L’histoire politique du pays, depuis son accession à l’indépendance, s’est résumée à quatre principaux partis. Parallèlement, les nouvelles forces éprouvent toutes les peines du monde à émerger. Comment expliquer cela ? Eléments de réponse.
Du Parti travailliste (PTr) au Mouvement militant mauricien (MMM), en passant par le Parti mauricien social démocrate (PMSD) et le Mouvement socialiste militant (MSM), le système électoral mauricien a été et continue d’être dicté par toutes ces formations politiques depuis les élections générales de 1967. Même s’il y a eu, au fil des années, le souhait de nombreux Mauriciens de voir l’émergence d’une nouvelle force politique, cela n’a jamais pu se matérialiser. Il y a certes eu l’élection surprise du leader du Front Solidarité Mauricien (FSM), Cehl Meeah aux élections générales de 2010, mais cela s’est révélé n’être qu’une élection inédite. Il y a également eu quelques exceptions dans les cas du Muvman Liberater (ML) d’Ivan Collendavelloo, du Mouvement Patriotique (MP) d’Alan Ganoo et de la Plateforme militante de Steven Obeegadoo. Mais il est important de souligner qu’il s’agit de trois partis dissidents du MMM qui ont pu se faire élire grâce au soutien électoral du MSM avec lequel ils ont été en alliance lors des élections de 2014 et 2019.
Des partis solidement ancrés
« Maurice a connu deux partis politiques historiques avant la période de l’indépendance. Il y a d’abord eu le Parti travailliste qui a œuvré pour l’émancipation de la classe ouvrière, pour le droit de vote et pour l’accession à l’indépendance. Puis, le PMSD qui est aussi un parti historique qui tire ses racines du Ralliement mauricien (RM) et qui a voulu s’affirmer comme un parti de droite. Il ne faut pas oublier qu’ils ont été contre l’indépendance, mais aussi contre le droit du vote », dira Ashok Subron, du parti de gauche, Rezistans ek Alternativ (ReA).
Selon Ashok Subron, il y a ensuite eu l’émergence d’un autre parti historique, le MMM, alors que le MSM tire ses origines du MMM et du Parti socialiste mauricien (PSM) d’Harish Boodhoo. « De par toute l’histoire que le MMM, le PMSD et le PTr portent, ils ont aussi, dans le temps, su développer une bonne base électorale et de bons appareils électoraux. « Il faut savoir que pour participer à une élection, il faut être capable de mobiliser et d’organiser ses troupes avec de la logistique. Les partis politiques traditionnels maîtrisent tout cela », avance le membre de ReA.
Le politologue, Avinaash Munohur, abonde dans le même sens. « Les partis ‘mainstream’ ont des racines profondes à Maurice. Les raisons principales sont que ces partis sont issus d’idéologies qui ont su rassembler et de moments historiques qui ont amené de grands changements de cap pour le pays », explique-t-il.
Prenant l’exemple du PTr, le politologue ne manque pas d’évoquer le fait que la source de cette formation politique se trouve être « dans la lutte pour l’indépendance et dans les luttes ouvrières, sans oublier la défense d’une certaine idée du Welfare State. Le PMSD trouve, lui, sa source dans les mouvements contestataires à l’indépendance, comme le Parti pour le Ralliement Mauricien et le Parti Mauricien, avant que Gaëtan Duval ne lui donne une autre direction, à partir du début des années 80 », ajoute-t-il.
« Le MMM est né en 1969, juste après l’indépendance. Il trouve sa source dans les idées socialistes qui ont animé la seconde partie du XXe siècle et qui s’articulait autour de la notion de la lutte des classes. Le MSM est, lui, une branche qui s’est émancipée du MMM et qui a plutôt soutenu un projet fondé sur le libéralisme économique et qui a produit le grand bond économique des années 80 et 90 », dit Avinaash Munohur.
Ainsi, selon lui, chacun de ces partis a représenté quelque chose de fort dans l’histoire du pays. Ils ont un lien intime avec les Mauriciens pour avoir présidé à leur destinée. « Encore une fois, les racines de ces partis sont profondes. Ils ont une assise territoriale importante, avec des bases électorales présentes dans toutes les circonscriptions – sauf peut-être le PMSD qui est limité de ce point de vue. Ils ont également eu des figures fortes historiquement. Je ne parle ici que des leaders. Les Mauriciens sont très sensibles au charisme et à la force en politique, et il est indéniable que ces quatre partis ont produit des personnages historiques qui font que nous pouvons comprendre notre présent », fait-il part.
Cependant, l’élément central qui fait que le système politique à Maurice soit sous l’emprise des partis politiques traditionnels n’est autre que le système électoral de First Past The Post (FPTP). Selon Ashok Subron, un tel système électoral limite considérablement le choix des électeurs au moment du vote. « Le FPTP permet uniquement de sanctionner le gouvernement ou de lui renouveler sa confiance. Dans un tel cas de figure, il est extrêmement difficile de voir une nouvelle force politique émerger. Le FPTP encourage une bipolarisation », ajoute le représentant de ReA.
