200 000 Mauriciens souffrent de troubles mentaux. Les professionnels de la santé mentale pointent du doigt un environnement de travail de plus en plus stressant et déshumanisant comme explication.
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Mercredi, à l'occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, le ministre de la Santé, Anwar Husnoo, a révélé que selon les chiffres officiels, 200 000 Mauriciens souffrent de troubles mentaux. D’autres professionnels du secteur (voir interview) avancent qu’il y en aurait bien plus, soit plus d’un quart de la population. Psychologues et médecins du travail estiment que l’environnement professionnel, qui a beaucoup changé, est une des causes principales. D’autres avancent que le problème trouve sa source dans la façon dont les enfants sont surprotégés depuis au moins deux décennies.
D’ici à quelques semaines, une étude menée par Straconsult d’Amédée Darga, devrait donner quelques pistes concernant la santé mentale des jeunes de 13 à 19 ans. Il s’agit d’une étude de la tendance des loisirs parmi les jeunes qui comprendra des composantes sur l’évaluation psychologique de l’échantillon. « Cette étude s’intéresse aux loisirs, aux pratiques, aux inquiétudes et au stress des jeunes », explique Amédée Darga. S’il a décidé de lancer cette étude, c’est à partir d’un « constat empirique qu’il y a au niveau des jeunes, beaucoup d’anxiété ». La hausse de la criminalité, le suicide et les dérives comportementales sont autant d’indices.
Pour Amédée Darga, l’origine de cette dérive au niveau de l’équilibre mental des jeunes se trouve dans le fait qu’ils ne font plus l’apprentissage de leur propre prise en charge. « Les enfants sont trop protégés, explique-t-il, ils sont fragilisés parce que trop chouchoutés. Ils grandissent dans un cocon créé par les parents et lorsqu’ils se retrouvent face aux difficultés normales de la vie, ils ne savent pas gérer parce qu’on les a toujours protégés. »
Le Dr Basant Deerpaul, psychologue du travail, estime que les parents doivent assumer leur part de responsabilité dans la fragilisation de l’équilibre mental de leurs enfants. Sauf qu’il dira que c’est par absence de réconfort émotionnel. « De nos jours, la démission des parents face à leurs responsabilités joue aussi un grand rôle, explique le psychologue, Ils sont fatigués quand ils sortent du travail et n’ont plus l’énergie qu’il faut pour offrir le réconfort émotionnel et affectif nécessaire à leurs enfants. »
Dr Deerpaul indique que le phénomène mondial de hausse des troubles mentaux a pour cause principale la nature du travail qui a beaucoup changé. « Le travail, de nos jours, n’est plus de nature physique mais mentale et cela engendre un déséquilibre. » Une vie sédentaire qui n’offre plus d’échappatoire à travers l’effort physique favorise les troubles psychologiques, selon lui. L’apprentissage, surtout au niveau de l’école, n’a pas suivi ce changement et n’arme pas le futur professionnel pour s’épanouir dans ce genre d’environnement. « On ne nous prépare pas à gérer ce monde de compétition. »
Une analyse que soutient Dr Ben Veeraragoo, médecin du travail. « De nos jours, vous voyez de nombreuses annonces qui disent 'should be able to deliver under pressure' ! Même avant d’avoir décroché le job, l’employé est sous pression », s’insurge le médecin. L’accent de plus en plus prononcé sur la productivité et la compétition est en train d’avoir raison de l’équilibre mental d’une partie importante de la main-d’oeuvre. Ce dernier révèle que durant ses 25 ans comme médecin du travail dans le privé, il a traité six personnes souffrant de stress causé directement par la nature de leur travail. « Les métiers avec de longues heures et des 'deadlines' serrés sont particulièrement vulnérables, précise-t-il. Il y avait une dame qui travaillait 12 heures par jour, sept jours par semaine. La plupart des malades de ce type sont des personnes qui travaillent dans des bureaux et la section de comptabilité est souvent affectée. »
Avec l’importance que prennent les secteurs comme le BPO et l’offshore, ce genre de stress pour les cols blancs devrait empirer. « Pour contrecarrer ce phénomène de stress professionnel, c’est toute une politique qu’il faut pouvoir mettre sur pied », propose Dr Ben Veeraragoo. « Il faut avoir un guide de santé établi avec un médecin auprès duquel l’employé peut se sentir libre de se confier en toute confidentialité. » La gestion des jeunes managers, les longues heures de travail, et les objectifs de productivité élevés font partie des cas que pourrait traiter ce guide… Si le travail ne peut pas rendre fou, selon le médecin, il peut facilement mener à la dépression.
