- Risques suicidaires élevés pour 38 % des élèves interrogés dans 18 collèges en 2024
Si le taux de suicide à Maurice (9,5 pour 100 000 habitants – chiffres rapportés) est légèrement inférieur à la moyenne mondiale (10,5), le pays se situant à la 62e place sur 180, la situation reste préoccupante, en particulier chez les jeunes de 15 à 29 ans, dont le suicide est la quatrième cause de décès, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). D’ailleurs, souligne l’OMS, en 2023, pour chaque suicide, on estime qu’il y avait 20 tentatives.
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Dans les écoles notamment, la situation soulève des inquiétudes. En effet, ces dernières années, plusieurs établissements scolaires ont constaté une augmentation des comportements suicidaires (pensées, tentatives, décès) parmi les élèves et le personnel. Dans le cadre du projet Konekte : Service d’Écoute en milieu scolaire, 18 des 170 établissements participants ont rapporté des chiffres particulièrement préoccupants. Rien que cette année, 38 % présentaient des risques suicidaires élevés (voir tableau).
Emilie Rivet, docteure en psychologie clinique et Chief Operations Officer de Konekte, précise que ces chiffres sont indicatifs et ne reflètent pas l’état réel de la santé mentale de la communauté scolaire. En effet, une partie des adolescents n’a pas pu accéder aux services en raison de la présence hebdomadaire limitée des professionnels en psychologie et en écoute dans les établissements scolaires, ainsi que du décrochage scolaire notamment. De plus, ces services ne sont offerts que dans certains établissements scolaires publics, soit 18 sur 170.
Le suicide d’un élève n’est pas un événement isolé et peut déclencher une réaction en chaîne. Les recherches sont formelles : le risque de nouveaux gestes suicidaires augmente considérablement dans un établissement scolaire après un décès. C’est comme une onde de choc qui se propage, mettant en danger la vie d’autres élèves.
Selon Seguin et al, 2020, « à la suite du décès par suicide d’un élève, on estime que cela augmente de trois fois les probabilités que survienne un autre suicide dans l’établissement scolaire qu’il fréquentait, notamment dans les trois semaines suivant le décès. De multiples recherches indiquent que 50 % des adolescents exposés à un suicide présentent un risque de 2 à 4 fois plus élevé de se donner la mort et que de 1 à 4 % des suicides d’adolescents surviendraient dans un espace-temps limité ».
Le suicide d’un élève est une tragédie qui laisse des traces indélébiles au sein d’une communauté scolaire. Face à un tel drame, les équipes éducatives sont souvent démunies. Pour surmonter cette épreuve et prévenir de nouvelles tragédies, il est crucial de mettre en place des stratégies de soutien adaptées.
La postvention est un ensemble d’actions mises en œuvre après un suicide ou une tentative de suicide. Son objectif principal est de protéger les élèves et le personnel en réduisant leur souffrance et en renforçant leurs capacités à faire face à l’épreuve. Elle vise à limiter le risque d’effets dévastateurs sur la santé mentale des élèves. En brisant l’effet d’entraînement, la postvention contribue à prévenir de nouveaux gestes désespérés. Cette stratégie permet, en effet, de repérer et de mettre en place un soutien psychologique à long terme pour les élèves et membres du personnel proches, à risque et vulnérables. Tout cela favorise le sentiment de sécurité dans l’établissement scolaire concerné. Ainsi, en offrant un soutien personnalisé, la postvention aide les élèves à reprendre une vie normale tout en continuant à bénéficier d’un accompagnement si nécessaire.
Depuis juillet 2018, des professionnelles en psychologie de Konekte ont développé un parcours de formation de 60 heures pour les membres du personnel et les professionnels de l’écoute et de la psychologie. En mai 2024, ces derniers ont été officiellement présentés dans les établissements scolaires en tant que membres d’une Équipe de postvention (EPV).
