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Sharon Ramdenee, CEO d’Agiliss : «Nous aurions pu vendre une bouteille d’huile à Rs 65…»

Sharon Ramdenee, CEO d’Agiliss, estime « anormale l’incursion élargie » de la State Trading Corporation (STC) dans l’importation. Elle ajoute que « la STC se comporte non seulement comme un compétiteur, mais, qu’en plus, elle s’associe à un concurrent pour pratiquer un prix subventionné ». Dans l’interview qui suit, Sharon Ramdenee souhaite l’établissement d’un « level playing field » pour tous les opérateurs.

Vous êtes l’un des trois principaux acteurs du marché de l’huile à Maurice, avec plus de 20 % des parts. Quel regard portez-vous sur la configuration actuelle du marché ? 
Nous sommes extrêmement préoccupés par ce qui se passe. Il ne fait aucun doute pour nous que la décision de la State Trading Corporation de s’allier au principal producteur d’huile nuit à l’égalité des conditions de concurrence. Cette pratique ne favorise pas la saine dynamique qui doit caractériser une économie comme Maurice. Elle constitue, selon nous, une atteinte à nos droits et une menace à la viabilité de notre entreprise. Nous employons plus de 300 personnes. Ce sont donc 300 familles qui comptent sur nous. 

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Il faut savoir que notre groupe commercialise l’huile depuis 10 ans et qu’elle représente 30 à 35 % de notre chiffre d’affaires. Lorsque la crise a frappé, celle de la Covid-19 d’abord, puis la guerre en Ukraine, nous n’avons épargné aucun effort pour assurer les besoins du marché local. L’Égypte, notre principal fournisseur, avait cessé l’exportation de cette matière première afin d’en garantir la disponibilité sur son territoire. Idem pour l’Indonésie et la Malaisie… Nous avons fait jouer nos relations et nous avons activé notre réseau de contacts qui s’étend à 34 pays, du COMESA, de la SADC, jusqu’au Canada. Au prix d’intenses négociations, nous pouvons assurer aujourd’hui les stocks nécessaires. 

Nous avons, d’ailleurs, été pendant ces moments difficiles, en contact régulier avec les autorités. La cargaison que nous écoulons actuellement a été achetée sur l’insistance du ministre du Commerce, il y a deux mois. Le prix était fort, mais la sécurité alimentaire était prioritaire. Nous avons confirmé notre commande, forts de l’assurance donnée par les autorités qu’une subvention nous serait accordée pour pouvoir commercialiser cette huile chère. Malheureusement, nous n’avons pas été aidés… Cette cargaison, nous la vendons aujourd’hui à perte. 

Vous pouvez donc comprendre comment la situation actuelle nous semble injuste. Nous avons toujours adopté une attitude économiquement et socialement responsable et soutenu les autorités pour le pays. Nous avons du mal à accepter que la STC se comporte non seulement comme un compétiteur, mais, qu’en plus, elle s’associe à un concurrent pour pratiquer un prix subventionné. Cela pose un grave risque de distorsion du marché. Cette initiative fragilise la fourniture à long terme de l’huile sur le marché. Nous avons sécurisé des commandes que nous ne pourrons pas confirmer si nous n’écoulons pas nos produits. Et c’est le pays qui sera perdant si dans six, huit mois, nos fournisseurs nous boudent. 

Mais nous sommes en situation d’urgence économique. Le gouvernement n’est-il pas dans son rôle en cherchant à garantir un approvisionnement d’huile et à un prix abordable pour les plus nécessiteux ?   
Certes, avec l’inflation, le « food protectionism » pratiqué par les pays exportateurs, les difficultés d’approvisionnement et de transbordement des marchandises, la situation était et reste critique. Et il est vrai que nous sommes dans une économie mixte ; la loi autorise la STC à importer. 

Mais le caractère exceptionnel de cette situation n’appelait-il pas justement de la prudence et un savoir-faire ? La STC est-elle obligée de se lancer dans le commerce subventionné de l’huile quand il y a d’autres possibilités sur le marché et qu’elle est en déficit ?  L’État n’avait-il pas plus intérêt à travailler avec les opérateurs économiques qui ont les réseaux et la connaissance de ces marchés particuliers afin de garantir une fourniture continue à un prix abordable, plutôt que de se substituer à eux ? Vous évoquez les plus nécessiteux : est-ce que l’huile subventionnée à Rs 75 leur a profité prioritairement ? Rien n’est moins sûr à voir le rush qu’elle a occasionné dans les supermarchés…

Il n’y a pas à chercher loin pour démontrer que la décision de faire de la STC un distributeur d’huile n’a pas été très judicieuse dans la situation qui nous concerne : voyez les difficultés à acheminer la commande passée auprès de l’Inde depuis plus deux mois, ou encore la confusion causée par le « double prix » de Rs 75 et Rs 110 pratiqué pour un même produit... Bien sûr, la STC doit avoir un droit de regard sur le riz « ration », la farine, le gaz ménager, les produits pétroliers, qui sont des produits subventionnés, mais cette incursion « élargie » dans l’importation n’est pas normale.  

