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Rixes liées au trafic de drogue : dans l’univers impitoyable des guerres de gangs en prison 

La guerre des gangs est un défi de taille pour l’administration carcérale.
  • La direction pénitentiaire sur la braise 

Le trafic de drogue et la guerre des gangs en prison sont intrinsèquement liés, tant et si bien que le fléau ne cesse de prendre de l’ampleur. La direction pénitentiaire semble impuissante. Des barons de la drogue, surnommés « patrons », font la loi, se disputant des « territoires » et déployant de gros moyens pour affirmer leur supériorité. Des gardiens affirment que la seule solution est de s’attaquer à la source du problème : le trafic de drogue. 

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La rixe survenue, il y a environ un mois dans la cour numéro 2 de la prison centrale de Beau-Bassin et impliquant des prisonniers issus de deux gangs rivaux, lève un coin du voile sur les règlements de comptes ayant lieu dès que les gardiens ont le dos tourné. Le trafic de drogue, principalement d’héroïne, mais aussi et surtout de synthétique, est venu exacerber le problème. Le milieu pénitentiaire est sur la braise. La direction carcérale a été mise au courant de la situation depuis une année déjà. Mais elle serait impuissante face à ce fléau qui ne cesse de prendre de l’ampleur au fil des années. 

Les chefs de ces gangs, qui sont en réalité des barons de la drogue, se disputent non seulement des territoires, mais également le contrôle de la distribution de drogue en prison. C’est ce qui est à l’origine des multiples conflits violents qui éclatent. 

« La guerre des gangs prend sa source dans un conflit entre trafiquants de drogue qui a déjà commencé en dehors de la prison. Lorsqu’ils se retrouvent entre quatre murs, ils y voient l’occasion de régler leurs comptes. Ils ont tout le temps pour cela, vu qu’ils sont enfermés », apprend-on de la bouche d’officiers des prisons basés au département General Duties. 

Ils ajoutent qu’ils réception-nent souvent des demandes de la part de prisonniers disant vouloir changer de cellule, de dortoir ou tout bonnement de prison, quelques jours à peine après leur admission. « C’est un signe qu’ils craignent pour leur vie. Zot rod sime sove pangar zot trouv lamor », fait-on comprendre. 

Selon nos sources, les guerres entre gangs rivaux sont légion dans toutes les prisons du pays, sauf au pénitencier de Phœnix, connu comme La Bastille. Le plus gros problème se poserait à la prison centrale de Beau-Bassin. On parle non seulement d’un manque de personnel, mais aussi des ruses employées par des prisonniers pour déjouer la surveillance des gardiens. 

« Enn prizon kouma Beau-Bassin ti bizin ena 50 gard par zour. Me parfwa ena zis 15. Normal pou ena trafik ladrog ek kondane pou fer seki zot anvi kan gard zot ledo tourne. Lerla mem bann klan rod lager », fait-on comprendre. 

Les noms de ces clans ? « Ena klan Roche-Bois, klan Rose-Hill, klan Rivière-Noire ek enn ta lezot ankor », précise-t-on. Quid de la prison de Melrose ? « Les incidents sont peu fréquents à l’Eastern High Security Prison, car elle dispose de plusieurs unités. Contrairement au pénitencier de Beau-Bassin, où les prisonniers se retrouvent dans plusieurs cours », explique-t-on dans le milieu. 

À La Bastille, les prisonniers sont plutôt solidaires, à en croire un haut gradé basé au département Welfare de la prison centrale de Beau-Bassin. « Ils sont environ 20 à être incarcérés selon des conditions très strictes, c’est-à-dire 23 heures sur 24. Zot pena letan lager sa bann kondane la. Pena mem klan laba », souligne-t-il. 

Un prétexte 

La prison de Beau-Bassin abriterait une dizaine de barons de la drogue, car la majorité des prisonniers y est incarcérée pour des délits de drogue. « Chaque baron opère dans une aile de la prison et dans une partie d’une cour. Il dispose d’une cinquantaine de prisonniers prêts à tout pour le servir. Gare toutefois aux empiètements. Il suffit d’un prétexte pour déclencher une rixe sanglante », indique l’un de nos informateurs. Par « prétexte », il veut dire le vol d’un téléphone portable, une prise de bec ou encore un juron lancé. 