La seule solution pour mettre fin à cette suprématie dominante des partis politiques traditionnels demeure dans une réforme électorale avec une bonne dose de proportionnelle. Ashok Subron se dit « convaincu » qu’un parti comme Rezistans ek Alternativ aurait certainement pu se retrouver avec des sièges à l’Assemblée nationale si une dose de proportionnelle était appliquée dans le système électoral. « Nous avons, en 2014, obtenu 4 % de votes, alors que pour les élections municipales, nous avons obtenu 7,2 %. Nous aurions donc tôt ou tard pu être à l’Assemblée nationale et la population mauricienne aurait eu l’occasion de mieux comprendre les capacités de notre parti. Cela nous aurait ainsi permis à mieux grandir et nous développer en une force électorale », ajoute-t-il.
Si Avinaash Munohur s’était aligné sur les mêmes arguments qu’Ashok Subron concernant l’ancrage des partis traditionnels, il aborde cependant la question du FPTP sous un angle complètement différent. « J’invite les lecteurs qui s’intéressent à cette question du système First Past The Post à lire la thèse doctorale de Rama Sithanen, qui apporte un éclairage sur de nombreux points, mais qui reste très limitée sur d’autres », souligne-t-il.
Selon Avinaash Munohur, Rama Sithanen a surtout voulu donner un « fondement scientifique solide au calcul électoral dans le système FPTP. « Rama Sithanen aborde ce système par le biais de l’outil statistique, pensant pouvoir développer des stratégies imparables pour optimiser les projections électorales. Nous savons tous ce que ces calculs ont donné en 2014 », fait-il part. D’ajouter que c’est là « la limite de l’approche de Rama Sithanen qui ne considère, à aucun moment, que les données les plus importantes du système électoral mauricien est la fonction de l’identité dans la production de la représentativité politique. Il ne considère pas que les rapports majorité/minorité, pour chacune des 20 circonscriptions de Maurice, découlent de négociations et de compromis qui ont lieu à l’intérieur même des partis politiques ».
Pour le politologue, c’est une des raisons pour lesquelles les partis traditionnels sont toujours là. « Ils offrent la garantie qu’aucune composante de la société mauricienne ne sera éjectée de la représentativité politique. Des partis, comme le PTr et le MMM, l’ont d’ailleurs compris. Le MSM sait aussi le faire aujourd’hui, qu’on ne le veuille ou pas – ils n’auraient pas remporté les élections de 2019 si ce n’était pas le cas », explique-t-il. Avinaash Munohur est aussi d’avis que c’est la volonté de trop de nouveaux partis de mettre de côté la question identitaire, la percevant comme un tabou qu’il faut sortir de la sphère politique. « C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles ils ne font jamais long feu », affirme-t-il.
Géraldine Hennequin, d’Idéal Démocrate : « Le système actuel est effrayant et inefficace »
Nous avons depuis les élections de 1967, témoigné d’une suprématie politique des partis traditionnels à Maurice. Qu’est-ce qui a contribué à cette situation ?
J’ai envie de vous répondre assez simplement, en quelques mots : un manque flagrant de volonté politique. Je ne vais pas revenir sur la construction du système lui-même – le First Past The Post abondamment commenté par certains comme étant le mur qui se dresse pour les partis qui émergent et visent à prendre une place qui compte dans la vie politique locale, par exemple au Parlement.
Ce qui me sidère, c’est qu’on présente encore ce système en 2023 comme une fatalité. Nous l’avons tous entendu de la bouche des leaders des partis mainstream qui visiblement n’ont jamais pensé quand ils ont occupé le pouvoir tour à tour, à faire évoluer le mode de notre système électoral. Pour le rendre plus juste. Pour qu’il soit en conformité avec notre temps.
Pourquoi cette vaste hypocrisie ?
L’analyse commence dans leurs propres partis ! Regardez cela de près. Les partis mainstream dans notre pays sont extrêmement conservateurs. Ils sont englués dans un immobilisme qui ne sert que les intérêts de leurs leaders. Ils sont incapables de laisser germer un leadership autre que celui adossé à leur propre nom. Franchement, cela ne fait pas honneur à notre pays. Quid d’une nouvelle génération, de nouvelles idées, une nouvelle façon de faire de la politique ? Qu’est ce qui a changé au sein de ces partis depuis qu’ils ont été créés ? RIEN ! C’est la même soupe tiède de couleuvres à avaler. Pour moi, c’est non merci.
