
Le traité signé jeudi après-midi par le Premier ministre Navin Ramgoolam et son homologue sir Keir Starmer consacre la reconnaissance officielle par Londres de la souveraineté mauricienne sur l’archipel des Chagos, y compris Diego Garcia. Il s’agit désormais de garantir un avenir durable pour l’archipel.
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Le 22 mai 2025 restera gravé comme le jour où Maurice a récupéré la totalité de son territoire historique, à travers un accord bilatéral signé entre Londres et Port-Louis. Après six décennies de bataille diplomatique, le Royaume-Uni reconnaît formellement la souveraineté mauricienne sur l’ensemble de l’archipel des Chagos, incluant Diego Garcia. Le Royaume-Uni versera à Maurice une somme annuelle, et indexable dans le temps, de 165 millions de livres sterling, soit Rs 10,06 milliards, pendant les 28 premières années. Le montant devrait ensuite être revu.
Bien que symbolique, cette reconnaissance doit désormais se traduire en leviers concrets pour garantir un avenir durable à l’archipel, tout en respectant les impératifs environnementaux et humains qui s’y rattachent. Si la souveraineté est actée, les défis de sa mise en œuvre, notamment en matière de gestion écologique et de réinstallation des Chagossiens, restent, eux, immenses.
Engagement environnemental
Au-delà de l’aspect géopolitique et financier, l’accord contient plusieurs dispositions cruciales pour la protection de l’environnement unique du Chagos, classé parmi les écosystèmes marins les plus préservés de la planète. Voici les principales mesures environnementales prévues par le traité :
- Article 5(1) : Le Royaume-Uni s’engage à exercer les droits qu’il détient sur Diego Garcia dans le respect du droit international de l’environnement et en tenant compte du droit environnemental mauricien applicable.
- Article 5(2) : Le Royaume-Uni apportera son soutien à Maurice pour la création et la gestion d’une aire marine protégée dans l’archipel des Chagos, sur la base d’un instrument séparé.
- Article 5(3) : Les deux parties coopéreront sur d’autres aspects liés à la protection de l’environnement, incluant :
- la prévention et la gestion des marées noires et autres types de pollution maritime ;
- la lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée.
- Article 2(3)(g) : Maurice conserve la souveraineté sur les ressources naturelles, y compris les ressources halieutiques, et détient le droit de réglementer les activités liées à l’environnement.
- Annexe 1, paragraphe 3(c) : Maurice et le Royaume-Uni décideront conjointement de l’usage du spectre électromagnétique, essentiel à la surveillance environnementale et aux installations scientifiques.
- Annexe 1, paragraphe 4-6 : Un mécanisme d’évaluation de sécurité environnementale est mis en place. Avant toute construction ou développement sur les îles autres que Diego Garcia, Maurice doit effectuer une Security Review, avec consultation du Royaume-Uni.
- Annexe 1, paragraphe 9 : En cas d’activités non autorisées risquant de nuire à l’environnement ou aux engagements de sécurité, les deux parties s’engagent à coopérer pour faire cesser ces activités.
- Annexe sur les organisations internationales : Concernant la convention de Ramsar sur les zones humides, Maurice devient gestionnaire officiel du site de Diego Garcia, avec une cogestion environnementale convenue avec le Royaume-Uni.
Transformer les compensations en développement durable
Parallèlement à cette dimension écologique, l’accord établit un cadre de développement à long terme, financé par une enveloppe significative. Trois instruments financiers principaux sont prévus :
1. Paiement annuel :
Rs 10,07 milliards pendant les trois premières années.
Rs 7,32 milliards par an entre la quatrième et la treizième année.
Un montant ajusté à l’inflation dès la quatorzième année et versé chaque 1er mai.
2. Fonds fiduciaire pour les Chagossiens :
40 millions de livres sterling (Rs 2,47 milliards selon le taux de change du jour) seront versés pour soutenir la réinstallation, l’éducation et les projets communautaires en faveur des descendants chagossiens.
3. Programme de subventions au développement :
45 millions de livres sterling (Rs 2,78 milliards) par an sur 25 ans pour des projets économiques, avec l’implication recommandée d’entreprises britanniques.
Équilibre fragile entre base militaire et vision écologique
Diego Garcia restera une base militaire opérée par les États-Unis et le Royaume-Uni pendant 99 ans, avec une option renouvelable pour une période de 40 ans à condition que Maurice tombe d’accord, mais Maurice conserve la propriété du sol et une partie des compétences civiles. C’est dans cette articulation complexe entre impératifs de défense et souveraineté nationale que le défi environnemental devra se déployer. Le défi sera d’instaurer un cadre cohérent entre la préservation des écosystèmes marins, la réinstallation des Chagossiens qui le souhaitent et les exigences sécuritaires d’une base stratégique dans l’océan Indien.
