Interview

Sen Ramsamy, Directeur Général de Tourism Business Intelligence : «Notre tourisme sur une pente dangereuse et ce n’est que le commencement»

Sen Ramsamy

Sen Ramsamy, directeur général  de Tourism Business Intelligence, tire la sonnette d’alarme sur l’avenir du secteur du tourisme qui, fait-il valoir, reste figé dans le «  traditionnel produit soleil/mer/plage » et est impuissant à répondre aux « attentes de la nouvelle génération de voyageurs ».

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Les recettes et les arrivées touristiques sont en baisse. Annoncent-elles la fin d’une époque et sommes-nous à un tournant dans l’industrie touristique ?
Le tourisme mauricien est dans un état critique depuis assez longtemps. Dans un contexte international difficile et complexe, avec une économie globale incertaine et une industrie touristique plus exigeante, la gestion et le marketing du tourisme mauricien sont restés archaïques. On applique la formule des années 80 pour réussir le tourisme de 2019. La comparaison avec nos concurrents directs pour le trois premiers mois de 2019 est éloquente : Seychelles 11,7 %, Maldives 6,8 %, malgré une conjoncture politique particulièrement difficile, Sri Lanka 10, 3%, et Maurice -1,2 %. Ce résultat est très inquiétant. Notre tourisme n’est pas dans un tournant ni à la fin d’une époque. Il est sur une pente dangereuse et ce n’est que le commencement.

A qui ou à quoi faut-il attribuer cette situation ?
À plusieurs facteurs, mais principalement par l’absence d’une politique de développement touristique audacieuse en rapport aux attentes de la nouvelle génération de voyageurs. Notre politique d’accès aérien n’est toujours pas gérée de façon structurée et planifiée par des professionnels du métier sur la base de recherches et d'analyses techniques pour une meilleure planification de l’ouverture du ciel dans un contexte où la concurrence dans l’aviation mondiale est impitoyable. Je vous rappelle le projet de la création d’une ‘Air Access Policy Unit’ qui devrait être une suite logique du ‘Air Access Advisory Council’ sous l’égide du PMO et dans lequel j’ai fait partie. Ce projet a été tué dans l’œuf en faveur d’une approche ‘piece-meal’ et Air Mauritius en est la première victime. Les ‘fly by nights’, apparues dans notre ciel ont disparu plus vite qu’elles ont atterri chez nous. D’autre part, l’offre touristique mauricienne est restée figée avec le traditionnel produit soleil/mer/plage. Le tourisme moderne, avec les ‘millenials’, exige de l’intelligence pour  plus d’innovation et de créativité dans l’offre. Il faut comprendre que la force de notre tourisme réside dans chaque Mauricien, pas dans les chambres d’hôtels vendus au rabais en 'all inclusive'. Ce concept tue notre destination.

Est-ce que la destination Maurice est-elle trop chère par comparaison à ses concurrents, dont les Seychelles et les Maldives ?
Oui et non. Oui, on est cher parce que le rapport qualité/prix est bien en-deçà des attentes des visiteurs. La qualité de services à Maurice est en net déclin sans que l’on ne fasse quelque chose pour l’améliorer. Non, on n’est pas cher, car les dépenses moyennes d’un touriste chez nous sont bien inférieures (US$ 125 par jour toutes dépenses dans l’ile incluses) comparées à celles des Maldives (+US$ 300), des Seychelles (+US$151) et du Sri Lanka (+US$ 185). Avec une politique de laisser-faire sur les forfaits 'all-inclusive', il n’est pas du tout surprenant que la moyenne de dépenses des touristes ait atteint un aussi bas niveau, alors que les visiteurs quittent Maurice souvent avec de l’argent non dépensé pour cause de manque de facilités et de services dignes d’agrémenter leurs séjours.

Dans le cas du marché chinois, quels sont les facteurs qui expliquent ces mauvais chiffres, alors qu’il fut un temps où on ne prédisait que de promesses ultra-positives pour la clientèle chinoise ?
Je dis toujours que Maurice a obtenu l’accès aérien en Chine, mais on y est entré par la mauvaise porte. Cette année, environ 190 millions de touristes chinois vont sillonner la planète.  Malgré une année particulièrement difficile aux Maldives en 2018, cette destination a accueilli 283 000 Chinois, comparé à 66 000 à Maurice (-10 %). L’aérien y contribue certes. Mais je trouve cela plutôt facile de jeter le blâme convenablement sur MK, alors qu’il y a plusieurs facteurs endogènes qui en sont aussi les responsables. Le problème principal se trouve dans notre offre touristique et dans la façon de promouvoir la destination en Chine.

