût de la vie, le manque de temps et les préoccupations pour nourrir notre famille trois fois par jour. Tout cela nous empêche de réfléchir à long terme et de prévoir l’avenir. Certains jeunes filles ne souhaitent plus avoir d’enfants aujourd’hui car elles craignent pour le monde de demain.

Quelle est notre responsabilité pour moins de chaos ?
Nous oublions trop souvent que si tous les épargnants décidaient de retirer de l’argent des banques, ces dernières feraient faillite. D’ailleurs, on le voit déjà aux États-Unis. 

Et si nous arrêtions de consommer des boissons en bouteilles de plastique ? 130 millions de bouteilles en plastique sont produites à Maurice chaque année par les deux principaux embouteilleurs. Avec de l’eau vendue à Rs 30 000 le mètre cube, soit Rs 30 le litre d’eau au lieu de Rs 8 le mètre cube d’eau du robinet (moins d’un sou le litre), ces bouteilles n’auraient pas été produites et ne finiraient pas dans la nature. Nous économiserions beaucoup d’argent par ces temps difficiles en utilisant et réutilisant une bouteille en acier ou une bouteille recyclable. 

Donc, il est de notre responsabilité d’agir aujourd’hui en choisissant judicieusement les politiciens qui nous dirigent et en mettant de la pression sur les systèmes économiques qui ne prennent pas en compte le changement climatique. Nous tenons notre avenir entre nos mains, et il est de notre devoir d’agir face au changement climatique en faisant les bons choix à tous les niveaux, pas seulement en ramassant les déchets.

  • LDMG

 

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