Live News

Universités : le taux d’inscription en baisse constante

Depuis plusieurs années, le taux d’inscription dans les institutions d’enseignement supérieur chute régulièrement. La politique d'un diplômé par famille semble définitivement enterrée et les études à l’étranger sont à nouveau prisées. Les directeurs d’universités publiques décryptent la situation.

Publicité

Les collégiens boudent-ils les universités locales ? Le taux d’inscription dans les institutions d’enseignement supérieur ne cesse de baisser alors qu’il y a quelques années à peine, on parlait encore de « one graduate per family ». À l’inverse, le nombre d’étudiants qui choisissent de poursuivre leurs études à l’étranger, est en hausse après une période de baisse soutenue. Le rehaussement des critères d’entrée devrait accentuer le phénomène. Au niveau de la direction des universités publiques du pays, point d’affolement face à cette situation. Pour l’expliquer, on évoque notamment l’argument de la démographie qui veut qu’il y ait moins d’étudiants au secondaire.

Le professeur Dhanjay Jhurry, vice-Chancelier de l’Université de Maurice (UoM) explique : « La baisse est plutôt liée à un nombre décroissant de certificats du HSC. Si mes souvenirs sont bons, il y a eu 800 de moins en 2016. Évidemment, cela se répercute directement sur l’inscription dans des universités.  » Le no 1 de l’UoM estime qu’il faut aussi comparer avec le nombre en hausse d’étudiants qui vont étudier à l’étranger (voir encadré) tout en précisant qu’il n’y a pas eu de baisse conséquente dans le taux d’inscription de l’UoM. Cependant, il souligne l’impact possible du rapport du PRB qui ne donne plus d’augmentations aux fonctionnaires qui ont acquis un Master. « C’est une raison qui pourrait expliquer une baisse au niveau postgraduate mais à mon avis, la situation au niveau undergraduate est loin d’être alarmante. »

Dinesh Somanah, directeur de l’Université des Mascareignes (UDM) souligne que l’institution qu’il dirige n’est pas affectée par cette baisse. Cependant, il indique qu’une multiplication des choix qui s’offrent aux étudiants, une fois leurs études secondaires terminées, pourrait expliquer le phénomène. « Il y a une combinaison de facteurs comme, par exemple, le nombre d’universités dans le paysage de l’enseignement supérieur mauricien qui a augmenté, ou encore davantage d’étudiants qui choisissent les universités étrangères ou encore le nombre de cours qui peuvent être suivis à distance. » Selon le Dr Somanah, il faut aussi prendre en considération le nombre croissant d’étudiants qui choisissent les filières polytechniques, comme encouragées d’ailleurs par le ministère de l’Éducation.

Une thèse que le directeur de l’Open University (OU), le Dr Kaviraj Sukon, soutient aussi. « Les cours en ligne ne sont pas tous enregistrés et si vous envoyez vos devoirs à l’étranger ou que vous passez vos examens ailleurs, ce n’est pas comptabilisé. » D’après lui, le changement de politique concernant les admissions y est forcément pour quelque chose.

« On demande trois A-Levels pour avoir accès aux universités et c’est normal que le nombre d’inscrits diminue. » Theeshan Bahorun, président de l’Université de Technologie et directeur de Polytechnics Mauritius, est pessimiste. « C’est une direction logique parce que les universités n’arrivent pas à proposer des cours qui permettent de trouver du travail tout de suite. Du coup, l’étudiant se demande à quoi lui serviront de longues études. » Les universités ne se montrent pas assez flexibles pour s’adapter aux demandes de l’industrie, selon lui, et les contraintes administratives seraient à blâmer. « Parfois, acheter un stylo est un parcours du combattant  ! Maintenant, changer les cours... » La proposition de la formation polytechnique, voire professionnelle, qui garantit un emploi, pourrait répondre dans une grande mesure aux demandes de cette nouvelle génération, selon Theeshan Bahorun.


Statistiques : les universités locales délaissées pour l’étranger

Rajesh Jeetah, qui s’était vu confier la responsabilité de démocratiser le secteur de l’enseignement supérieur, s’était donné pour objectif d’avoir une population de 100 000 étudiants dans les universités mauriciennes en 2010. Sept ans plus tard, ces chiffres semblent être hors de portée puisque la population estudiantine se chiffre à 48 089, d’après Statistics Mauritius. Une comparaison du taux d’admission entre 2010 et 2015 (NdlR : il s’agit du dernier rapport Participation in Tertiary Education publié par la Tertiary Education Commission (TEC) qui confirme ce déclin.) S’il y avait 18 126 admissions en 2010, il n’y en avait que 14 627 en 2015, soit 3 499 de moins.

Les chiffres indiquent que c’est véritablement en 2010 qu’on a pu témoigner d’une croissance dans ce secteur. Les 18 126 inscriptions qui ont été enregistrées cette année-là, représentent une croissance de 3,7%. Les plus importantes universités du pays, soit l’Université de Maurice (UoM) et l’Université de Technologie de Maurice (UTM), entre autres, enregistrent des croissances. Toutes les facultés de l’UoM enregistrent des hausses dans les inscriptions. Les universités privées bénéficient aussi de la manne. Le nombre d’étudiants qui ont décidé de poursuivre leurs études dans le privé est de 11 661 contre 10 663 en 2009. Parallèlement, ils sont moins de Mauriciens à mettre le cap sur l’étranger pour poursuivre leurs études. Ils n’étaient que 3 500 en 2010 contre 4 119 en 2009.

