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Sonny Wong, COO d’Innodis : «Le moral des consommateurs est moins optimiste qu’en début d’année»

La consommation des ménages est une des indications fiables de la croissance d’un pays. À Maurice, à l’ère du post-Covid, le secteur de la consommation tend à reprendre ses droits, mais comme le fait observer Sonny Wong, COO d’Innodis, « la pandémie de Covid-19 a profondément modifié les habitudes de consommation ». De surcroît, ajoute-t-il, la cherté de la vie pousse les consommateurs à adopter des tendances d’achat de plus en plus réfléchies.

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Comment se comporte la consommation à Maurice, surtout après le dernier Budget ?
Le commerce demeure globalement en croissance, bien qu’il continue de faire face à des pressions inflationnistes persistantes. La consommation, soutenue par les ménages et le secteur touristique, reste dynamique, mais pourrait connaître un certain ralentissement au cours du second semestre 2025.

La confiance des consommateurs suscite des inquiétudes. Après une amélioration en début d’année, elle semble marquer un recul, traduisant une certaine prudence, malgré certaines mesures ciblées du Budget – comme la suppression de la TVA sur une sélection de produits.

Face à la cherté de la vie, les consommateurs adoptent des tendances d’achat de plus en plus réfléchies, ce qui pourrait freiner la progression de la consommation. En conséquence, la croissance attendue pour 2025 devrait être plus modérée comparée aux années précédentes.

Est-ce que Maurice est définitivement entré dans une ère de consommation tous azimuts pour tout type de produits, comme certains pays développés ?
L’île Maurice évolue progressivement vers une consommation plus large et diversifiée, mais demeure encore dans une dynamique modérée, typique des pays à revenu intermédiaire supérieur. Cependant, des signes clairs d’une transition vers une société de consommation plus mature sont observables, notamment au sein des classes moyennes et des jeunes professionnels, aussi bien dans les zones urbaines que rurales.

La demande ne se limite plus uniquement aux besoins essentiels. Elle est de plus en plus orientée vers le confort, les tendances, l’image de soi – souvent influencée par la publicité, l’exposition aux médias internationaux, la disponibilité croissante des produits, ainsi que l’accès facilité au crédit.

Cependant, le pouvoir d’achat limité reste un frein majeur. Les dépenses fixes, en constante augmentation, pèsent sur les budgets des ménages et alimentent une certaine appréhension face à l’endettement. Cette réalité tempère l’élan vers une consommation de masse, qui demeure limitée par les contraintes économiques locales.

Face à la cherté de la vie, les consommateurs adoptent des tendances d’achat de plus en plus réfléchies, ce qui pourrait freiner la progression de la consommation.»

De manière générale, est-ce que les consommateurs mauriciens sont plus prudents au niveau de leurs achats, surtout après l’ère pandémique ?
Oui, la pandémie de Covid-19 a profondément modifié les habitudes de consommation à Maurice. Les Mauriciens sont devenus nettement plus attentifs à leurs dépenses, avec un comportement d’achat désormais guidé par le rapport qualité/prix.

On observe une baisse marquée des achats impulsifs. Les consommateurs comparent davantage les prix entre les différentes enseignes, recherchent les promotions, achètent en quantités plus réfléchies et priorisent les produits de première nécessité.

Ce changement semble s’inscrire dans la durée, traduisant une approche plus rationnelle et responsable de la consommation dans un contexte économique toujours incertain.

Pourquoi les prix des produits alimentaires et non alimentaires ne se stabilisent-ils pas ? Que peut-on prévoir dans les mois à venir ?
La volatilité des prix s’explique par une combinaison de facteurs structurels, conjoncturels et externes. D’une part, la dépréciation continue de la roupie face aux principales devises étrangères fait grimper le coût des importations. Or, plus de 70 % de nos besoins sont couverts par des produits importés, notre capacité de production locale restant limitée à quelques secteurs spécifiques.