Les visiteurs quittent Maurice souvent avec de l’argent non dépensé pour cause de manque de facilités et de services dignes d’agrémenter leurs séjours.»

Quel peut être l’impact de la décroissance dans les principaux marchés européens sur le secteur touristique mauricien ?
L’Europe demeure notre principal marché émetteur et cette tendance va perdurer avec la France en tête. Pour le premier trimestre de cette année, on a enregistré une baisse sur certains marchés européens, notamment l’Espagne (-25 %), la Turquie (-20 %), la Suède (-12 %), la Grande-Bretagne (-9 %) et la Suisse (-16 %). Avec un total de 352,305 arrivées pour les trois premiers mois, on observe une baisse inhabituelle de -1,2 % en cette période de pointe. Je ne partage pas l’analyse de certains qui mettent la cause de cette baisse sur la fête de Pâques. C’est trop simpliste et ce que nous avons perdu pendant les mois ‘peak’ sont irrécupérables. Que cette  fête soit célébrée en avril ou en mai, ça c’est une autre analyse qui ne peut justifier les pertes de janvier à mars. Il ne faut pas négliger l’Europe, malgré les bouleversements en cours. Le produit ne correspond pas toujours aux nouvelles attentes. Donc, le problème n’est pas en Europe mais à Port-Louis.

Est-ce que la stratégie d’Air Mauritius en termes de dessertes doit-elle être mise en cause ?
Dans un environnement concurrentiel féroce, Air Mauritius cherche à consolider ses assises dans plusieurs marchés traditionnels, mais sur les nouveaux marchés il fait trop de ‘by trial and error’. On ne suit plus la tendance du marché. On crée notre marché et ça se cultive dans le temps. Mais le plus important c’est de proposer des raisons valables aux touristes d’un marché émergent pour venir à Maurice. Le fait d’une nouvelle desserte entre Maurice et un marché régional ne stimule pas le trafic. Un simple moyen de transport ne justifie pas un voyage.

Avez-vous le sentiment, ou non, que le secteur du tourisme ne reçoit pas le même soutien que les différents gouvernements ont pu accorder à d’autres secteurs comme celui de la canne à sucre, les TIC, l’éducation ou la santé ?
Le tourisme est un secteur économique qui évolue sans filet de protection, ni de quotas. Ce secteur des services a généré plus de US$ 1,400 milliards avec 1,3 milliard de touristes en 2018. Il y aura près de deux milliards de touristes dans le monde d’ici à 2030 et elle va peut-être même un jour dépasser l’industrie du pétrole, de l’automobile et de la pharmaceutique en revenus. C’est une activité humaine dynamique qui mérite d’être soutenue par de jeunes talents qui savent innover et rendre le tourisme durable. Ce n’est pas si compliqué, mais il faut professionnaliser le métier du tourisme. Ce n’est pas une approche égoïste de copinage, encore moins un privilège pour y caser des relations familiales pour assurer la réussite du tourisme.

Faut-il plus de visibilité étrangère à ces offres ?
La visibilité à elle seule ne peut garantir la réussite d’une offre. Il faut qu’elle soit attrayante, utile et par dessus tout elle doit correspondre aux attentes des voyageurs, des ‘millenials’. La nouvelle tendance vers l’économie du partage (Airbnb, Homeaway, Nomadic, Uber, Lyft, Blablacar, Eatwith,…) en est une bonne indication de la valeur et l’essence même des offres et de ce qui fait leur réussite auprès des voyageurs contemporains.

Certains opérateurs font valoir que notre secteur touristique ne met pas suffisamment en valeur, dans ses offres, la diversité culturelle de Maurice…
L’évènementiel constitue un pilier du tourisme. Que ce soit un match de foot, un concert, une expo, une célébration, les évènements attirent les foules. Il n’y en a pas vraiment à Maurice. Quand on avait organisé le Festival International de la Mer à Maurice en 1987, notre croissance touristique avait grimpé à presque 30 % en une seule année. C’est la raison pour laquelle je me suis associé cette année avec une amie mauricienne de longue date, Zaahirah Muthy, professionnelle des arts qui habite Dubai, pour lancer la première édition du Mauritius International Arts Festival justement au Caudan Arts Center. Il nous faut beaucoup d’autres initiatives de ce genre à longueur d’année à Maurice.

 

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