Mesures environnementales contenues dans le partenariat stratégique Maurice/Royaume-Uni
En marge du traité, les deux pays ont convenu d’un nouveau partenariat stratégique dont certains points ont trait à la protection de l’environnement des Chagos, mais aussi de Maurice :
Objectifs généraux :
- Coopération bilatérale pour lutter contre le changement climatique.
- Renforcement de la résilience climatique de Maurice.
- Gestion conjointe de la zone marine protégée des Chagos.
Actions prévues :
- Programme de financement climatique de 12 millions de livres sterling (Rs 741,26 millions), avec l’objectif de :
- Mobiliser des financements additionnels via des partenariats privés et des fonds internationaux.
- Renforcer l’accès au financement vert pour Maurice.
Projets environnementaux spécifiques :
- Restauration corallienne.
- Lutte contre l’érosion côtière.
- Conservation des espèces indigènes.
- Expertise technique pour la gestion de la zone marine protégée des Chagos, conformément à l’accord signé sur la souveraineté.
Sécurité maritime et protection des ressources :
- Coopération pour lutter contre :
- La pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN).
- Le trafic de drogues, la piraterie et la migration irrégulière.
- Renforcement des capacités de sécurité maritime de Maurice.
- Sécurisation de la zone économique exclusive autour des Chagos.
Ces éléments viennent donc renforcer et compléter les engagements déjà inscrits dans le traité du 22 mai 2025 (article 5 de l’accord bilatéral), en intégrant la dimension environnementale dans une vision stratégique à long terme entre Maurice et le Royaume-Uni.
Ce qu’ils ont dit…
Navin Ramgoolam, Premier ministre : « 60 ans de combat qui prend fin »
Lors d’une conférence de presse vendredi, le chef du gouvernement a salué une victoire « irréversible », fruit d’une stratégie diplomatique lancée dès 2010. « C’est 60 ans de combat qui prend fin », a-t-il dit, tout en soulignant la reconnaissance claire de la souveraineté mauricienne dans l’article premier du traité, ainsi que la fin officielle du British Indian Ocean Territory (BIOT).
Sur le plan financier, il a précisé que les sommes promises seraient inscrites dans le Budget national et soumises au contrôle de l’Assemblée nationale. Il a également confirmé qu’une première visite officielle des Chagossiens est prévue d’ici la fin de l’année. « L’argent n’est pas le plus important. C’est notre dignité comme nation. »
Paul Bérenger, Deputy Prime Minister : « C’est un moment bien émouvant »
Paul Bérenger a rappelé son premier contact avec les Chagossiens en 1970, dénonçant leur traitement passé comme « un martyr ». Il a aussi insisté sur le rôle limité de la commission conjointe qui encadrera les projets de développement autour de la base militaire. « Nous avons accepté ce comité, parce que nous sommes des gens de parole et de principe. » Pour le Premier ministre adjoint, « c’est un moment bien émouvant ».
Sir Keir Starmer, Premier ministre du Royaume-Uni : « Il n’y avait pas d’alternative »
Interrogé à Londres le jour de la signature du traité, sir Keir Starmer a assumé pleinement la rétrocession des Chagos à Maurice, tout en défendant les intérêts stratégiques du Royaume-Uni. Il a insisté sur l’équilibre trouvé entre reconnaissance de souveraineté et maintien de la base militaire conjointe américano-britannique sur Diego Garcia.
« L’accord signé aujourd’hui est le seul moyen de maintenir la base de Diego Garcia sur le long terme. » Il a souligné que cette décision avait été prise sous la pression croissante des instances internationales : « Si Maurice avait relancé une procédure judiciaire, le Royaume-Uni n’aurait pas eu de perspective réaliste de succès. »
Marco Rubio, secrétaire d’État américain : « Cet accord garantit le fonctionnement à long terme de la base militaire »
« Cet accord garantit le fonctionnement à long terme, stable et efficace de la base militaire conjointe à Diego Garcia », a dit Marco Rubio, secrétaire d’État américain. Saluant l’engagement des deux parties, il a réaffirmé le rôle crucial de cette base pour la sécurité mondiale et la coopération régionale.
