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Sherry Singh : « J’ai lutté pour qu’un tel système ne soit pas installé à Maurice »

L'ancien CEO de Mauritius Telecom, Sherry Singh avait accordé mercredi un entretien, à Nawaz Noorbux sur Téléplus, suivant la déclaration de Navin Ramgoolam, à l'Assemblée nationale portant sur les dispositifs pour les écoutes téléphoniques, achetés par l'ancien régime. 

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Le mardi 4 février, le Premier ministre a révélé à l’Assemblée nationale que l’ancien régime a investi Rs 5 milliards dans la surveillance de masse, y compris dans l’interception des communications. Vous avez dénoncé l’affaire du sniffing. Est-ce que ce chiffre vous choque ?

Absolument, c'est choquant pour tout le monde, y compris moi. Un tel système, en principe, devrait coûter environ Rs 600 millions. Mais il semble que ce système soit dix fois plus cher qu’un système classique, qu’un gouvernement aurait normalement mis en place. Je trouve le montant dépensé énorme.

Le Premier ministre dit qu’il ne peut plus surveiller la population de cette manière. À votre avis, comment enquêter sur ce qui s’est passé et qui sont les personnes qui doivent répondre ?

Premièrement, je ne suis pas un spécialiste de l’enquête. Ce qui est rassurant, c’est que le Premier ministre a clairement indiqué qu’il prend cette question très au sérieux, en particulier la protection des libertés des citoyens. Deuxièmement, une enquête sera menée par des experts et il y a une autre à travers une autorité compétente.

Quant aux personnes qui doivent répondre, je pense qu’il y a plusieurs angles à examiner.
Il faut se demander si la loi permet une interception de masse. Il existe une disposition légale pour un système d’interception légale, mais celle-ci ne couvre pas l’interception de messages IP, de courriels, etc.

L'acquisition de ce système a apparemment été effectuée sans appel d’offres. Et le montant est énorme. L'argent a été dépensé alors que la population attendait une baisse du prix de l’essence pour alléger son quotidien.

Il y a également un autre angle à prendre en compte. Il faut normalement une ordonnance d’un juge pour cibler les individus à écouter, comme le prévoit la loi.  Ce qui rend l’interception illégale. De plus, vu le nombre de communications qui ont pu être interceptées, il est évident que la loi sur la protection des données et la loi sur le terrorisme entrent en jeu. Je pense que ce système a été utilisé pour intimider la population et pour interférer avec certaines rédactions et organisations, certains journalistes et fonctionnaires. 

Pourquoi un gouvernement s’adonne-t-il à la surveillance en masse ?

Si on fait ça au-delà de certains cas spécifiques, on tombe dans la paranoïa, on cherche à contrôler l’information. Et c’est évident qu’en mettant ce genre de système en place, on récolte une énorme quantité d’informations. On connaît la faiblesse des gens, on sait ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire, etc. Et chacun a droit à sa vie privée. Personne n’est parfait. Et cette information peut être utilisée, soit pour anticiper des actions, soit pour intimider des personnes.

Au lendemain des dernières élections, vous avez fait une déposition à la police. Est-ce que cette déposition a trait à ce que nous parlons aujourd’hui ?

Absolument. J’ai porté plainte après les élections. Car j’ai lutté pour qu’un tel système ne soit pas installé à Maurice, mais ils l’ont tout de même fait.

J’ai demandé à la police d’enquêter non seulement pour s’assurer que ces équipements ne sont pas utilisés. J'ai aussi demandé d'agir contre ceux qui ont enfreint la loi. 

Dans une récente interview, vous avez mentionné qu’il y a également une antenne installée à Angus Road, est-ce que vous maintenez ça ? 

Oui, selon mes informations, mais je ne peux pas le confirmer. Il s’agit d’une antenne assez grande, mais nous ne pouvons pas affirmer avec certitude à quelle affaire elle est liée. C’est pourquoi j’insiste sur l’importance d’une enquête approfondie de la police pour éclaircir la situation.

