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Reza Uteem : «La Financial Crimes Commission risque d’être utilisée à des fins politiques»

Le président du MMM, Reza Uteem, explique pourquoi le texte de loi sur la nouvelle institution qu’est la Financial Crimes Commission comporte, selon l’opposition, des clauses dangereuses pouvant affecter directement la démocratie et la justice mauricienne. Il donne aussi son avis sur la situation politique à Maurice et au sein de l’alliance PTr/MMM/PMSD.  

À l’heure où nous parlons (ndlr vendredi), le Financial Crimes Commission (FCC) Bill n’a pas encore été adopté, mais le sera possiblement vendredi soir, le 15 décembre. Qu’est-ce qui vous dérange le plus dans les pouvoirs de la FCC ?
On est en train de créer un monstre avec des pouvoirs accrus, qui pourra porter atteinte à la liberté d’un individu et au respect de sa vie privée, pourtant garantis par notre Constitution. C’est la première fois qu’une institution aura le pouvoir d’espionner n’importe qui et n’importe quand. Elle pourra intercepter nos communications, nos conversations, nos messages sur les réseaux sociaux. Il semblerait que gouvernement ait fait l’acquisition d’équipements d'interception de la Verint Systems Ltd, une compagnie israélienne, pour plusieurs centaines de millions de roupies. Et on est train de donner tous ces pouvoirs draconiens à des nominés politiques choisis personnellement par le Premier ministre. Le risque que cette institution soit utilisée à des fins politiques est bien réel.

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Lors de votre intervention mardi durant les débats parlementaires, vous aviez affirmé qu’un des dangers est que la FCC, telle qu’elle sera structurée, risque de ne pas enquêter sur les puissants du jour. En quoi est-ce différent du fonctionnement de l’Icac depuis sa création en 2002 ?
Sous la présente Prevention of Corruption Act, l’Icac se charge d’enquêter sur des affaires de corruption et de blanchiment d’argent, entre autres. Une fois l’enquête complétée, le directeur de cet organisme transmet tout le dossier au Directeur des Poursuites Publiques (DPP) avec les recommandations de la commission anticorruption. C’est le DPP qui décide s’il faut instaurer des poursuites ou pas. Et cette disposition est conforme à la section 72 de la Constitution, qui donne le pouvoir au DPP d’instituer, de continuer ou de cesser une poursuite. 

Aujourd’hui, l’Icac ne peut pas classer une affaire sans l’aval du DPP. Seul le DPP peut classer une affaire. Avec la nouvelle loi, la FCC pourra, de son propre chef et sans rien demander à personne, classer une enquête sur simple recommandation du directeur général de la FCC, sans l’aval du DPP. Comment le DPP peut-il exercer son droit constitutionnel d’instituer une poursuite si la FCC ne lui envoie pas le dossier ? Le DPP ne saura jamais quelles affaires ont été classées par la FCC et pour quel motif. 

L’Icac enquête encore toujours sur des dossiers qui concernent directement le Premier ministre et les membres de son gouvernement, notamment l’affaire Angus road, l’affaire St Louis, l’affaire Stag Party et les Kistnen Papers, entre autres. Une fois la nouvelle loi adoptée, la FCC pourra clore toutes ces enquêtes et décider de ne pas poursuivre Pravind Jugnauth, Ivan Collendavelloo, Maneesh Gobin, Yogida Sawmynaden, Rajanah Dahliah, et les autres proches du pouvoir, sans passer par le DPP ! 

Le plus scandaleux dans tout cela, c’est que c’est ce même Pravind Jugnauth qui choisira le directeur général et les quatre commissaires de la FCC qui auront à décider de son sort ! Croyez-vous que les personnes choisies par le Premier ministre pourraient agir contre lui et les membres de son gouvernement ?
L’Indépendance de la FCC, à commencer par son directeur général nommé par le Président de la République sur avis du Premier ministre après consultation avec le leader de l’opposition, a régulièrement été critiquée.

Quel aurait dû être le mode de nomination du No 1 de cette nouvelle superstructure ?
Le texte initial da la Prevention of Corruption Act (PoCA) prévoyait un Appointment committee, composé du Président de la République, du Premier ministre et du leader de l’opposition pour nommer le directeur général de l’Icac. Le leader de l’opposition a suggéré que la nomination soit faite par la Judicial and Legal Service Commission, qui nomme le DPP, entre autres.  

Aux Seychelles, vous avez une Constitutional Appointment Authority, composée de représentants du gouvernement et de l’opposition, qui nomme des postes clés comme les juges et les membres de la commission électorale. On peut aussi envisager une commission parlementaire composée de membres des deux côtés de la chambre pour nommer des personnes compétentes et méritantes pour diriger la FCC après appel de candidatures. Plusieurs options existent donc.