Mais il précise que la vraie raison est bien souvent liée au trafic de drogue. « Swa enn kondane inn kokin ladrog, swa linn pran ladrog ek li pann peye deor. Ouswa kondane la inn al fer informater ar bann lezot kondane », précisent nos sources. Les gangs exècrent l’hypocrisie et les « palabres ». C’est la raison pour laquelle la devise des prisonniers qui sont au service des barons de la drogue est la suivante : « Si to lalang pena lezo, to pa pou kapav fini to lazol. »

Les « Teckwan » 

« Une guerre des gangs peut éclater à tout moment en prison. Souvent, les altercations ont lieu au moment où il n’y a pas, voire très peu de gardiens dans les association yards », dit-on. 

Pour ce qui est des armes tranchantes, la plupart des prisonniers ont leurs armes artisanales. Référence est ici faite aux « pik demon » et autres objets confectionnés avec ingéniosité et qu’ils gardent précieusement dans leurs « teckwans ». Il s’agit de caches dans les prisons, comme des trous dans les murs et des creux sous la terre. 

Ce qui explique pourquoi les officiers de la Correctional and Emergency Response Team ne trouvent presque jamais ces armes tranchantes durant les fouilles. Quand des rixes éclatent, les prisonniers concernés n’hésitent pas à les utiliser pour se défendre ou pour attaquer. « Kan zot fini pike, zot ale », précise-t-on. 

Quand mutinerie rime avec diversion 

Les conséquences de ces guerres de gangs en prison sont désastreuses. L’administration carcérale enregistre plusieurs cas impliquant des détenus qui ne sont pas affiliés à un gang, mais qui ont été soumis à des violences, voire tués. En 2005, le prisonnier Steeve Labonne avait été battu à mort par ses codétenus lors d’une rixe (voir encadré). Il était emprisonné au pénitencier de Grande-Rivière-Nord-Ouest. Il avait été poignardé à 45 reprises avant que sa main gauche ne soit quasi sectionnée. 

Cette bagarre, soupçonnée par la Major Crime Investigation Team d’être un règlement de comptes entre gangs rivaux, était à deux doigts de provoquer une mutinerie à la prison. L’affaire avait fait tellement de bruit qu’une question avait été soulevée en ce sens à l’Assemblée nationale par le leader de l’opposition d’alors. 

Des gardiens s’interrogent également sur les prémices d’une mutinerie enclenchée le 20 mars 2020 à la prison centrale de Beau-Bassin et sur le décès suspect du prisonnier Jean Michael Louise. Il avait été retrouvé mort dans sa cellule aux petites heures, le 21 mars. Il aurait, selon la police, participé à la mutinerie. Elle privilégiait la thèse d’un règlement de comptes. 

Et si les mutineries étaient, en réalité, un moyen de masquer les règlements de comptes entre gangs ? « Oui », affirment à l’unanimité d’anciens hauts gradés, désormais à la retraite, qui ont été interrogés. Ils soutiennent qu’ils étaient présents lors du soulèvement de mars 2020 à la prison centrale de Beau-Bassin. 

D’aucuns disent que ce semblant de soulèvement collectif, organisé par des prisonniers pour protester contre des conditions de détention et des traitements qu’ils estimaient inhumains, était en fait une couverture. « Souvenez-vous. Le motif du début de mutinerie à la prison de Beau-Bassin en mars 2020 était la Covid-19. Le pays n’était même pas confiné. Ou panse vremem bann kondane ti pe per Covid-19 ? » demandent-ils. 

Les anciens hauts gradés sont d’avis qu’il est « crucial de s’attaquer à la racine du problème, c’est-à-dire au trafic de drogue en prison ». Mais pour cela, disent-ils, il faut une meilleure surveillance des visiteurs, des gardiens et des détenus. 

