Le secteur de l’énergie devrait une nouvelle fois être à l’avant-plan en 2023. Plusieurs projets énergétiques accusent du retard et 2023 sera un tournant qu’il ne faudra surtout pas manquer.
Le paysage énergétique à Maurice aura surtout été marqué en 2022, d’une part, par le litige opposant le Central Electricity Board (CEB) aux l’Independent Power Producer (IPP) et d’autre part, par les réserves financières de l’organisme qui sont presque à sec et qui ont mené à l’augmentation du prix de l’électricité.
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Si les plus téméraires craignent le pire pour 2023 avec des possibilités de délestage dans diverses régions du pays, les plus modérés soutiennent que le pire peut être évité si l’on parvient à assurer la mise en œuvre des projets d’énergies renouvelables énoncés dans la ‘Renewable Energy Roadmap 2030 For The Electricity Sector Review 2022’.
Le chargé de cours à l’Université de Maurice (UoM) et expert en matière énergétique, Khalil Elahee, soutient, en effet, que la feuille de route pour les énergies renouvelables, présentée par le ministre des Services publics et de l’Énergie, Joe Lesjongard, en juin 2022, est un très bon document. « Malheureusement, la mise en œuvre des projets, dont fait mention le document, a déjà pris trop de retard. La Roadmap a, par exemple, fait provision pour la réalisation de panneaux solaires flottants ainsi que des prises de connexion pour les voitures électriques. Mais ces projets n’ont pas encore été réalisés », déplore-t-il.
Si le chargé de cours est d’avis que Maurice est encore à l’abri d’une crise énergétique, la donne pourrait cependant changer au mois d’octobre. « Si on n’arrive toujours pas à implémenter les recommandations de cette feuille de route, on risque tout simplement de témoigner d’un déficit entre la demande et la capacité du CEB à assurer la fourniture électrique et on pourrait se retrouver avec des délestages en jour de semaine aux heures de pointe », avance-t-il. L’autre élément sur lequel Maurice n’aura pas droit à l’erreur en 2023 est la maîtrise de la demande énergétique. Pour ce faire, Khalil Elahee propose de donner plus de moyens à l’Energy Efficiency Management Office (EEMO), qui tombe sous le ministère des Services publics et de l’Énergie. Il y a, selon l’expert, des rapports qui ont déjà été préparés par ce bureau et que là encore, il suffit de procéder à la mise en œuvre.
CEB déficitaire
Si Khalil Elahee se veut être rassurant, d’autres observateurs du secteur de l’énergie, à l’instar du député du Parti travailliste (PTr), Patrick Assirvaden, est d’avis que Maurice est déjà « en état d’urgence ». S’appuyant sur l’état financier du CEB, qui est actuellement déficitaire, le député de l’opposition avance qu’il s’agit d’une situation qui a un impact directe sur le fonctionnement de l’organisme. « La réalité, c’est qu’il n’y a plus de fonds pour assurer le développement des projets énergétiques. La situation du CEB est inquiétante, car la maintenance de ces équipements nécessite aussi beaucoup d’investissements », fait-il ressortir.
La feuille de route sur les énergies renouvelables pourra-t-elle inverser la tendance ? Le député Assirvaden n’y prête pas foi. « Vous savez combien de roadmaps ont été présentés depuis 2015 ? Ivan Collendavelloo en avait présenté un. L’ex-Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, avait aussi établi une feuille de route pour ce même secteur et l’actuel Premier ministre avait aussi fait état d’un plan pour les énergies renouvelables lors de la COP-26. Mais quel est le résultat ? C’est facile de présenter des documents au bout de chaque année, mais il faut avoir la volonté politique », ajoute le député de La Caverne/Phœnix (15).
Le porte-parole de la People’s Cooperative Renewable Energy Coalition, Michel Chiffonne, est, lui aussi, « très sceptique » pour le paysage énergétique en 2023. « C’est de pire en pire car la politique énergétique a été mal planifiée par les gouvernements qui se sont succédés. Plusieurs gouvernements ont fait l’erreur de croire qu’on allait éternellement pouvoir dépendre des énergies fossiles. Certes le CEB a commencé à montrer un intérêt pour les énergies renouvelables, mais ce n’est pas suffisant », avance-t-il, et d’ajouter que les récents investissements pour l’acquisition de batterie de stockage ont été financés par des institutions internationales comme les Nations Unies et l’Union européenne. « Cela en dit long sur la véritable volonté de nos décideurs politiques », fait-il part.