L’archipel en quelques mots
Le territoire des Chagos, aussi appelé archipel des Chagos, est un ensemble de plus de 60 îles situé dans le centre de l’océan Indien, à environ 2 200 km au nord-est de Maurice. Il couvre une superficie terrestre d’environ 60 kilomètres carrés, répartie sur plusieurs atolls, dont le plus grand est Diego Garcia. Les îles principales sont Diego Garcia (la seule habitée actuellement, et cela par des militaires), Peros Banhos, ainsi que Salomon.
Retour progressif : un Resettlement Action Plan en préparation
Un plan de réinstallation est en préparation en vue de permettre un retour progressif sur l’archipel. Annonce d’Olivier Bancoult, le samedi 24 mai, lors d’un point de presse au centre du Groupe Réfugiés Chagos (GRC) à Pointe-aux-Sables.
« Nous avons déjà un Resettlement Action Plan en cours d’élaboration, avec l’aide d’experts britanniques et américains », a-t-il indiqué. La session de travail, organisée sous l’égide des consultants internationaux de Dentons, se tiendra les 25 et 26 juin prochain, et réunira plusieurs experts, dont des spécialistes du droit, de la planification territoriale et du développement durable. L’objectif : élaborer une feuille de route claire pour permettre le retour durable des natifs des Chagos sur leurs îles, dans le respect de leurs droits, de leur dignité et de la souveraineté mauricienne.
L’accord signé entre Maurice et le Royaume-Uni s’accompagne d’un fonds de reconstruction de 40 millions de livres sterling. Une compensation annuelle de Rs 10 milliards vient compléter ce dispositif exceptionnel. Mais ce projet ambitieux dépasse la simple reconstruction. Il vise à créer une existence pleine et autonome pour les Chagossiens. « Nous prévoyons un développement respectueux de l’environnement », a expliqué Olivier Bancoult. « L’énergie renouvelable et l’éco-marine seront au cœur de notre approche. »
« Ce plan est fondamental. Il est temps de tourner la page de l’exil forcé et d’offrir à notre communauté une vraie perspective de réinstallation. Le rapport final sera soumis au gouvernement », a précisé Olivier Bancoult, en exprimant le souhait que, comme Rodrigues, les Chagos accèdent un jour à une autonomie encadrée sous souveraineté mauricienne. Le leader du GRC a également appelé le gouvernement mauricien à s’impliquer financièrement dans le processus, notamment en facilitant la location de terres à Diego Garcia.
D’autre part, Olivier Bancoult a appelé à l’unité. « Nou ena enn vizion pou Chagos. J’invite la partie adverse à nous rejoindre. Aret met baton dan larou. Travaillons ensemble. L’heure n’est plus à la division. Elle est à la construction », a-t-il déclaré.
Il a réaffirmé son plein soutien au récent accord conclu avec le Royaume-Uni, qualifié de compromis nécessaire. « Il n’y avait aucune alternative réaliste. Fallait-il refuser le deal et crier jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucun natif vivant, en faisant le jeu des Britanniques ? » a-t-il lancé, entouré de plusieurs natifs lors de sa conférence de presse.
Pour le leader du GRC, le plus important est que ce deal offre une compensation aux Chagossiens et surtout, un droit de retour sur leurs îles, y compris Diego Garcia, désormais reconnue comme relevant de la souveraineté mauricienne.
Le ton s’est durci lorsqu’il a évoqué les actions de deux Chagossiennes qui ont tenté de bloquer le processus en saisissant la Haute Cour de Londres, sans succès. « Ce geste est une trahison envers l’État mauricien et la majorité des Chagossiens. Je leur lance un appel : cessons les divisions. Unissons-nous. Nous sommes prêts à pardonner. »
Interrogé sur un éventuel soutien aux étudiants chagossiens brillant au Higher School Certificate, il a rappelé que le Conseil des Chagossiens prend déjà en charge la scolarité des cinq meilleurs élèves du PSAC jusqu’à la fin du secondaire. « Nous étudierons cette proposition. À ce jour, nous comptons déjà 27 diplômés chagossiens et d’autres en voie d’obtention. »
Enfin, Olivier Bancoult est revenu sur les critiques concernant la mauvaise gestion des premières aides et terres accordées aux Chagossiens dans les années 1970-1980. « Quand ils sont arrivés à Maurice, les Chagossiens n’avaient aucune éducation. Il n’y avait pas d’école aux Chagos. Ils ont dû survivre avec de petits boulots, sans filet de sécurité. Certains ont vendu leurs terres pour subvenir aux besoins de leurs familles. Et oui, des Mauriciens ont profité de leur misère pour leur racheter leurs terrains pour presque rien. »
« L’essentiel aujourd’hui, c’est de regarder devant, avec espoir, unité et dignité », a conclu Olivier Bancoult.

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