Il est cependant un fait que l’opposition, et cela peu importe quel parti qui se trouve dans l’opposition, a depuis des années critiqué le fonctionnement de l’Icac. Harmoniser et mieux structurer les instances qui luttent contre la fraude, la corruption et les crimes financiers n’était pas justement la chose à faire ? Quoi faire pour mieux combattre ces fléaux si ce n’est en créant une structure qui a des pouvoirs étendus ?
Malheureusement, c’est l’homme qui fait l’institution. Cela ne sert à rien d’avoir de bonnes lois qui répondent aux normes internationales si en pratique elles ne sont pas appliquées avec l’intégrité, l’indépendance et la rigueur nécessaires. 

Aujourd’hui, la perception est que l’Icac est une cover-up machine pour blanchir les proches du pouvoir. Aussi, que l’Icac est un outil politique aux mains du pouvoir. Malgré les milliards de roupies englouties dans l’Icac et le nombre important d’allégations de pots-de-vin et de trafic d’influence, il n’y a eu aucune condamnation dans des high profile cases, hormis la condamnation de Pravind Jugnauth dans l’affaire MedPoint qui a finalement été renversée en appel. 

Pour fonctionner efficacement, la FCC doit être vraiment indépendante et sujette à aucune pression politique. Il doit y avoir les checks and balances nécessaires. Mais le plus important, c’est que la personne à la tête de l’institution et les commissaires soient de vrais patriotes intègres et indépendants. Et, heureusement qu’il y en a à Maurice. Mais, le Premier ministre préférera certainement nommer des chatwas à sa solde à ces postes de responsabilités.

La clause 66, qui porte sur les méthodes d’enquête, est aussi régulièrement revenue dans le discours de l’opposition. Pourquoi est-ce que cette clause vous gêne autant ?
C’est une clause qui porte atteinte directement à la vie privée de chaque Mauricien. En outre, elle permettra à la FCC de nous espionner et d’intercepter nos messages et conversations à partir d’un lieu public et cela, de n’importe quelle manière. Le pire c’est que la FCC pourra nous surveiller sans passer par un ordre d’un juge. Elle n’a même pas besoin d’avoir une reasonable suspicion que la personne a commis un délit. La décision reviendra au tout puissant nominé politique que sera le directeur général. C’est très grave et pourrait bien être anticonstitutionnel. Maintenant, si le directeur général voudra l’interception de nos messages et conversations dans un lieu privé, et cela peu importe la méthode utilisée, il devra demander l’ordre d’un juge. Mais la loi ne mentionne pas la durée d’un tel ordre et une fois obtenue, il n’y aura aucune judicial oversight supervision de la Cour. Donc, les risques d’abus sont énormes.

Lors de sa présentation du texte de loi, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a affirmé que « les pouvoirs constitutionnels du DPP ne seront pas affectés ». Ceci est diamétralement opposé aux arguments de l’opposition…

Le Premier ministre s’appuie sur l’article 142(b) du projet de loi qui maintient le pouvoir du DPP d’instaurer, de continuer ou de cesser toute poursuite. Mais comment voulez-vous que le DPP puisse exercer son droit constitutionnel si la FCC n’a aucune obligation de lui remettre le dossier des affaires sur lesquelles ses officiers ont enquêté ? Comment est-ce que le DPP saura si la FCC a décidé de ne pas poursuivre Pravind Jugnauth dans l’affaire Angus road ou Ivan Collendavelloo dans l’affaire St Louis ou l’Attorney-General Maneesh Gobin dans l’affaire Stag Party à Grand-Bassin ou même les honorables Sawmynaden et Dhaliah ? 
Mais ce n’est pas tout. En plus, la loi impose au DPP l’obligation de donner les raisons pour lesquelles il a décidé de ne pas engager une poursuite et cette décision peut être renversée par voie de judicial review. Par contre, les nominés politiques du Premier ministre qui décideront au sein de la FCC n’auront aucune obligation de donner les raisons pour lesquelles ils auraient décidé de ne pas engager de poursuites dans telle ou telle affaire !

Certains relient le réenregistrement des cartes SIM, avec l’obligation d’envoyer un selfie, aux caméras Safe City et à la FCC. N’est-ce pas être un peu trop paranoïaque, d’autant plus que le gouvernement a donné des garanties à ce niveau ?
Pourquoi devrait-on donner une photo numérique aux opérateurs téléphoniques pour l’enregistrement de notre carte SIM ? On leur donne déjà une copie de notre carte d’identité. Donc, ils ont déjà notre photo. Mais s’ils ont besoin de notre photo numérique, c’est pour pouvoir nous identifier à travers des logiciels de face recognition. Et ce, dans n’importe quel lieu public, y compris lors de rassemblements politiques ou autres manifestations. En plus, ces données personnelles seront en la possession des opérateurs privés, sans aucune garantie quant à leur confidentialité. Le tout, en probable violation du jugement du Privy Council dans l’affaire Mahadeo concernant les cartes d’identité. 

