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Stress hydrique : l’eau a coulé sous les ponts, mais la crise persiste

Les robinets risquent de se retrouver à sec dans plusieurs régions si la période sèche se prolonge.
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  • Des solutions durables freinées par une gestion défaillante

L’heure est grave. Au 10 janvier, les réservoirs du pays n’affichaient qu’un volume total de 40,98 millions de mètres cubes (Mm³), soit un taux de remplissage global de 44,4 %. La situation est encore plus alarmante si l’on exclut le réservoir de La Ferme, non utilisé pour la consommation domestique : la capacité de stockage effective chute à 37,76 Mm³, représentant seulement 40,7 % du potentiel.

Ce scénario rappelle la crise de janvier 2023, où le taux de remplissage avait atteint un niveau critique de 32,1 % (29,9 Mm³) au 13 janvier pour les sept réservoirs, avant que des pluies « providentielles » ne viennent rétablir la situation en fin de mois. Face à cette nouvelle crise, les autorités envisagent déjà des coupures d’eau quotidiennes de trois à cinq heures (voir plus loin).

Pour Farook Mowlabaccus, hydrologue, et Vassen Kauppaymuthoo, ingénieur en environnement et océanographe, cette pénurie aurait pu être anticipée. Farook Mowlabaccus rappelle que le décalage des pluies d’été n’est pas exceptionnel : « Les précipitations, habituellement attendues en décembre avec le passage des cyclones, peuvent parfois ne survenir qu’en février. » Il note d’ailleurs qu’aucun gros cyclone n’a approché la région depuis près de 20 ans.

Vassen Kauppaymuthoo met en lumière le rôle des anticyclones qui, en repoussant les systèmes cycloniques vers le nord, privent l’île de précipitations. Il évoque également l’influence du dipôle de l’océan Indien, un phénomène océanographique créant une alternance entre zones chaudes et froides : « Quand Maurice connaît la sécheresse, l’Australie, elle, peut être sous les pluies. » L’expert, qui avait prédit dès octobre cette période sèche prolongée, souligne la transition d’El Niño vers La Niña.

Une approche holistique du développement et de l’approvisionnement en eau est indispensable»

L’absence de pluies en décembre n’est pas encore alarmante, estime Farook Mowlabaccus. « Tant que les précipitations arrivent en janvier, voire début février, la situation reste gérable », soutient-il. Il note néanmoins que les récentes averses, bien qu’intenses, se sont concentrées sur les hautes Plaines-Wilhems, suivies de deux semaines de temps sec. « La situation devient préoccupante, mais l’expérience montre que des pluies en février restent possibles, donc je suis moins inquiet que d’autres », tempère-t-il, tout en admettant qu’un retard prolongé pourrait devenir problématique. 

Mais Vassen Kauppaymuthoo se montre plus pessimiste : l’absence de précipitations généralisées à la mi-janvier est inquiétante. « Si cette tendance persiste, nous pourrions faire face à une situation catastrophique, potentiellement pire qu’en 2023 », avertit-il. 

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L’hydrologue Farook Mowlabaccus et l’océanographe Vassen Kauppaymuthoo insistent tous deux sur le stockage de l’eau.

Gestion de l’eau

Face à cette situation, se pose la question de la gestion de l’eau disponible. D’autant que si les réservoirs atteignent un taux de remplissage de 20 à 35 %, ils deviennent inexploitables pour les besoins domestiques. La raison : 15 % de la capacité des réservoirs est occupée par des dépôts de boue, nous a fait comprendre une source à la CWA.

Dans ce contexte, l’hydrologue Farook Mowlabaccus approuve la décision de la Central Water Authority (CWA) d’instaurer des coupures d’eau : « Il faut tenir compte du rythme de la baisse des niveaux pour prendre les mesures adéquates, afin d’éviter d’atteindre le seuil critique où les réservoirs ne seraient plus exploitables. »

La solution, selon lui, réside dans l’amélioration des capacités de stockage, particulièrement face à l’imprévisibilité des précipitations. Cela permettra d’éviter de se retrouver confronté chaque année à ce même problème, dit-il. Il rappelle que le Plan de gestion des ressources en eau de 1996 avait déjà proposé plusieurs mesures, dont la construction des barrages de Midlands (réalisé) et de Bagatelle, qui a pris 20 ans pour être achevé.

Le projet de barrage de Rivière-des-Anguilles reste cependant en suspens. « Si ce projet avait été achevé, il aurait pu approvisionner les régions du sud-est, du sud et du sud-ouest, allégeant ainsi la pression sur le réservoir de Mare-aux-Vacoas, qui n’aurait été utilisé que pour les Plaines-Wilhems et ses environs », explique Farook Mowlabaccus. 

L’hydrologue regrette également l’absence de progrès sur les projets de barrages dans l’ouest et à Rivière-du-Rempart. Il fait ressortir que les solutions temporaires comme le captage des rivières ou les « Containerized Pressure Filters » ne peuvent remplacer des infrastructures pérennes.

Vassen Kauppaymuthoo insiste également sur l’urgence d’optimiser le stockage d’eau, notamment face à la vulnérabilité des nappes phréatiques qui fournissent 70 % de l’approvisionnement national. Il déplore le gaspillage des eaux pluviales qui, au lieu d’alimenter ces nappes, s’écoulent vers la mer. Pour pallier ce problème, il suggère l’installation de réservoirs sur les toits des habitations.

« Les changements climatiques ont réduit la pluviométrie d’environ 10 % depuis 1950, rendant crucial l’amélioration du stockage des eaux de pluie », maintient-il. Vassen Kauppaymuthoo préconise la création de petits réservoirs régionaux, plus rapides et économiques à mettre en place que les grandes infrastructures. Il pointe également l’urgence de réduire les 60 % de pertes dans le réseau de distribution de la CWA.

D’autre part, l’expert alerte sur l’impact de l’urbanisation intensive. Certaines zones ont vu leur population tripler ou quadrupler sans adaptation proportionnelle des infrastructures hydriques. « Une approche holistique du développement et de l’approvisionnement en eau est indispensable », insiste-t-il, suggérant également le déploiement d’unités de dessalement mobiles en période de crise.

Farook Mowlabaccus complète cette analyse en pointant la forte consommation d’eau du secteur hôtelier. Bien que certains établissements recourent au dessalement, cette solution reste financièrement inaccessible pour la population générale. Il met également en garde contre la surexploitation des nappes phréatiques : la multiplication des forages risque de fragiliser des aquifères déjà exploités à leur maximum.

Des mesures annoncées ce mardi 14 janvier

Selon nos recoupements d’informations, face à la crise de l’eau, des mesures devraient être annoncées lors de la conférence qui se tiendra au ministère des Services publics et de l’Énergie ce mardi 14 janvier. Ce sujet a également été abordé lors du Conseil des ministres du vendredi 10 janvier. Des rapports, dont celui de la Water Ressources Monitoring Commission, sont attendus ce lundi 13 janvier. Les décisions et mesures seront prises à partir des dernières données disponibles lors d’une réunion prévue le même jour. Un plan d’action devrait aussi être présenté lors de la conférence de presse.

 

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