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Société : les dessous du revenge porn mis à nu

En début d’année, la circulation de photos dénudées de jeunes femmes sur WhatsApp a suscité l’indignation. Certaines dénonciatrices parlent de photos modifiées, d’autres disent avoir été piégées. Alors que le « revenge porn » est courant sur lnternet, quelles conséquences pour les victimes et les auteurs ?

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C’est quoi le « revenge porn » ?

Le « revenge porn » ou vengeance pornographique selon l’Association e-enfance.org consiste à se venger d’une personne à la suite d’un refus, d’une rupture sentimentale ou d’une infidélité, en rendant publics des contenus pornographiques où figure cette dernière, dans le but de l’humilier en dévoilant son intimité. Ceux-ci, réalisés avec ou sans l’accord de l’intéressé(e), sont diffusés sans son consentement. Cette pratique inclut aussi bien les photos et vidéos que les propos à caractère sexuel tenus à titre privé.

Une histoire d’amour torride exposée aux yeux de tous - Marine : « Ils me harcèlent sur les réseaux sociaux et je suis traumatisée »

Âgée d’une trentaine d’années, Marine* travaille à la banque. Lors d’une fête chez des amis en 2017, elle a fait la connaissance de Maël*, un séduisant directeur artistique. En tant que célibataire, la jeune femme indique qu’elle était ouverte à une relation amoureuse. Un verre, puis un autre, ils ont appris à se connaitre. À la fin de la soirée, ils ont échangé leurs numéros de téléphone. 

Les jours passent et elle reçoit de nombreux textos de Maël. De banal au début, « Bonjour, comment  vas-tu ? », « Tu fais quoi ? », « Belle journée à toi », jusqu’à « Quand, on se revoit ? ». La situation prend une autre tournure. Marine accepte de diner avec Maël et ils commencent à se voir. Par la suite, le directeur artistique vient dormir chez elle et leurs nuits deviennent torrides. La jeune femme croit vivre un rêve éveillé, mais ce dernier finit par virer au cauchemar. Un jour, elle apprend qu’il voit d’autres femmes. 

Outrée, elle met un terme à cette relation, mais Maël ne l’entend pas de cette oreille et se livre à un odieux chantage. « Il avait des photos de moi en tenue d'Eve ainsi qu’une vidéo et m’a menacé de les poster en ligne. Je l’ai imploré de ne pas le faire, mais il ne m’a pas écouté. Depuis, je vis un véritable cauchemar », relate-t-elle. Maël a publié les mêmes clichés sur son profil Facebook, ainsi que sur les sites pornographiques. « J’ai essayé de les effacer, mais c’était impossible. Il a diffusé ces photos et la vidéo sur plusieurs sites en créant de faux profils et en utilisant mon nom », renchérit-elle. Depuis, Marine fait sans cesse des demandes pour que tout cela soit effacé, mais aujourd’hui encore, ces photos sont toujours en circulation. 

Une vie bouleversée à jamais

Le geste de cet homme est lourd de conséquences pour l’employée de banque. Cette dernière reçoit divers messages de plusieurs hommes inconnus, sans oublier les commentaires malveillants. « Ils me harcèlent sur les réseaux sociaux et je suis traumatisée », ajoute-t-elle. 

Marine se fait dorénavant accompagner psychologiquement, car cette situation a atteint gravement son estime de soi. « J’ai beaucoup pleuré. Ma vie professionnelle et familiale est chamboulée et je vis dans la peur.

Je broie sans cesse des idées noires. J’ai raconté à ma meilleure amie ce qui s’est passé et elle a été d’un grand soutien durant ces moments difficiles. Dans ce genre de cas, je suis révoltée de penser que le coupable ne va jamais payer pour ses crimes, tandis que les victimes sont marquées au fer rouge », conclut-elle.


Des pseudo-photographes profitent de la naïveté des jeunes filles - Mégane : « J’ai eu de la chance, mais cela aurait pu être pire »

Décrocher des contrats pour être les égéries des marques de renom, c’est l’ultime ambition des aspirants mannequins. Si certains ont les moyens pour y arriver, d’autres épluchent les opportunités ici et là pour matérialiser ce rêve glamour. Cependant, ce monde de strass et de paillettes a plusieurs revers. Parmi, il y a des pervers qui sollicitent de jeunes filles et abusent de leur naïveté pour arriver à leurs fins, relate Mégane, âgée d’une vingtaine d’années. 