D’autre part, Maurice reste très exposé aux fluctuations des marchés mondiaux, notamment en ce qui concerne les prix du pétrole, des céréales et des matières premières. Les conflits armés et tensions géopolitiques, les dérèglements climatiques et les perturbations logistiques continuent d’affecter les chaînes d’approvisionnement, même si le fret montre quelques signes d’amélioration. Les coûts restent toutefois élevés.

Pour le second semestre de 2025, une baisse généralisée des prix semble peu probable, même si les prix de certains produits pourraient connaître une certaine stabilisation. Le moral des consommateurs est moins optimiste qu’en début d’année, malgré une résilience qui persiste.

Dans ce contexte, les marques de distributeur gagnent en popularité grâce à leur positionnement prix plus attractif. Les produits locaux, notamment ceux labellisés ‘Made in Moris’, bénéficient également d’un regain d’intérêt. Par ailleurs, on observe une timide orientation vers des choix plus durables, même si cela reste encore marginal à ce stade.

La demande ne se limite plus uniquement aux besoins essentiels. Elle est de plus en plus orientée vers le confort, les tendances, l’image de soi,…»

Les autorités ont récemment étendu le contrôle des prix sur d’autres catégories de produits alimentaires de base. Qu’en pensez-vous ?
Le contrôle des prix sur certains produits de base est une mesure courante dans de nombreux pays, notamment en période d’inflation élevée ou de crise, afin de protéger les consommateurs les plus vulnérables. À Maurice, cette pratique n’est pas nouvelle : des produits comme la farine, le riz, le lait en poudre ou encore l’huile comestible sont encadrés depuis de nombreuses années.

Ces mesures peuvent effectivement contribuer à maintenir un climat social stable en limitant la hausse des prix sur des produits essentiels. Cela dit, il convient de rappeler que la concurrence entre marques reste bien présente à Maurice, comme en témoigne la diversité des promotions proposées en grande surface, notamment en fin de mois.

Il ne faut pas non plus perdre de vue que le contrôle des prix génère souvent des effets pervers. Il réduit les marges des distributeurs, qui sont déjà sous pression avec l’augmentation des frais opérationnels… à tel point qu’il pourrait ne plus être économiquement viable de continuer à distribuer certaines gammes de produits.

Par ailleurs, le contrôle des prix crée une distorsion du marché, peut entraîner des pénuries et freine l’innovation ainsi que l’amélioration de la qualité. Lorsque les marges sont comprimées de manière artificielle, les importateurs et producteurs perdent l’incitation à investir ou à diversifier leur offre. À long terme, cela pénalise l’ensemble de l’écosystème commercial déjà fragilisé.

En somme, le contrôle des prix peut se justifier en tant que mesure d’urgence temporaire. Mais il ne constitue pas une solution structurelle durable. À terme, des politiques favorisant la production locale, la transparence des coûts et la concurrence saine seraient plus bénéfiques pour l’économie comme pour les consommateurs.

Le ministre du Commerce a annoncé une subvention de Rs 2 milliards afin d’atténuer les augmentations de ces prix. Quelles sont les denrées qui méritent d’être subventionnées ?
L’annonce d’une enveloppe de Rs 2 milliards par le ministre du Commerce vise à soutenir le pouvoir d’achat des ménages dans un contexte de pressions inflationnistes persistantes. Si une telle mesure peut être efficace à court terme, elle ne devrait pas se substituer à une stratégie de sécurité alimentaire plus durable. Un mécanisme temporaire, ciblé et intégré dans une vision plus globale, serait préférable, afin d’éviter les distorsions sur l’écosystème commercial.

Les produits de première nécessité – tels que le riz, la farine ou le gaz ménager – bénéficient déjà de subventions de longue date. Pour maximiser l’impact de cette nouvelle enveloppe, il est essentiel de garantir que la subvention se reflète réellement dans le prix de vente final. Cela pourrait justifier le maintien de certaines aides ciblées sur des produits de base comme le lait en poudre, la margarine ou certains produits en conserve, afin de répondre aux besoins quotidiens des ménages les plus exposés.

