Après les Offshore Leaks, au tour des Mauritius Leaks. L’International Consortium of International Journalists (ICIJ) a rendu publique une montagne de documents concernant la juridiction mauricienne. L’accusation est faite : Maurice contribue à appauvrir l’Afrique en subtilisant les taxes que les investisseurs étrangers devraient y payer.
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La dernière enquête de l’International Consortium of International Journalists (ICIJ), publiée mardi, place Maurice au centre de la scène. Les Mauritius Leaks révèlent en fait 200 000 documents de la branche mauricienne de Conyers Dill & Pearman, une compagnie basée aux Bermudes, depuis rachetée par trois Mauriciens et rebaptisée Venture Corporate Services (VCS).
Ces documents ne révèlent rien d’illégal dans les transactions, mais réveillent la polémique autour du global business. Maurice, en particulier, est accusé de contribuer à la paupérisation des pays africains. Ses outils : les traités fiscaux qui encouragent les investisseurs étrangers à passer par la juridiction mauricienne pour investir en Afrique. Ce qui leur évite de payer des taxes dans ces pays. Les experts en taxation sollicités par l’ICIJ estiment que cela contribue à appauvrir les pays africains. Du côté de Maurice, on continue toutefois de défendre jalousement la juridiction : ces investisseurs ne seraient jamais allés en Afrique sans la présence de Maurice.
C’est notamment la position d’Ashok Aubeeluck, économiste et ancien directeur du Budget : « Il y a des pays aujourd’hui, comme le Sénégal, qui avancent ce même point. Mais c’est une question d’opportunity cost. Est-ce que sans l’apport de Maurice, l’Inde, le Sénégal ou le Ghana auraient fait aussi bien et auraient attiré autant d’investisseurs ? » Selon lui, les investisseurs occidentaux connaissent la juridiction mauricienne et lui font confiance. Il cite notamment l’exemple du Rwanda qui a suivi l’exemple de Maurice et a enregistré un taux de croissance record. Ainsi, le manque à gagner fiscal serait largement compensé par des investissements qui n’auraient pas existé sans cela.
L’explication : la jalousie. « Quand vous avez du succès, cela fait des envieux. » L’économiste explique que c’est la raison pour laquelle même l’Inde, supposée alliée du pays, s’est battue bec et ongles pour une révision de fond en comble de l’accord de non-double imposition qui existait entre nos deux pays. « Mais sans cet accord, l’Inde n’aurait jamais pu prétendre rivaliser avec la Chine et espère devenir l’une des premières économies du monde. »
Un autre économiste, Ganessen Chinnapen, chargé de cours à l’Université de Maurice, estime toutefois que le problème est en fait endémique au continent africain : « Il y a un gros marché noir en Afrique quand il s’agit d’évasion fiscale ; les investisseurs africains recherchent le round-tripping (NdLR : réinvestir dans son pays en passant par un centre financier étranger) et pensent pouvoir utiliser Maurice comme centre financier. C’est une réalité de l’économie africaine. » D’autant que la taxe dans plusieurs de ces pays est bien plus élevée qu’à Maurice. « Peut-être qu’on peut revoir ces traités pour trouver un meilleur équilibre, car cela représente définitivement un manque à gagner pour ces pays africains. »
Qu’en est-il de ces investisseurs étrangers qui évitent d’y payer des taxes en passant par Maurice ? «Les États africains ne peuvent contrôler les fonds qui sortent du pays, c’est à l’investisseur de décider. S’ils trouvent mieux ailleurs, ils iront ailleurs.» Question de compétitivité.
Les pays africains avec lesquels Maurice a un accord
Maurice compte actuellement 46 traités fiscaux opérationnels. Six autres sont en attente d’une ratification, cinq attendent d’être signés et vingt autres sont en cours de négociations. Voici la liste des pays du continent africain avec lesquels Maurice a un accord déjà en place :
- Botswana
- Congo
- Égypte
- Ghana
- Lesotho
- Madagascar
- Mozambique
- Namibie
- Rwanda
- Sénégaln
- Seychelles
- Afrique du Sud
- Swaziland
- Tunisie
- Ouganda
- Zimbabwe
- Zambie
Il faut également souligner que très peu de ces pays offrent un régime fiscal plus avantageux que ceux de Maurice, où il est possible pour une compagnie offshore de ne payer que 3% de taxes. Les pays suivants proposent mieux : le Congo avec 0% et 5% de taxe sur les dividendes et une exemption sur les royalties ; le Sénégal et les Seychelles exemptent de toute taxe ; la Tunisie propose une exemption de la taxe sur les dividendes et 2,5% sur les intérêts et les royalties.
Il faut rajouter à cela cinq des six traités qui attendent une ratification : le Gabon, les Comores, le Kenya, le Maroc et le Nigeria. Ceux qui attendent une signature: la Côte d’Ivoire, le Malawi et la Gambie. Ceux qui sont en négociations : l’Algérie, le Lesotho (un nouvel accord qui doit supplanter l’actuel), le Soudan du Nord, le Sénégal (nouvel accord), la Tanzanie, la Zambie (nouvel accord) et le Mali.
Le FMI : les traités n’apportent pas plus d’investissements
« Based on a sample of 41 African economies from 1985–2015, the results suggest that signing treaties with investment hubs is not associated with additional investments; yet, these treaties tend to come with non-negligible revenue losses. » Le verdict du Fonds monétaire international (FMI) sur l’impact des traités fiscaux en Afrique est clair et net : il n’apporte pas plus d’investissements et occasionne des pertes de revenus. C’est ce que conclut cette institution dans un document intitulé « The Cost and Benefits of Tax Treaties with Investment Hubs: Findings from Sub-Saharan Africa » publié en octobre 2018.
Et plus spécifiquement sur les accords avec Maurice: « Overall, our estimations suggest that an additional tax treaty between source countries in SSA (NdLR: afrique subsaharienne) and Mauritius did not increase FDI. » De l’autre côté, un accord avec Maurice entraînerait une perte de 15% à 25% sur les impôts des sociétés.
Une des compagnies citées : « On s’est assuré que le client paie la fiscalité ‘in a fair manner’ »
Une des compagnies citées par Mauritius Leaks explique que « tout a été fait d’après le cadre légal ». « Nous avons suivi toutes les procédures pour assurer que le client paie la fiscalité in a fair manner », indique notre interlocuteur sous le couvert de l’anonymat.
Craintes sur l’impact de Mauritius Leaks sur le secteur
Les opérateurs ne cachent pas leurs appréhensions. Et pour cause, l’affaire Mauritius Leaks risque d’affecter le secteur. « Bien sûr que cette affaire va entacher le secteur et c’est malheureux. Le secteur financier dépend beaucoup sur sa réputation. Quand il y a une perception qui se créée, cela a des répercussions », fait ressortir Assad Abdullatiff, Chief Executive d’AXIS Fiduciary Ltd.
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