« Je suis accro à la mode et je chéris le rêve de faire carrière dans ce monde. Toutefois, une séance de photos professionnelle pour percer dans le mannequinat est hors de prix. Il faut trouver les  opportunités et c’est ce qui m’est arrivé. Il y a trois ans de cela, quand j’étais encore à l’école, j’ai fait la connaissance d’un photographe par le biais d’un ami », relate-t-elle. Une rencontre qui tombait à pic par rapport à son objectif. 

« Nous nous sommes vus et nous avons fixé des dates pour des séances de photos », confie Mégane. Toutefois, elle a trouvé étrange que le photographe l’a contactait  à toute heure pour discuter des séances.

« Au début, ça allait, mais au fil des jours, ses propos devenaient de plus en plus intimes. Je n’ai pas réagi jusqu’à ce qu’il me réclame des photos de mon corps. J’ai trouvé sa requête louche, surtout qu’il continuait à tenir des propos déplacés », révèle Mégane. Elle avoue qu’elle a failli accepter sa demande. « Quand il m’a demandé les clichés, j’étais sur le point de le faire. Heureusement, je ne l’ai pas fait, au cas contraire, je serais en train de vivre un véritable calvaire », ajoute la jeune fille, visiblement soulagée. 

Mégane se dit consciente que c’est son manque de confiance en cet homme qui lui a permis de sortir de ses griffes. « J’ai eu de la chance, mais cela aurait pu être pire. En ce moment, de nombreuses jeunes filles se laissent berner facilement en ligne. C’est pourquoi je leur conseille de ne pas faire preuve de naïveté et d’en parler si elles vivent de telles situations. Puis, il ne faut surtout pas envoyer des photos et dénoncer absolument au plus vite les prédateurs », conclut-elle.
* (prénoms modifiés)


Vince  qui s’est vengé de son ex : « Ce que j’ai fait ne pourra jamais être défait »

Après une mauvaise rupture, Vince (prénom d’emprunt), la trentaine, a mis en ligne des « sex tapes » qu’il avait faites avec son ex. « Je me suis assuré de taguer son nom dans plusieurs des téléchargements afin que la recherche de son nom ou de son surnom sur n’importe quel moteur de recherche affiche plusieurs résultats de pages web et de vidéos. Donc, quiconque décide de la googliser en verra plus qu’il n’aurait voulu. »

Aujourd’hui, Vince dit avoir commencé le processus de soumission des demandes de retrait DMCA et de suppression de toute trace de ce contenu sur Internet. Il reconnaît toutefois que « cela ne disparaîtra jamais complètement. Ce qui a été fait ne pourra jamais être vraiment défait ».

Dans le même temps, il se dit conscient d’être à risque. D’ailleurs, poursuit le trentenaire, « je mérite d’avoir des ennuis juridiques, comme si j’avais assassiné/violé/trompé. Je serai toujours ‘l’auteur de ça’, peu importe les efforts ou les changements que j’essaie de faire pour m’améliorer et effacer toutes les preuves sur Internet ».

Il conseille à ceux qui seraient tentés d’agir de la sorte, par dépit ou par vengeance, d’y réfléchir à deux fois. « Faites attention à la voie que vous choisissez. Certaines choses ne peuvent pas être annulées et il est impossible de se détourner ou de nier votre propre conscience après avoir fait ce choix critique », poursuit Vince, plein de remords. 

Le jeune homme révèle qu’en raison du choix qu’il a fait, il ne se fait plus confiance. « C’est effrayant de penser à passer le reste de votre vie seul parce que vous avez peur de vous-même et de ce que vous pourriez faire si vous êtes blessé à nouveau par quelqu’un que vous aimez… » 


Mélanie Vigier de Latour-BérengerMélanie Vigier de Latour-Bérenger, psychosociologue : « La cyberpornographie doit être abordée avec les enfants »

Sur le plan psychologique et social, de nombreuses conséquences s’observent chez les victimes de cyberharcèlement et de cyber-pédopornographie, souligne Mélanie Vigier de Latour-Bérenger. « Elles peuvent se sentir humiliées, embarrassées et trahies. Ressentir de la honte, de la peur et manquer de confiance en elles ou en l’autre. Il y aussi des risques de repli sur soi, d’isolement, de pensées suicidaires et de blessures sur soi. »

Selon la psychosociologue, un sentiment de colère peut s’installer face à la mauvaise utilisation de son image sans son consentement. Et notamment dans les cas d’usurpation d’identité, soit quand la photo du visage est utilisée avec celle d’un corps nu.