Le « food commodities trading » a ses particularités. C’est un métier qui demande une compréhension de la dynamique du marché, laquelle s’acquiert avec l’expérience. Un acteur aguerri sait qui sont les meilleurs fournisseurs, comment négocier, à quel moment acheter, qui est en train d’acheter et où, quelles récoltes ont été bonnes et moins bonnes. Il connaît les « ins-and-outs » du marché pour assurer la continuité, avoir les réseaux et la capacité à négocier les meilleurs prix. L’huile a la particularité d’exiger une grande agilité ; il faut agir vite. Les prix à l’achat varient de jour en jour. Or, le fonctionnement d’un corps paraétatique, avec ses procédures parfois lourdes, n’est pas adapté.  

Nous sommes dans le marché des commodités depuis trois générations. Agiliss est « market leader » sur le riz et les grains, en deuxième position sur l’huile et le lait. Il n’y a jamais eu la moindre pénurie. Et notre positionnement de prix a toujours été « value for money ». Nous pratiquons des marges très faibles. C’est cette assurance que nous donnons : pas de rupture, au meilleur prix. En temps de crise, c’est une garantie qui compte. 

Quelle forme de soutien aux importateurs souhaitez-vous de l’État ?  
Une politique gouvernementale de soutien ne doit pas être discriminatoire. Elle doit s’appliquer de manière équitable et juste à toute l’industrie, « across the board ». Nous pensons que c’est le produit qui doit être subventionné et non l’opérateur. Pour être juste, la subvention de Rs 35 devrait donc s’appliquer à toutes les marques.  Cela aurait évité non seulement des confusions, mais le consommateur en aurait sans doute mieux profité encore : on aurait pu vendre de l’huile à moins que Rs 75 !  Actuellement, nous commercialisons certains produits de notre gamme d’huile à Rs 95. Si nous avions reçu une subvention de Rs 35, nous aurions pu vendre une bouteille d’huile à Rs 65 dans les boutiques !

Nous sommes aussi inquiets d’entendre les autorités dire qu’elles attendent de voir comment le marché réagira à la mise sur le marché de l’huile à Rs 75 avant d’explorer d’autres pistes ou solutions. Si les 1 000 tonnes sont épuisées en une semaine comme nous le craignons, que se passera-t-il ensuite ? De tels marchés se sécurisent trois à quatre mois à l’avance.

Si les 1 000 tonnes sont épuisées en une semaine comme nous le craignons, que se passera-t-il ensuite ?"

Est-il possible, pour le gouvernement, de corriger son approche ? 
Nous avons exprimé nos inquiétudes et dit notre souhait d’en discuter. Nous espérons que l’intérêt collectif prévaudra. 

Agiliss a toujours œuvré dans l’intérêt des consommateurs. Dès notre entrée sur le marché de l’huile comestible, nous avons incité les opérateurs historiques à baisser leurs prix. Cela a été confirmé par une enquête menée par la Competition Commission qui a montré que les consommateurs mauriciens ont collectivement économisé plus de Rs 100 millions. Sur le plan de la qualité, l’huile que nous commercialisons est une « pure soya bean oil ». Elle est très compétitive par rapport à d’autres huiles du marché qui contiennent de l’huile de palme.

Nous avons toujours été aux côtés du gouvernement dans toutes ses démarches durant les deux années difficiles que nous avons traversées. Lorsqu’il y a eu le « panic buying » et qu’il a fallu réalimenter les supermarchés rapidement, lorsqu’il a fallu déployer des milliers de colis alimentaires, nous avons toujours répondu présent, travaillant parfois 72 heures d’affilée. 

Aujourd’hui, les signaux sont positifs, du côté de l’Égypte, de l’Ukraine… On ne va jamais retrouver de l’huile à Rs 40, mais le prix va certainement baisser. L’indice FAO des prix des huiles végétales a chuté de 19,2 % en juillet, tombant ainsi à son niveau le plus bas depuis 10 mois. Je pense que nous pouvons travailler ensemble afin de trouver une meilleure façon de servir les intérêts du consommateur et un approvisionnement régulier et abordable de l’huile pour tous. Il est encore temps de rétablir la situation et d’offrir un « level playing field » pour tous les opérateurs.

  • defimoteur

     

 

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