Baisse confirmée en 2015

Le phénomène connaît un ralentissement en 2011 : les universités du pays enregistrent 16 950 nouveaux étudiants contre 18 126 l’année précédente. La situation ne profite pas forcément aux universités étrangères puisqu’ils ne sont que 3 007 Mauriciens à partir pour poursuivre leurs études contre 3 500 l’année précédente.

Le nombre d’inscriptions continue à dégringoler en 2012. Le nombre d'inscriptions passe à 16 366. Le phénomène est inversé dans le privé : le nombre d’inscriptions grimpe, passant de 4 600 à 5 541. Quant aux études à l’étranger, la baisse est importante. Ils sont seulement 2 381 Mauriciens à y poursuivre des études.

2013 est l’année d’un retour de la croissance. La barre des 18 000 inscriptions est de nouveau franchie avec un total de 18 564. Ce sont les universités publiques qui attirent le plus avec une importante croissance de 28  % en termes d’inscriptions. La tendance s’inverse cependant pour les universités privées : le nombre d’inscriptions est de 5 205 contre 5 541 l’année précédente.

2014 marque cependant le retour des baisses dans les inscriptions. On chute à 15 830 contre les 18 564 en 2013. Les études à l’étranger reprennent alors leur essor après plusieurs années de baisses successives. Pas moins de 10 151 opteront pour cette voie contre seulement 8  958 l’année précédente.

Cette baisse d’inscription globale se confirme également en 2015. Ils sont seulement 14 627 étudiants à s’être enregistrés dans les universités. Les études à l’étranger continuent de séduire les Mauriciens. 11 099 s’envolent pour l’étranger, confirmant le retour en grâce des universités étrangères après quelques années de baisse de popularité.


Un secteur à polémique

L’Enseignement supérieur s’est transformé, année après année, en un véritable secteur à polémique. C’est le plus souvent dans le secteur public qu’on a pu témoigner d’une série de controverses les unes plus embarrassantes que les autres. La création d’un ministère dédié, en 2010, s’est d’ailleurs effectuée dans un climat de conflit puisque l’opposition d’alors avait critiqué la nomination de Rajesh Jeetah à ce portefeuille alors que son frère était le directeur de l’Eastern Institute of Integrated Learning Management (EIILM). L’opposition qualifiait cette relation d'incestueuse et avait régulièrement adressé des questions parlementaires à ce sujet. La Tertiary Education Commission (TEC), organisme régulateur du secteur, a aussi eu droit à une mauvaise presse en raison de la gestion d’un de ses anciens directeurs en la personne d’Ashok Kumar Bakshi. Les polémiques ont fait rage dans les universités publiques. L’UoM a été la plus exposée aux scandales. Les ingérences ministérielles, les processus de sélection, les lobbys internes ont grandement nui à l’image du secteur, sans compter deux accusations de plagiat contre l’ex-VC, Romeela Mohee.

La situation n’est pas meilleure en 2017 puisque ce secteur continue à faire la une des journaux pour de mauvaises raisons. La gestion de la directrice de l'UTM, Sharmila Seetulsingh-Goorah, est régulièrement pointée du doigt. Elle a aussi été au cœur d’une Private Notice Question (PNQ) à l’Assemblée nationale. Toutefois, au niveau du ministère de tutelle, l’on continue à lui faire confiance et l’on est persuadé qu’elle mènera l’université à un avenir glorieux. À l’Université des Mascareignes, il faut souligner le fait qu’on n’a plus eu de réunion du conseil d’administration depuis plus d’un an.


Enseignement supérieur : l’enfant pauvre

Si le ministère de l’Éducation et celui de l’Enseignement supérieur sont de nouveau réunis sous une même coupole depuis décembre 2014, cela ne veut pas forcément dire que le secteur de l’enseignement supérieur en a souffert. Du moins, si on se fie aux chiffres du budget du ministère. La ministre Leela Devi Dookun Luchoomun donne l’impression de mettre toute son énergie dans le 9-year schooling. Le Tertiary Education Bill, attendu depuis des années, tarde à venir mais au niveau du financement, les universités ne sont pas moins bien loties qu’à l’époque où elles avaient un ministère dédié. En fait, le pourcentage du budget alloué à l’enseignement supérieur a même augmenté.

En 2014, quand il y avait encore un ministère de l’Enseignement supérieur, le budget voté pour le secteur était de Rs 855 millions, dont Rs 850,9 millions pour les seules allocations aux universités publiques. Un chiffre qui fait pâle figure à côté du budget du secondaire qui atteint la somme de Rs 7,7 milliards. La somme accordée au primaire est considérable : Rs 3,95 milliards. Par contre, le budget du pré-primaire est modeste avec Rs 230,6 millions. Le budget de l’enseignement supérieur ne compte alors que pour 6,7 % de la somme totale accordée au secteur éducatif.