Quant aux conséquences dans les relations avec autrui, Mélanie Vigier de Latour-Bérenger cite les moqueries et la réputation entachée, « ce qui importe beaucoup à l’adolescence ». Sans compter les risques de harcèlement, cyberharcèlement et d’exclusion, entre autres. 

Concernant la cyberviolence, selon l’UNICEF les enfants sont plus à risque car non seulement ils sont plus naïfs mais ce phénomène a tendance à échapper à l’attention des parents. Ce qui fait qu’ils sont des « proies » plus faciles à influencer. « Les filles sont davantage victimes que les garçons d’insultes et rumeurs sur les réseaux sociaux avec la diffusion de photographies intimes sans leur accord, par exemple. On parle alors de cybersexisme », poursuit-elle, citant l’UNICEF.

Qu’est-ce qui explique ce phénomène ?

Selon la psychosociologue, les « nudes » et l’envoi de photos érotiques de soi ou d’une partie de son corps nu sont une pratique courante. Celle-ci s’est accentuée chez les jeunes avec la technologie et l’accessibilité des smartphones.

Dans un article en 2020, la sociologue Hélène Bourdeloie a relevé que les selfies dénudés ou sextos, destinés à soi-même ou à l’autre, peuvent être utilisés dans « l’exploration de soi et l’acceptation de son corps » et « pour explorer son corps, ses défauts et souhaiter le perfectionner », indique Mélanie Vigier de Latour-Bérenger.

Elle rappelle aussi que certains jeunes envoient des « nudes » parfois pour répondre à la pression de quelqu’un, voire son partenaire, ami ou faux profil insistant, pour séduire ou être intégré(e) dans un groupe. Or, dit-elle, beaucoup de jeunes ne mesurent pas les risques encourus.

Les lois 

Les lois existantes, soutient la psychosociologue, posent des balises importantes. « Les alinéas (b) et (c) de l’article 21 de la Children’s Act de 2020 mentionnent que personne ne doit produire, posséder, disséminer, offrir ou rendre accessible du matériel pédopornographique impliquant donc des mineurs(es) de moins de 18 ans. »


Tandis que l’article 46 de l’ICT Act stipule que c’est un délit d’envoyer, de produire ou de montrer un message obscène, indécent ou abusif sous peine d’une amende et d’une peine d’emprisonnement. « Les lois sont importantes mais l’action pour protéger les personnes victimes et la prévention le sont tout autant. »

Sensibilisation et prévention 

La sensibilisation, souligne Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, est essentielle en milieu familial, communautaire et scolaire. Sensibilisation sur les usages du numérique, les informations personnelles partagées, les contacts avec des inconnus, les risques encourus quand une image est sur le web… « Puis, les préjudices éventuels de l’affichage ou partage de photos avec des signes distinctifs tels que visage, piercing ou tatouage permettant d’identifier qui est sur la photo. »

La psychosociologue estime qu’il est également primordial de parler de pédophilie avec les enfants. « Il est urgent d’arrêter de croire que tout ce qui est en lien avec la sexualité est tabou. En parler permet de mieux comprendre et de protéger. Les risques de cyberpornographie, tels que l’envoi de ‘nudes’, de pornodivulgation, de harcèlement et de chantage, ainsi que les risques d’accès des prédateurs sexuels entre autres, doivent être abordés », insiste-t-elle. 

Poser des mots sur ces sujets importe pour que les mineurs(es) sentent et sachent que ceux-ci ne sont pas tabous si l’un des membres de la famille ou des amis(es) en sont victimes, ajoute-t-elle. La sensibilisation peut aussi se faire sous forme de programmes et de campagnes au niveau national, rappelant les formes et les conséquences de la pédopornographie, de même que les recours possibles. 