Il y a aussi eu une farouche volonté de leur part à nourrir le clanisme - ici on dit le « noubanisme ». C’est leur terreau politique ! Le Parti travailliste et le MMM ont été construits sur des luttes sociales, des luttes de classe. Qu’en reste-il aujourd’hui ? Les autres ont émergé avec une idéologie clanique. C’est un fait ! Ils nous ont tous condamné à croire que seuls eux peuvent conduire notre destin national. Ils sont prêts à se liguer pour étouffer ceux qui émergent. Et ils entretiennent tous le plus épais brouillard possible sur leur financement. C’est le cancer qui nous a donné une île Maurice malade politiquement aujourd’hui.
On a souvent tendance à mettre en avant le système électoral avec le First Past The Post. Est-ce la seule raison qui explique cette situation politique ?
Non, puisque le système n’est qu’un outil entre nos mains. Dans un pays pourvu d’une classe politique qui vise à toujours améliorer l’idéal démocratique, elle aurait ajusté l’outil pour permettre à notre pays de se vivre pleinement comme République. Je ne crois pas qu’il faille chercher midi à 14 heures. Ce conservatisme aveugle a conduit l’île Maurice à se retrouver, élection après élection, avec les mêmes au pouvoir. Ils ont pris l’État pour un espace de villégiature pour leurs familles et leurs amis. Ils ont enfermé la population dans leurs réseaux clientélistes, favorisant la corruption, provoquant l’émigration de notre jeunesse et asséchant toute tentative d’émergence de nouveaux partis prônant une réforme politique qui mettrait à mal leurs privilèges.
Ils sont arrivés à nous obliger à avoir une lecture appauvrie de nos identités à travers leur pratique qui consiste à segmenter la population. Notre système politique, depuis la promesse de 1968, a grignoté sur l’égalité des droits, l’égalité des possibles, l’égalité devant la santé, l’égalité devant l’éducation, dans le travail, l’égalité de l’accès au service public, l’égalité de la représentation politique, notamment pour les femmes. Et ils ont seriné l’imaginaire collectif de balivernes ! Seul un Mauricien d’origine hindoue, doublée d’une certaine caste s’il vous plaît, pourrait devenir Premier ministre. Les autres sont-ils dépourvus de cerveau ? Cet entêtement, quand ce n’est pas ‘lamone dite’ durant la période électorale, nous a conduits vers un long tunnel noir en politique. Notre pays est un modèle de tolérance et d’équilibre entre les communautés, nous avons été un modèle économique et de développement social sur le Continent noir. La pratique d’une politique figée l’a essoufflé.
Qu’est-ce qui devrait être fait pour assurer une meilleure diversité politique à Maurice ?
L’émergence de forces alternatives doit avoir lieu, car une grande partie de la population rejette ce système dégoulinant d’incurie et de corruption. Mais il faut aussi qu’une évolution, voire une révolution se fasse au sein des partis mainstream. Ils sont un certain nombre dans ces partis qui aspirent, j’en suis certaine, à d’autres méthodes, d’autres pratiques et d’autres rhétoriques. On aimerait les entendre. Que les députés de ces partis imposent leurs motions dans leurs partis respectifs. Je ne peux pas croire qu’il n’y a que des suiveurs.
Sur un plan plus pratique, la ‘to-do list’ est longue. Le premier point entre tous est de permettre aux électeurs de s’inscrire sur les listes électorales toute l’année (avec un période de réserve dans une année d’élection). C’est loin d’être anodin ce que je vous dis là. Le système actuel est archaïque, effrayant, totalement inefficace et corruptible à souhait ! Et puis, pour contrer cette mafia qui agit comme un cordon ombilical pour le monde politique actuel, il faut une législation crédible et claire sur le financement des partis politiques. Il y a tant à faire !
Comment assurer une meilleure diversité politique
S’il faut, selon Ashok Subron, inverser la tendance politique actuelle à travers la dose de proportionnelle, là encore Avinaash Munohur aborde la question sous un angle diamétralement opposé. « Je ne perçois pas un manque de diversité politique à Maurice. Comme je vous le disais, les grands partis sont très représentatifs. Ils ont une assise territoriale totale et les membres de ces partis représentent toutes les composantes de la nation mauricienne. La question n’est pas celle de la diversité, selon moi, mais bien plutôt celle des projets politiques », dit-il.
Avinaash Munohur concède, toutefois, que Maurice est en train de faire face à une crise politique causée par deux éléments : « Le manque de transition intergénérationnelle et le manque de renouvellement par rapport au projet politique pour Maurice. Il est clair que notre pays se transforme rapidement et que les enjeux socioéconomiques, dans lesquels les grands partis sont nés, évoluent aussi. Ce qui fait que de moins en moins de Mauriciens se reconnaissent dans ces partis. À partir de là, il est clair qu’il faut du renouveau. Mais ce renouveau se doit de passer par un projet de société pour notre pays. Nous devons pouvoir donner une autre direction à notre économie, à notre modèle de développement et à notre modèle social », soutient-il.
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