Lorsqu’un tel système est en place, il y a nécessairement un serveur. Ce serveur peut être accessible, même à distance, depuis des lieux isolés. Il est donc essentiel de bien comprendre son fonctionnement et de garantir qu’aucune antenne ou station n’ait accès au serveur.

Comme beaucoup de Mauriciens, j’apprécie énormément Missie Moustass"

Le Premier ministre a donné l'assurance que le système est hors service et qu’il est impossible d’accéder au serveur, même à distance.

Mais cette histoire de surveillance de masse n’est pas l’œuvre d’une personne ou d’un groupe de personnes. Il y a beaucoup de personnes qui sont forcément impliquées. Donc, cette enquête est multidimensionnelle. Quels sont les départements qui devraient être concernés par cette enquête ? 

L’enquête est multidimensionnelle, certes, mais elle reste relativement simple, car l’équipement est connu et disponible. Une analyse peut être effectuée pour déterminer qui a accédé aux équipements et qui a accordé les permissions nécessaires.

Il utilise le cadre légal pour se connecter au réseau. L’installation de l’équipement est réalisée par les techniciens de l’opérateur, du bureau du Premier ministre et du fournisseur de l’équipement.

Ensuite, on passe à l'utilisation. À ma connaissance, la Counter Terrorism Unit peut l’utiliser. Sous le précédent régime, le National Security Services avait également procédé à une installation.

Avec le changement de gouvernement, ne pensez-vous pas qu’il faut relancer l’enquête sur le sniffing ?

Absolument, ce sont les mêmes personnes qui sont concernées. Une enquête sur le sniffing devrait être lancée, car tout est lié. Les protagonistes sont connus. Il est essentiel de recueillir leur version. Aujourd’hui, ils ne sont plus sous pression, ce qui donne de meilleures chances d’obtenir des preuves et leurs déclarations.

Il n’y a aucune raison de ne pas mener une enquête sur le sniffing. Le précédent régime m’a rendu la vie difficile. Mais je pouvais rester tranquille. J’avais un choix à faire. Je ne voulais pas que ce système soit installé. Une fois ce système installé, vous devenez extrêmement puissant, car il permet d’obtenir des informations sur tout le monde, comme l’interception de messages et de courriels. Il y a beaucoup d’implications. 

Quel cadre légal faut-il mettre en place pour s’assurer que cette situation ne se reproduise pas ?

Il faut un cadre légal clair et solide. C’est absolument important, car sans cela, on crée une base qui pourrait facilement mener à des abus. L’humain, même quand il y a un cadre légal, peut parfois dépasser les limites.

Pour garantir qu’il n’y ait pas d’abus, le système d’information a des logs. Un audit indépendant peut être effectué par une autorité compétente pour vérifier ces logs. 

Missie Moustass a été un game changer durant la campagne électorale – il faut enquêter. C’est le PM sortant et son épouse qui ont été victimes de cette surveillance, non ?

Oui, si vous pensez qu’il faut enquêter. Moi, je pense différemment. Mais au bout du compte, cette affaire est liée à Missie Moustass. Pour les écoutes téléphoniques, il doit y avoir une base de données. On peut enquêter sur Missie Moustass, mais ce qu’il a présenté est beaucoup plus important. 

Vous semblez bien défendre Missie Moustass… Vous avez l’air de bien le connaître ?

Un peu comme le peuple. J’ai un ami que j’appelle « Missie La Barbe », mais Missie Moustass, je ne le connais  pas. Ce qui est le plus important, c’est qu’une ou plusieurs personnes ont pris la défense du peuple. 

L’ancien régime vous a accusé d’être derrière Missie Moustass, voire d’être Missie Moustass...

Bien sûr, tout le monde peut spéculer, mais Missie Moustass est un concept qui défend la population mauricienne. Je pense qu’il représente chaque Mauricien qui décide de se lever et de se battre. J’aime beaucoup ce personnage. Je le trouve redoutable, un peu comme les personnages de La Casa de Papel ou d’autres séries Netflix. Comme beaucoup de Mauriciens, j’apprécie énormément Missie Moustass.

En espérant qu’il ne refasse pas surface dans cinq ans ?

Ça, il faut le demander à Missie Moustass ! 

 

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