En 2015, avec la fusion des deux ministères, le budget de l'enseignement supérieur rapetisse. Il passe à Rs 686,3 millions, dont Rs 450,9 millions pour les dépenses courantes et Rs 235,5 millions pour le budget de développement. Cette année-là, le secteur secondaire jouit d’un budget de Rs 4 milliards, celui du primaire descend à Rs 1,8 milliard et le pré-primaire à Rs 117,8 millions. Malgré la baisse, la somme allouée à l’enseignement supérieur représente tout de même 9,4 % du budget du ministère de l’Éducation.

Pour l’année dernière, le budget destiné à l’enseignement supérieur explose. Il passe à Rs 1,3 milliard. Le secondaire reste loin devant avec une subvention de Rs 8,1 milliards, le primaire suit de près avec Rs 3,8 milliards et le pré-primaire demeure l’enfant pauvre avec Rs 240 millions.

Dans le budget total de Rs 14,8 milliards du ministère de l’Éducation, 8,8 % vont à l’enseignement supérieur. Une nouvelle baisse après l’augmentation de 2015.


Prof. Goolam Mohamedbhai, ex-secrétaire général de l’Association des universités africaines : «Il y a un manque aigu de bons techniciens à Maurice»

Quelle est la tendance dans la région africaine concernant le taux d’inscription dans les universités ?
Dans les pays d’Afrique subsaharienne, le taux d’inscription est constamment en hausse. Il y a environ dix ans, le taux d’inscription global atteignait à peine 5 ou 6 % alors qu’aujourd’hui, il tourne autour de 10 %. Il y a une stratégie claire au niveau de chaque pays pour soutenir cette croissance. Pour faire la comparaison, à Maurice, ce chiffre tourne autour de 40  %, excluant ceux qui étudient à l’étranger. Le lien entre le développement économique et social et le taux d’inscription dans les universités dans les pays en développement a été établi.

Comment les pays africains procèdent-ils normalement pour garantir la qualité de leur enseignement supérieur en pleine phase d’expansion ?
Il s’agit d’un des principaux défis auxquels sont exposés les pays africains. Il y a eu un certain degré de succès mais les avancées sont lentes. Le manque de ressources humaines et financières est le plus gros obstacle. Les campus sont surpeuplés, il n’y a pas de personnel académique qualifié en nombre adéquat, les laboratoires et les équipements sont désuets, les universités sont hautement politisées avec des malaises fréquents au niveau des étudiants et du personnel, qui mènent à la fermeture des campus. Il y a quelques années, le DAAD (German Academic Exchange Service) a initié un programme réussi pour la promotion du contrôle de qualité dans les universités d’Afrique orientale. Le DAAD a désormais bougé vers les pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique central et initie aussi des actions dans les pays d’Afrique australe. Cela va certainement aider même s’il reste encore beaucoup à faire de la part des pays eux-mêmes.

Quelle est l’importance de la recherche dans les universités africaines ?
Les universités africaines ont des performances médiocres dans le domaine de la recherche. Les résultats en Afrique sont parmi les plus bas au monde. Il y a un gros manque de personnel académique possédant un doctorat, même dans un pays comme l’Afrique du Sud. La plupart des cours postgraduate sont du niveau du Master avec une production de travaux de recherches quasi inexistante. Un pays qui n’investit pas dans la production de la connaissance ne pourra être compétitif dans une économie du savoir. Ce qui explique que la plupart des initiatives récentes dans l’enseignement supérieur africain au niveau continental se sont concentrées sur la formation de troisième cycle et la recherche. C’est le cas pour l’Union africaine d’Universités panafricaines les Centres africains d’excellence de la Banque mondiale ou encore ceux du DAAD.

Le gouvernement a abandonné la politique de « one graduate per family ». A-t-elle été un succès selon vous ?
Si je me rappelle bien, la proposition était d’augmenter la population d’étudiants à 100 000 d’ici 2020. En 2016, nous avons à peine atteint 50 000 et le chiffre n’augmente pas. Nous ne pouvons dire que cela a été un succès même si l’idée était certainement louable. Il y avait aussi une proposition de construire des campus universitaires partout autour de l’île. Cela n’a pas marché.

La politique actuelle consiste à encourager les jeunes à se diriger vers les formations techniques ou professionnelles, basées sur les modèles allemand et singapourien. Est-ce une anomalie en Afrique ?
En Afrique, l’augmentation des inscriptions a été faite principalement à travers les universités, celles qui existent déjà, les nouvelles, les privées. Les polytechniques sont en train d’être rehaussées au grade d’universités. Singapour possède certaines des meilleures universités au monde, mais aussi d’excellentes polytechniques. On a besoin des deux.

Est-ce bien ce dont le pays a besoin dans la conjoncture actuelle ?
Maurice a besoin à la fois de diplômés bien formés qui peuvent être des employés productifs et de techniciens hautement qualifiés dans une variété de domaines. Selon moi, nous avons besoin de plus de gens de la deuxième catégorie à cette étape de notre développement. Il y a un manque aigu de bons techniciens à Maurice.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !