Le recyclage de l’eau ainsi que l’utilisation des eaux usées pourraient être une vraie bouée de sauvetage pour notre pays qui sera appelé à gérer des crises encore plus importantes avec les effets du dérèglement climatique.
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Eau potable : Davantage dans les toilettes que pour la consommation
Aux grands maux les grands moyens. Alors que l’eau est appelée à devenir de plus en plus rare d’ici les prochaines années, avec des prédictions à l’effet que 84 % des terres cultivées dans le monde devraient manquer d’eau d’ici 2050, la gestion de l’eau potable doit être mieux pensée.
L’eau destinée à la consommation ne doit plus être exploitée à d’autres fins, comme pour la machine à laver ou encore pour des activités de nettoyage. Se disant concernés par la situation de l’eau à Maurice, plusieurs experts s’accordent à dire qu’il faudrait avoir recours à de l’eau déjà utilisée pour les activités de nettoyage dans une maison.
Afin de bien illustrer la manière dont l’eau potable est utilisée à d’autres fins que la consommation, l’ex-député du Mouvement socialiste militant (MSM), Bashir Jahangeer, avance qu’une personne consomme en moyenne 1 à 2 litres d’eau par jour. « En revanche, le volume d’eau utilisé pour les toilettes est beaucoup plus considérable. Chaque jour, ce sont 25 litres d’eau qui sont utilisés », affirme-t-il.
« C’est presque pareil pour la machine à laver qui consomme entre 15 et 25 litres d’eau à chaque utilisation », ajoute-t-il. L’eau potable est ainsi plus utilisée pour des activités de nettoyage que pour la consommation.
Cela fait dire à l’ex-député de la circonscription n°13 (Rivière-des-Anguilles/Souillac) que les nouvelles maisons doivent, à l’avenir, impérativement être équipées d’un système qui permettra de recycler l’eau. « Ce recyclage peut être effectué avec l’aide d’un filtre qui procédera au traitement de l’eau usée qui sera par la suite dirigée dans un autre réservoir d’eau. Un foyer doit, à ce moment-là, posséder deux réservoirs d’eau. Un qui sera uniquement destiné à la consommation et l’autre pour assurer le stockage de cette eau traitée », avance l’ex-député.
Ce genre d’installation doit être la norme pour les nouvelles constructions, insiste-t-il.
« Les conseils de district ainsi que les municipalités doivent exiger cela des nouveaux propriétaires avant d’accorder des permis de construction. »
Une mesure dont le gouvernement central doit aussi être partie prenante, dit-il.
« Le gouvernement est déjà en train d’investir des milliards de roupies dans des projets d’eau. Il suffit de donner des subsides aux nouveaux propriétaires de maisons pour qu’ils puissent financer ces installations. Un réservoir d’eau ainsi qu’un système de filtrage d’eau peuvent coûter la somme de Rs 14 000 », fait savoir Bashir Jahangeer.
Toujours est-il que pour l’ex-député, ce projet, bien qu’intéressant, ne suffira pas à résoudre la crise de l’eau qui se fera de plus en plus sentir dans les années à venir. Pour lui, le gouvernement doit réfléchir plus grand et voir plus loin. C’est la raison pour laquelle il plaide pour la concrétisation du projet de dessalement à Maurice.
« C’est bien de traiter l’eau usée et penser au recyclage mais pour que cela soit une réussite, il faut avoir accès à cette eau. Si nous allons connaître de nouvelles périodes de sécheresse, le dessalement est une solution viable. »
Un impératif pour l’irrigation
L’ancien stratégiste de Greenpeace et consultant en développement durable Sunil Dowarkasing fait comprendre qu’il n’y a pas grand-chose à faire. Il y a, en effet, déjà une unité de traitement des eaux usées à Saint-Martin. Nos eaux usées sont traitées à 90 %, ce qu’il appelle le « tertiary treatment », et partent dans l’océan.
« La proposition avait été faite aux planteurs dans la région de Médine d’utiliser cette eau, mais ils avaient tous refusé. Il y a cette mentalité que c’est l’eau fécale bien que ce soit traité à 90 %. Du coup, l’eau est déversée dans la mer », souligne-t-il.
En ce moment, il dit comprendre que les filtres de Saint-Martin sont endommagés. « On devait en importer d’Afrique du Sud. Par la suite, il y a eu des problèmes administratifs et je ne sais pas si les filtres ont été remplacés. »
Sunil Dowarkasing insiste que l’on aurait dû utiliser cette eau à Maurice, notamment pour le secteur agricole qui est un grand consommateur d’eau, aussi bien que pour le lavage des voitures, entre autres.
L’ex-General manager de la Central Water Authority (CWA), Harry Boolauck, se souvient qu’un projet d’utilisation des eaux usées pour l’irrigation avait été proposé à la communauté des planteurs en 2008. Le gouvernement mauricien avait engagé des discussions avec des Allemands. Sauf que face à la réticence des planteurs, le projet est mort-né.
« Ce projet consistait à mélanger l’eau usée traitée par la station de Saint-Martin avec l’eau de canalisation de Magenta, mais les planteurs ne voulaient pas absorber les coûts de production même si un plan de subsides leur avait été proposé », révèle-t-il.