En parallèle, un manuel de postvention a été élaboré pour aider les équipes à mettre en œuvre les actions nécessaires lorsqu’une tentative de suicide ou un décès par suicide survient. Ce guide, rédigé par la Dr Emilie Rivet en collaboration avec Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, sera prochainement publié. Il est destiné à aider les membres du personnel à gérer ces événements traumatiques, avec le soutien d’une équipe formée pour mettre en place des interventions spécifiques.
Témoignages
Jeremy Thomas, enseignant (Collège du Saint Esprit, Quatre-Bornes)
« La formation sur le suicide (prévention, intervention, postvention) dont nous avons bénéficié, nous a permis d’être bien équipés lorsqu’au collège nous devons faire face à des comportements suicidaires. Cette formation m’a permis personnellement d’être plus à l’écoute des élèves et des collègues. Il est primordial que tous les établissements scolaires soient formés et puissent avoir accès au manuel de postvention afin de mieux prévenir et intervenir face à ces situations complexes. »
Jessica Dorasamy, enseignante (Collège Notre Dame, Curepipe)
« Depuis 2018, la formation sur le suicide a profondément transformé ma vision de l’encadrement des jeunes en milieu scolaire. Cela nous a appris non seulement à reconnaître les signes de détresse chez les jeunes, mais aussi à comprendre comment intervenir efficacement. »
Sonia Adam, Ingrid Vydeenaden et Toolsee Vencatalapillay, enseignantes (Collège Lorette de Port-Louis)
« La formation nous a permis de prendre conscience de l’importance de la bienveillance pour les personnes qui sont autour de nous. Les sessions sur les bases de l’écoute et la mise en pratique nous ont permis de réaliser qu’une écoute profonde et de qualité est une compétence qui s’apprend. C’est un apprentissage continu. »
Marjorie Barbe Munien, rectrice adjointe (Collège du Saint-Esprit )
« Quand survient un drame tel que le suicide, nous sommes tous, adultes comme élèves, pris par diverses émotions. Il est impératif, cependant, que les adultes en position de décision soient en mesure de gérer leurs émotions afin de pouvoir gérer cette situation de crise au mieux, en étant disponibles et présents auprès des élèves et membres du personnel. Ce manuel détaillant les étapes à suivre et l’encadrement d’une équipe formée dans la postvention nous permettent d’avancer avec plus d’assurance. »
Karin Catian, enseignante (Collège BPS)
« J’ai accompagné la Head Girl du collège BPS à une rencontre avec d’autres membres du Student Council d’autres établissements scolaires, initiative de Konekte, pour parler de la prévention du suicide à l’adolescence. À tour de rôle, les jeunes ont pu s’exprimer sur ce sujet qui, pour eux, n’est pas tabou. Espérons qu’ils puissent avoir une plateforme pour sensibiliser leurs camarades. »
Dominique Seblin, rectrice
« En tant que pédagogue, j’ai été plusieurs fois témoin du mal-être que vivent nos pré-adolescents et adolescents. Cette dernière décennie connaît une recrudescence de ces situations de souffrances qui se complexifient et qui mènent, hélas, à des comportements suicidaires chez certains jeunes. Le parcours de formation sur la prévention du suicide, depuis 2018, a significativement aidé notre secteur éducatif à prendre à bras le corps ce problème. Ayant vécu la douloureuse expérience de la mort subite d’un membre d’une communauté scolaire à laquelle j’ai appartenu, j’ai été témoin de l’efficacité d’avoir un guide pour nous aider à gérer cet événement traumatique. L’EVP de l’établissement, soutenue par les membres de la direction, s’est tout de suite mise en action. Des sessions d’écoute et de paroles collectives ou individuelles des jeunes et du personnel se sont multipliées. Dans ce monde, où beaucoup de nos jeunes vivent de grandes souffrances, il est primordial que l’école demeure un lieu sécurisant et bienveillant, que les membres du personnel soient formés, encadrés et soutenus pour être auprès des jeunes. »
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