Agir importe 

« Un accompagnement des enfants victimes de ces pratiques sur les plans psychologique, légal, médical et social est crucial », estime Mélanie Vigier de Latour-Bérenger. Il l’est tout autant que ceux qui sont au courant de ce genre de cas agissent et alertent les autorités telles que la Human Rights Commission par courriel adressé sur mhrcdbs@intnet.mu, la CDU au 113 ou le Bureau de l’Ombudsperson for Children au 454 3010 s’il s’agit de mineurs(es). Permettant ainsi de protéger d’autres potentielles victimes.


delmonico-davidDr David Delmonico, spécialiste en addictologie : « La plupart du temps, c’est un jeu de pouvoir »

Le cerveau ne se développe pas complètement tant que les individus n’ont pas atteint la mi-vingtaine. Ce qui fait qu’il est difficile pour les adolescents de faire la différence entre les personnes en qui ils peuvent avoir confiance et ce qu’ils devraient faire en ligne. Affirmation du Dr David Delmonico, professeur de l’université Duquesne spécialisé en addictologie et propriétaire d’Internet Behavior Consulting aux États-Unis.
« Avec Internet, nous leur donnons essentiellement un billet grand ouvert pour le monde électronique avec peu de connaissances sur la façon d’interagir une fois admis », soutient-il. De faire ressortir que « dans le monde réel, nous ne déposerions pas des adolescents dans un mauvais quartier au milieu de la nuit en leur souhaitant bonne chance. Pourtant, dans le monde en ligne, c’est ce que nous faisons. Nous disons : ‘Voici Internet… Nous espérons que vous survivrez !’ ». 

Ayant passé une grande partie de sa carrière à évaluer et traiter les délinquants sexuels en ligne, le Dr David Delmonico indique qu’ils sont parfois sexuellement intéressés par les images qu’ils publient. Mais le plus souvent, c’est à un jeu de pouvoir qu’ils s’adonnent lorsqu’ils font chanter les autres, en particulier les adolescents qui ne sont pas assez expérimentés et se sentent gênés par leur comportement. 

Comme ces derniers ne demandent pas de l’aide aux adultes, les résultats peuvent être catastrophiques. « Il y a plusieurs histoires dans les médias sur des adolescents qui se sont suicidés parce que quelqu’un les a manipulés sexuellement en ligne puis les a menacés d’envoyer les photos à leurs parents ou à leurs amis. »

Le Dr David Delmonico avance que le développement du cerveau amène les adolescents à penser que la relation dans laquelle ils se trouvent est toujours « parfaite » et que ce sera pour la vie. « Ils envoient des images, des SMS et adoptent d’autres comportements qu’ils pourraient regretter plus tard. Ça ne touche pas que les adolescents mais tous les amoureux en général », souligne-t-il. 

Lorsque l’un des partenaires rompt avec l’autre, ce dernier peut vouloir le blesser en publiant ses images nues ou ses vidéos ayant des relations sexuelles ensemble. « Il s’agit souvent d’une réponse immature à leur propre blessure et à leur douleur d’avoir été déçus par leur partenaire amoureux. C’est leur ‘vengeance’. Ils n’ont pas la capacité de comprendre pleinement les conséquences d’une telle vengeance à la fois sur eux-mêmes et sur leur partenaire », affirme le Dr David Delmonico.

« Il n’y a pas de solutions faciles »

Comment prévenir ce problème ? « Il n’y a pas de solutions faciles. Pour commencer, la clé est de ne pas laisser la photo ou la vidéo entrer dans le monde numérique. » 

Il conseille aux adolescents de ne pas prendre des photos d’eux dénudés, ni de les envoyer à d’autres. « Bien que nous vivions dans un monde où tout est photographié et mis en vidéo, les moments privés doivent le rester jusqu’à ce que les adolescents soient mieux en mesure de discerner des partenaires de confiance à long terme », indique Dr David Delmonico. 

Et de rappeler que si une photo ou une vidéo d’une personne de moins de 18 ans est publiée, les autorités doivent en être informées. « Ceci est illégal et est considéré comme de la distribution de pornographie juvénile. Un tel comportement a de graves conséquences et les adolescents doivent en être conscients. Car le problème est qu’une fois l’image publiée dans le cyberespace, il n’y a vraiment aucun moyen de la récupérer. » 

Il s’appesantit sur l’importance de la sensibilisation. « Il est tout aussi important d’identifier ceux qui sont engagés dans un tel comportement et de les aider à comprendre les risques associés. Il ne s’agit pas de les effrayer mais d’adopter une communication ouverte et honnête sur la prise de décisions saines pour leur moi actuel et futur », conclut le Dr David Delmonico.

 

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