Le contrôle des prix crée une distorsion du marché, peut entraîner des pénuries, et freine l’innovation ainsi que l’amélioration de la qualité.»

Comment se comportent les produits locaux vis-à-vis des produits importés ? Dans quels secteurs sommes-nous en auto-suffisance ?
Les produits locaux ont nettement gagné en qualité et en visibilité au cours de la dernière décennie. Ils n’ont aujourd’hui rien à envier aux produits importés. Leur notoriété s’est renforcée, ils sont bien représentés dans les rayons des supermarchés, et de nombreux Mauriciens accordent de l’importance à l’achat local. Le label Made in Moris, en particulier, a beaucoup progressé et bénéficie d’une forte reconnaissance auprès des consommateurs.

Cependant, la production locale ne couvre encore qu’une partie de nos besoins alimentaires : plus de 75 % des produits alimentaires sont toujours importés. Cela s’explique notamment par les coûts de production plus élevés à Maurice, qui peinent à rivaliser avec les économies d’échelle des grandes industries internationales.

Le seul véritable secteur agroalimentaire dans lequel Maurice atteint une forme d’autosuffisance est celui du poulet de chair. À titre d’exemple, chez Innodis, nous disposons d’une filière entièrement intégrée, avec plusieurs décennies d’expertise et des marques reconnues telles que Prodigal ou Le Poulet Fermier.

Il devient essentiel de relancer et moderniser des secteurs stratégiques comme l’agriculture et la pêche, aujourd’hui largement sous-développés. Cela nécessiterait une stratégie structurée, durable et axée sur l’innovation. Il serait aussi crucial de revaloriser les terres en friche, de faciliter l’accès à la terre et à la mer, et de mettre en place des programmes de financement et de formation continue pour encourager l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs agricoles et marins.

Est-ce que la taille limitée de notre marché pose un problème pour les importateurs de denrées alimentaires ?
Oui, la taille restreinte du marché mauricien représente un véritable défi pour les importateurs, notamment lorsqu’il s’agit d’attirer ou de fidéliser des fournisseurs internationaux compétitifs. Le volume limité des commandes réduit leur pouvoir de négociation sur des aspects clés comme les prix, les conditions de crédit ou encore l’exclusivité.

Cela dit, le marché mauricien présente aussi plusieurs atouts : il est stable, bien régulé, avec une gouvernance politique et financière solide, et un très faible risque de défaut de paiement. Cette fiabilité joue en notre faveur et permet aux importateurs de tisser, sur le long terme, des relations commerciales durables, même si la taille du marché impose certaines contraintes.

Pour le second semestre de 2025, une baisse généralisée des prix semble peu probable, même si les prix de certains produits pourraient connaître une certaine stabilisation.»

Peut-on attendre davantage d’échanges avec les pays membres du BRICS ?
Le bloc BRICS représente une avenue de collaboration intéressante pour Maurice, notamment pour diversifier notre offre de produits, réduire certains coûts et développer de nouveaux partenariats commerciaux. Toutefois, toute ouverture vers ces marchés doit se faire de manière ciblée et pragmatique.

Les pays du BRICS comptent parmi les plus grands producteurs mondiaux. Leur intégration plus poussée dans nos échanges commerciaux pourrait permettre de réduire notre dépendance aux marchés traditionnels comme l’Europe. De plus, leurs coûts de production plus bas leur permettent souvent d’offrir des prix compétitifs.

Cela dit, cette option ne règle pas entièrement notre vulnérabilité face aux importations. Les routes d’approvisionnement peuvent être plus longues, donc plus coûteuses et complexes. Par ailleurs, la qualité des produits proposés n’est pas toujours alignée avec les standards européens auxquels sont habitués les consommateurs mauriciens – qui restent très attachés à certaines marques reconnues pour leur fiabilité.