Le gouvernement compte venir bientôt avec une nouvelle ébauche de loi sur le financement politique et une réforme électorale. Ce sera une seconde tentative après une première qui avait dû être avortée avant les élections de 2019, faute d’adhésion des députés de l’opposition car une majorité de ¾ est nécessaire pour faire approuver de tels textes de loi. Est-ce que cela pourrait être différent cette fois-ci ?
Au sein de l’opposition, nous sommes en faveur d’une loi sur le financement des partis politiques et une bonne réforme électorale. Je vous rappelle que concernant le financement des partis politiques, il y avait très peu de divergences entre la position de l’opposition et du gouvernement. L’opposition voulait avoir des garanties qu’un ordre d’un juge soit nécessaire pour dévoiler l’identité des donneurs pour qu’il n’y ait pas de représailles contre eux par le parti au pouvoir. On avait demandé à ce que l’État prenne en charge une partie des dépenses électorales surtout pour aider les petits partis pour qu’ils puissent payer les frais de campagne. Une somme modique, un token. Finalement, on a trouvé que le seuil des dépenses des partis était trop élevé. 

Mais le gouvernement a fait la sourde oreille sur toutes nos propositions et au final, on peut se demander si le gouvernement voulait vraiment de cette loi. Quant à la réforme électorale, nous sommes en faveur d’une dose de proportionnel pour que le nombre de sièges obtenu par un parti reflète autant que possible le nombre de voix qu’il a obtenu. Il y a eu de multiples rapports d’experts sur la question, mais le MSM a toujours été contre le changement du système électoral actuel. 

L’année prochaine sera très probablement une année électorale avec la dissolution automatique du Parlement début novembre. Est-ce que l’alliance PTr/MMM/PMSD avec Navin Ramgoolam comme candidat aux élections générales est solidement calée dans les starting blocks ?
L’alliance PTr/MMM/PMSD se porte très bien au grand dam du MSM et de ses groupuscules d’alliés. Nos sorties publiques sont des succès et chaque jour on se renforce davantage. On a un très bon accueil, car le peuple souffre et en a marre de ce gouvernement corrompu, incompétent et autocratique. L’année prochaine sera décisive et on donnera un coup d’accélérateur à nos activités politiques. En parallèle, un comité restreint sous la présidence de Xavier-Luc Duval, travaille sur notre programme électoral et le nouveau projet de société qu’on présentera à l’électorat. 

Votre alliance promet la rupture. Mais jusqu’où ira cette rupture avec les habitudes du passé ?
Pour avoir une rupture, il faut la volonté politique et l’adhésion de la population. L’alliance PTr/MMM/PMSD est inédite et démontre que nos leaders politiques peuvent mettre de côté leur différents et s’unir pour créer une nouvelle société plus juste, plus équitable et plus démocratique, où régneront la paix et l’harmonie sociale tout en respectant l’environnement. Mais, pour cela, il faudra l’aide de tous les Mauriciens. Pas que des politiciens. Un grand chantier nous attend. Nos institutions doivent retrouver leur indépendance. On a besoin de patriotes intègres et compétents à la tête de nos corps para-étatiques et autres institutions. Et je suis convaincu qu’ensemble, on va réaliser de grands projets, relever les défis et une nouvelle fois faire de l’île Maurice l’exemple qu’elle devrait être pour le monde entier, et pour l’Afrique en particulier.

Sondage après sondage, on constate que les Mauriciens perdent confiance dans les politiciens et demandent un renouveau. Comment les refaire prendre confiance en la classe politique ?
Ce n’est pas étonnant quand on voit le comportement de certains politiciens qui sont loin d’être des role models. Mais, il ne faut pas mettre tous les politiciens dans le même panier. Heureusement qu’il y a toujours des politiciens qui ont la flamme pour servir leur pays.

Il est aussi question que le Premier ministre vienne prochainement avec une motion pour soit adopter soit rejeter in toto le rapport de l’Electoral Boundaries Commission datant de 2020. Est-ce que les recommandations ont déjà été étudiées par l’opposition et si oui, quel est le constat ? Est-ce que le nouveau redécoupage proposé pourrait avoir une grosse influence sur les élections générales à venir ?
L’Electoral Boundaries Commission est une institution indépendante avec un mandat constitutionnel de revoir les contours des circonscriptions et de soumettre un rapport sur la délimitation des frontières des circonscriptions chaque 10 ans. La commission prend en considération les facteurs prescrits à la section 39 de la Constitution, y compris le nombre d’habitants. Plusieurs circonscriptions sont affectées par le redécoupage proposé dans le dernier rapport. Par exemple, une partie de ma circonscription au numéro 2 sera annexée au numéro 3 alors que je récupère plus de 10 000 électeurs de la circonscription numéro 1. Forcément, il y aura un travail additionnel pour rencontrer les nouveaux électeurs et écouter leur doléances et attentes. Mais personnellement, je ne pense pas que le redécoupage aura une incidence sur les élections générales à venir vu que le ras-le-bol contre le gouvernement est généralisé et transcende toutes les barrières géographiques.

 

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