À travers le monde
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recense le nombre de personnes qui souffrent de troubles mentaux à travers le monde.
- Dépression : Plus de 300 millions de gens dans le monde souffrent de dépression. La dépression est caractérisée par un état de tristesse, une perte d’intérêt, l’insomnie et une faible estime de soi. C’est la première cause d’invalidité au monde. Les femmes sont plus atteintes que les hommes.
- Schizophrénie : Plus de 21 millions de personnes à travers le monde sont atteintes de la schizophrénie. Il s’agit d’un mal qui déforme la pensée, les perceptions et les émotions. Les hallucinations sont monnaie courante. Les personnes atteintes de schizophrénie ont deux fois plus de risques de mourir prématurément par rapport à la population normale.
- Trouble bipolaire affectif : 60 millions de personnes, à travers le monde, en sont atteintes. Ce mal est marqué par des épisodes maniaques et dépressifs entrecoupés de périodes d’humeur normale.
Dr Geeaneswar Gaya, psychiatre : «Les chiffres de l’hôpital Brown-Séquard ne reflètent pas la réalité»
Le ministère de la Santé estime qu’il y a 200 000 personnes qui souffrent de troubles mentaux à Maurice. Vous avez avancé le chiffre de 300 000…
Il faut prendre en considération ceux qui suivent des traitements dans le privé et qui ne sont pas comptabilisés. Je crois qu’en réalité, il doit y en avoir plus. Il y a aussi des gens qui souffrent de troubles mentaux mais qui ne sont pas traités. Il y a encore une certaine stigmatisation des traitements pour les troubles psychiatriques et parfois, on a tendance à ne pas prendre ces choses au sérieux. On ne va pas consulter un psy quand on a une migraine ou qu’on est stressé.
Qu’est-ce qui explique ce phénomène mondial ?
Prenez les problèmes au travail, ajoutez-y les problèmes familiaux et les troubles sociaux qui pullulent. La violence est partout. Puis, il y a l’alcool et la drogue vers lesquels se tournent les dépressifs pour se sentir mieux. Paradoxalement, cela les enfonce davantage dans leur état.
Est-ce qu’il y a plus de gens souffrant de troubles psychiatriques ou parce qu’on en détecte plus que par le passé ?
C’est vrai que de nos jours, les gens sont plus conscients de ces choses-là. Ils suivent plus de traitements qu’il y a quelques années. Mais il y a aussi de nouveaux problèmes de notre époque qui surgissent et font que les gens se sentent mal. On vit dans un univers rempli de négativité, on lit des problèmes partout et c’est déprimant. Si vous portez des verres noirs, vous verrez le monde entier en gris.
Les chiffres de l’hôpital Brown-Séquard indiquent toutefois que plus de 40% des patients se font traiter pour des problèmes liés à l’alcool…
Les chiffres de Brown-Séquard ne reflètent pas la réalité. C’est un hôpital destiné aux problèmes psychiatriques sérieux. Il y a beaucoup de gens qui souffrent de problèmes légers qui ne doivent pas y être nécessairement traités. Avec les alcooliques, il faut gratter la peinture de surface. On découvre souvent que l’alcool cache une dépression. Une personne boit pour se soulager de sa dépression et finit par l’empirer.
Quel est le mal le plus fréquent de vos patients ?
Ce sont les troubles névrotiques. Les gens sont anxieux et angoissés. Certains sont en proie à des crises de panique qui les empêchent de fonctionner correctement au travail. Souvent, les troubles mentaux génèrent des troubles physiques. Les chiffres indiquent qu’une femme souffrant de dépression chronique a huit fois plus de risques de développer un cancer du sein. Le monde du travail est devenu plus dur, plus compétitif avec une obsession de la productivité.
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