À ce jour, avons-nous une idée claire quant aux répercussions des augmentations de tarifs annoncées par l’administration Trump ?
Les politiques tarifaires mises en place sous l’administration Trump ont entraîné des répercussions à la fois directes et indirectes sur l’économie mondiale. Elles ont contribué à un ralentissement des exportations globales, à une hausse de l’incertitude sur les marchés, ainsi qu’à des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement. En revanche, leur impact direct sur le marché mauricien reste, à ce jour, relativement limité.

Cela dit, ces évolutions rappellent la vulnérabilité d’une petite économie ouverte comme la nôtre face aux décisions protectionnistes des grandes puissances. Heureusement, Maurice bénéficie encore de l’accord AGOA, qui permet l’exonération des droits de douane sur de nombreux produits exportés vers les États-Unis. Mais cette situation demeure incertaine, et la pérennité de cet accès préférentiel ne peut être considérée comme acquise à long terme.

Les produits locaux ont nettement gagné en qualité et en visibilité au cours de la dernière décennie. Ils n’ont aujourd’hui rien à envier aux produits importés.»

Comment se porte la grande distribution à Maurice ? Est-on arrivé à un niveau de saturation ?
La grande distribution à Maurice est en pleine transformation, avec une croissance soutenue et une expansion progressive vers les régions rurales. Le secteur demeure très concurrentiel, mais il ne peut pas encore être qualifié de saturé. Son chiffre d’affaires a connu une progression significative au cours de la dernière décennie, atteignant environ Rs 50 milliards en 2024.
On observe d’une part la consolidation des enseignes existantes, qui poursuivent leur stratégie d’expansion, et d’autre part l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché, comme My Family Grocer à Trianon et bientôt le retour de Monoprix. Cette dynamique entraîne une véritable course aux parts de marché, contribuant à la disparition progressive des boutiques traditionnelles, en particulier dans les zones rurales.

Le paysage de la grande distribution est également marqué par une forte influence européenne, avec des enseignes telles que Carrefour, Super U ou Intermart. Les enseignes locales – Way, Savemart, GSR – se sont restructurées pour conserver leur part de marché. Par ailleurs, certaines enseignes, autrefois perçues comme des discounters (KingSavers, M Savers, Dreamprice, Lolo), ont revu leur positionnement et rivalisent aujourd’hui avec les enseignes généralistes.

À terme, on pourrait aussi s’attendre à ce que le secteur connaisse des mouvements de consolidation, avec des reprises ou regroupements d’enseignes, conduisant à une nouvelle phase de structuration du marché.

Que faut-il pour établir un équilibre entre les différents acteurs économiques de la grande distribution à Maurice ?
La grande distribution joue un rôle essentiel dans l’économie mauricienne, et son bon fonctionnement dépend de l’établissement d’un équilibre structurel entre les différents maillons de la chaîne de valeur : enseignes, PME, producteurs locaux et importateurs. Cet équilibre est indispensable à la construction d’un écosystème commercial à la fois durable, inclusif et compétitif.

Il est indéniable que le pouvoir de négociation des grandes enseignes s’est considérablement renforcé ces dernières années. Cela peut engendrer des tensions, notamment pour les producteurs locaux – en particulier les PME – ainsi que pour certains importateurs. Les supermarchés imposent de plus en plus leurs conditions : prix d’achat, délais de paiement, retour des invendus ou encore les modalités d’introduction de nouveaux produits en rayon.

À ce jour, Maurice ne dispose pas encore d’un cadre légal spécifique régissant les pratiques commerciales dans le secteur de la grande distribution. Toutefois, à l’image de ce qui se fait dans plusieurs pays développés, l’élaboration d’une législation adaptée semble indispensable pour établir des relations commerciales plus équitables à l’avenir, tout en assurant la pérennité du tissu économique local.

 

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