Outre la réutilisation des eaux traitées qui sont vouées au gaspillage, Harry Boolauck propose aux autorités compétentes de s’inspirer des pays comme l’Angleterre qui sont parvenus à recycler l’eau provenant des rivières en onze occasions et qui est utilisée pour la consommation.
L’ex-General manager de la CWA est catégorique : « Cela ne vaut pas la peine de chercher des prétextes et se dire que cela ne peut être réalisé à Maurice. Plusieurs pays sont en train d’investir massivement dans le recyclage de l’eau pour la consommation. Maurice ne peut être un cas spécial. Il faut savoir s’inspirer des meilleurs modèles pour le secteur de l’eau car c’est une denrée qui va devenir de plus en plus rare. L’heure est à l’action. ».
Manque de confiance
L’ingénieur en environnement et océanographe Vassen Kauppaymuthoo observe que les gens n’ont pas confiance dans le traitement des eaux usées.
« Ceux qui habitent dans l’ouest du pays voient quand l’eau usée traitée est déversée dans l’océan. Ils préfèrent ne pas l’utiliser », déclare-t-il.
Selon lui, dans le passé, la Wastewater Management Authority (WMA) avait approché une compagnie dans l’ouest du pays ainsi que certains planteurs. « Mais quand ils ont vu la qualité de l’eau, ils se sont posé la question de savoir si celle-ci est réellement traitée. Ainsi, il y a de la réticence à tous les niveaux pour utiliser cette eau », souligne-t-il.
Vassen Kauppaymuthoo fait remarquer que si les gens ne veulent pas utiliser cette eau pour l’irrigation, « alors il est quasi impossible qu’ils aillent l’utiliser pour la consommation ». S’il y avait eu un meilleur contrôle sur la qualité de l’eau, les gens auraient changé de perception et utilisé cette eau, poursuit-il. « La supervision aurait dû être effectuée par des organismes indépendants dès le départ », martèle-t-il.
Quoi faire, dès lors ? Si le gouvernement veut donner à la population de l’eau usée traitée correctement, alors il faut investir davantage, plaide l’ingénieur en environnement. « Pour pouvoir traiter un mètre cube d’eau, ça va coûter Rs 40 et c’est plus cher que le dessalement de l’eau de la
mer », argue-t-il.
Autre suggestion : que dans les endroits où il n’y a pas de système de tout-à-l’égout, il y ait des « micro wastewater system treatment plant ». « Ainsi, l’eau usée pourra être utilisée en mettant une bonne dose de chlore. Par la suite, cette eau pourra être utilisée pour l’arrosage ou encore le lavage des vêtements. »
Diminuer la pression sur les réservoirs
Sunil Dowarkasing indique que l’utilisation des eaux usées aurait diminué la pression sur les réservoirs et les nappes souterraines du pays.
« Le secteur agricole est l’un des gros consommateurs d’eau et se sert de l’eau potable. On ne comprend toujours pas pourquoi le gouvernement n’introduit pas un règlement sur les eaux usées », note-t-il.
Autre gros consommateur d’eau, le secteur de la construction aurait également dû utiliser l’eau traitée, poursuit le consultant en développement durable. « C’est la même chose concernant les usines. Même les usines auraient dû utiliser cette eau au lieu de la déverser dans la mer. »
Préconiser le captage d’eau de pluie
Un beau gâchis. Car avec les récentes pluies tombées dans diverses régions, pas mal d’eau aurait pu être stockée. Or l’eau part dans les canaux pour ensuite se déverser dans la mer
Selon l’ingénieur en environnement et océanographe Vassen Kauppaymuthoo, pendant la période de sécheresse, les terres sont devenues sèches. Avec les premières pluies d’été de la semaine dernière, toute l’eau a été absorbée. Mais avec les pluies de cette semaine, et la terre qui est saturée, l’eau ruisselle et par la suite, il y a des inondations. « Ainsi, il fallait impérativement construire de grands bassins dans des champs pour stocker cette eau. Quand un est rempli, il faut en construire un autre le plus vite possible. »
De plus, ajoute-t-il, « les gens auraient dû installer un système pour capter l’eau de pluie. Ils auraient pu l’utiliser pour l’arrosage notamment ».
Le gouvernement, fait comprendre Vassen Kauppaymuthoo, ne peut pas tout faire, bien qu’il fasse commencer quelque part.
« Dans le prochain Budget, le gouvernement doit proposer des ‘incentives’ afin d’encourager les particuliers et le secteur privé à miser sur le captage d’eau ou encore construire des mini-réservoirs pour les usines. »
Il faut, insiste-t-il, que le gouvernement opte pour la décentralisation. « Du coup, cela va encourager le stockage d’eau de part et d’autre. De plus, dans un quartier, les gens peuvent se regrouper pour faire le captage de l’eau », souligne-t-il. Il regrette, dans la foulée, qu’à Maurice, l’on a tendance à oublier la période sèche une fois qu’on a de la pluie.
C’est pourquoi Sunil Dowarkasing est d’avis que le gouvernement doit mener des études au plus vite pour savoir quels sont les canaux qui peuvent être détournés vers les réservoirs afin qu’ils puissent les remplir. « Il faut aussi penser à construire des petits barrages dans les rivières afin d’empêcher l’eau de partir dans la mer. Il y a plusieurs solutions, mais il faut que le gouvernement soit proactif. Il ne faut pas oublier la saison sèche. »
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