« Il faut aussi des mesures pour empêcher l’introduction de drogues dans les prisons. Il est également important d’offrir des programmes de réadaptation aux détenus pour leur donner la chance de sortir du cycle de la violence et de la criminalité. » S’ils concèdent que ce ne sera pas facile de résoudre ce problème, ils estiment néanmoins qu’il est essentiel de protéger la sécurité et les droits des prisonniers, ainsi que du personnel carcéral. 

Le silence de l’administration carcérale 

Le Dimanche/L’Hebdo a sollicité Josian Babet, chargé de communication des prisons, à diverses reprises au téléphone durant toute la journée du samedi 29 avril 2023 pour une déclaration sur les règlements de comptes entre gangs. Mais il est resté injoignable. Le commissaire des prisons par intérim, Jagadisen Rungadoo, a également été sollicité, mais nos multiples appels sont demeurés vains. 

Ramgoolam voulait démanteler les gangs du temps où il était PM 

L’assassinat du prisonnier Steeve Labonne, en 2005, avait fait grand bruit. À tel point que plusieurs questions avaient été soulevées à ce sujet à l’Assemblée nationale. Navin Ramgoolam, Premier ministre d’alors, avait ordonné la création d’un High-Powered Committee afin d’analyser les causes des incidents et faire un état des lieux des prisons, tout en identifiant les faiblesses. 

L’ancien Premier ministre voulait surtout prévenir d’autres cas identiques. Le mot d’ordre était de démanteler les réseaux en prison. Selon Navin Ramgoolam, il y avait, à l’époque, une douzaine de chefs de gangs en prison. 

La méthode Appadoo et Vijayanarayanan

Dans le milieu carcéral, on s’accorde à dire que la méthode employée par les deux anciens commissaires des prisons, Vinod Appadoo et le ressortissant indien Lingamanaicker Vijayanarayanan (qui a démissionné à la suite de l’évasion en masse de 34 prisonniers du pénitencier de Grande-Rivière-Nord-Ouest en juin 2010 ; NdlR), doit être utilisée pour s’attaquer à la racine du problème. 

On fait comprendre que le département pénitentiaire a besoin d’un commissaire des prisons solide. Il semblerait que le Deputy Commissioner of Prisons Jagadisen Rungadoo, qui est commissaire des prisons par intérim depuis deux ans, soit réticent à prendre de grandes décisions en ce qui concerne la gestion de la prison. « Nous comprenons sa position. Mais le bureau du Premier ministre doit nommer un commissaire des prisons dans les semaines à venir. Le milieu carcéral est sur la braise. La situation peut dégénérer à tout moment. » 

Un commissaire des prisons, ajoute-t-on, doit être impartial dans ses prises de décision. « Il doit sanctionner quand le besoin se fait sentir. Or, aucune sanction n’a été prise depuis les incidents du 2 avril 2023. Il semblerait que les fauteurs de troubles soient restés impunis, alors qu’ils devraient écoper d’un rapport », fait-on comprendre. 

Nouveau système 

Le Dimanche/L’Hebdo détient des informations selon lesquelles des gardiens joueraient un rôle-clé dans l’introduction de drogues en prison. Certains iraient jusqu’à dissimuler des substances illicites dans leurs parties intimes. Les autorités pénitentiaires mettent en place des mesures pour empêcher que les gardiens ne soient mêlés à des contrebandes en prison. 

Ces mesures comprennent la formation, des campagnes de sensibilisation à l’éthique professionnelle, la surveillance des communications et des comportements suspects, ainsi que des vérifications de sécurité rigoureuses tant pour les gardiens que pour les visiteurs. 

Certains officiers de prison continuent à enfreindre la loi et l’éthique. « Les officiers de la Correctional and Emergency Response Team devraient mener des fouilles et des patrouilles régulières dans les association yards. En sus de cela, il faudrait que des officiers de la Special Supporting Unit et du Groupement d’intervention de la police mauricienne soient en permanence postés dans l’enceinte de certaines prisons au cas où la situation dégénèrerait », demandent des gardiens. 

L’installation de micro-phones dans les association yards est également réclamée. « Ces appareils nous permettraient d’intercepter les communications des prisonniers. Nous pourrions ainsi avorter tout règlement de comptes ou toute mutinerie », concluent-ils.

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