Michel Chiffonne explique aussi qu’une bonne transition énergétique ne se résume pas qu’à changer de technologie. « Notre secteur énergétique est étroitement lié à notre économie. Maurice a une population de 1,3 million d’habitants. Nous accueillons en moyenne 1 million de touristes par an sans compter que Maurice fait aussi beaucoup appel aux travailleurs étrangers. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de personnes qui vivent à Maurice. Est-ce que cela est pris en considération par les autorités ? On note la construction de Smart Cities et de villas. S’est-on posé la question sur le volume d’électricité nécessaire pour satisfaire toute cette demande ? » s’interroge-t-il.
Litige Terragen-CEB : L’incertitude plane
Bien malin celui qui pourra deviner l’issue du bras de fer entre le CEB et l’IPP Terragen. Bien qu’il semble y avoir une volonté des deux parties à vouloir trouver un terrain d’entente, les discussions semblent plus déboucher sur une guerre des nerfs qu’autre chose. Les dernières informations sur ce dossier indiquent que le CEB a fait part d’une nouvelle proposition à Terragen et qu’il implique maintenant à l’IPP de donner sa réponse. Une situation qui n’est pas de bon augure pour l’avenir énergétique de Maurice.
Le député, Patrick Assirvaden est d’avis que le CEB est devenu l’otage de cet IPP. « Il faut savoir que Terragen et le CEB sont liés par un Power Purchase Agreement (PPA). Plusieurs gouvernements par le passé ont tenté de renégocier les termes de cet accord, mais en vain. Mais en 2022, un IPP a réussi l’exploit de rompre un contrat que beaucoup considèrent comme étant en béton », dira le député travailliste.
Liquefied Natural Gas (LNG) : la viabilité du projet fait débat
Est-ce-une bonne idée de se reposer sur le Liquefied Natural Gas (LNG) pour assurer la pérennité de notre secteur énergétique ? Si au niveau des autorités, on veut présenter ce projet comme une source d’énergie de transition avant que les énergies renouvelables ne finissent par devenir la seule norme à Maurice, des observateurs du secteur sont d’avis que Maurice sera condamné à composer avec le gaz naturel. Sans compter que les investissements autour d’un projet se comptent par milliards de roupies. « Les investissements sont énormes. Toute l’infrastructure qui aura à être conçue autour du LNG coûtera énormément d’argent au pays, sans compter que des difficultés vont aussi se poser autour du Procurement. On risque au final de se retrouver comme la France qui est convaincue de l’efficacité de l’énergie nucléaire. mais qui est aussi consciente qu’on ne peut se reposer sur cela sur le long terme », explique Khalil Elahee.
Michel Chiffonne exprime aussi des réserves sur le projet LNG. « Ce n’est pas rassurant du tout. On est en train de dire qu’il va falloir éliminer le charbon d’ici 2030 et on compte le remplacer par le LNG, qui est aussi une énergie fossile. En sus, l’extraction du gaz naturel est un exercice qui fait énormément de tort à l’environnement », dit-il. Pratiquement même son de cloche pour Patrick Assirvaden qui s’interroge, quant à lui, sur l’expertise nécessaire pour assurer le développement d’un tel projet. « e gouvernement doit avoir le courage de publier le rapport Potten qui avait été commandité par l’ex-ministre Collendavelloo. Ce rapport dit noir sur blanc que nous n’avons pas la masse critique voulue pour un tel projet et on est en train de persister vers cette même voie », ajoute-t-il.
Danen Beemadoo, Chairman de la MARENA : « Notre 'road map' a été revue avant la flambée du prix du charbon »
« N’importe quel secteur peut être retard, car on est pressé. Mais le plus important, c’est d’avoir des objectifs ». C’est ce que répond le Chairman de la Mauritius Renewable Energy Agency (MARENA), Danen Beemadoo, à ceux qui reprochent au gouvernement d’accuser du retard dans le secteur des énergies renouvelables. « La roadmap que nous avons présentée en juin a été révisée par les autorités et cela démontre notre proactivité. Nous n’avons pas attendu d’être frappés par la guerre en Ukraine ainsi que la flambée du prix du charbon pour revisiter notre feuille de route », explique-t-il.
En sus, l’exercice d’appel d’offres, qui a été lancé par le CEB pour un projet pilote de panneaux solaires flottants à Tamarind Falls, démontre selon lui, « tout le sérieux » des autorités pour le secteur des énergies vertes. « Ce projet démontre toute notre imagination, car étant conscient qu’il y a un problème de disponibilité de terrain à Maurice, nous avons décidé d’exploiter les eaux qui nous entourent. Nous croyons dans le secteur des énergies renouvelables et le temps nous donnera raison », dit-il.
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