La gestion de l’eau ne peut plus être abordée avec légèreté. Face aux changements climatiques, elle nécessite une approche sérieuse et urgente. Ce point a été abordé dans le discours-programme 2025-29 dévoilé par le président de la République vendredi. Mais les défis demeurent immenses à cause des retards accumulés et des dysfonctionnements observés dans les institutions en charge.
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La crise de l’eau a atteint des proportions inquiétantes. La dernière décennie a révélé un manque d’efficacité et de transparence, en particulier au sein de la Central Water Authority (CWA). Les révélations de l’ancienne Chief Internal Auditor de l’organisme, faisant état d’anomalies financières et de soupçons de corruption dans l’attribution des contrats de remplacement des tuyaux, illustrent bien ce constat alarmant. Des mesures ont certes été annoncées lors du discours-programme prononcé le vendredi 24 janvier 2025. Mais suffiront-elles à résoudre une crise qui ne cesse de se détériorer, exacerbée par les effets du dérèglement climatique ?
Maurice fait face aujourd’hui aux conséquences directes des changements climatiques. Les périodes de sécheresse se prolongent, obligeant les autorités à instaurer des restrictions de distribution d’eau à travers l’île. Harry Boolauck, ancien General Manager de la CWA, précise que si la sécheresse n’est pas un phénomène nouveau, sa durée, elle, s’est allongée.
« Il est impératif de ne plus dépendre uniquement des cycles naturels pour le développement agricole et industriel. Nous devons explorer des solutions modernes, telles que le forage et la transposition d’eau entre régions, ou encore envisager le dessalement de l’eau de mer, une option déjà adoptée par plusieurs pays du Moyen-Orient », dit-il.
Sunil Dowarkasing, ancien stratège global de Greenpeace International, met en lumière un grave dysfonctionnement dans la gestion de l’eau à Maurice. Il rappelle que bien que le pays bénéficie d’une pluviosité annuelle importante, seulement 95 millions de mètres cubes sont stockés dans les réservoirs. Le reste, soit près de 3 milliards de mètres cubes, se perd inexorablement en mer. « Cela révèle un problème structurel dans le système de captage de l’eau. Il est urgent de repenser cette gestion pour éviter de gaspiller une ressource aussi précieuse », déclare-t-il.
Sunil Dowarkasing et Harry Boolauck s’accordent sur un point crucial : la réforme institutionnelle. Ils soutiennent l’idée, reprise dans le discours-programme, de regrouper les institutions responsables de la gestion de l’eau et de l’environnement – la CWA, les services météorologiques, la Water Resources Unit et la Wastewater Management Authority – sous une seule entité centrale.
Cette approche vise à garantir une meilleure coordination et à éliminer les doublons dans les actions menées. La centralisation des responsabilités permettrait de renforcer l’efficacité de la gestion des ressources en eau, d’améliorer la réactivité face aux défis environnementaux et d’assurer une planification cohérente des politiques publiques. De plus, cela favoriserait une collaboration accrue entre les différentes entités, tout en augmentant la transparence et la responsabilité dans la gestion des ressources naturelles.
Rôle central de la CWA
Souvent décrite comme le « parent pauvre » des institutions publiques, la CWA se retrouve régulièrement au centre des critiques. Pour Sunil Dowarkasing, cette institution doit évoluer pour devenir un acteur stratégique, au même titre que l’Economic Development Board. « Une telle transformation exige des investissements conséquents, mais surtout une vision ambitieuse portée par des dirigeants capables d’initier un véritable renouveau », dit-il.
Les défis auxquels la CWA est confrontée sont nombreux. Les pertes d’eau, estimées à environ 50 % dans le réseau de distribution, constituent un problème majeur. Bien que le remplacement des tuyaux soit souvent évoqué, les travaux avancent trop lentement, freinés par un manque de financements suffisants et une coordination défaillante.
La réforme institutionnelle annoncée dans le discours-programme offre une occasion unique de redresser la barre. Cependant, Sunil Dowarkasing insiste sur l’importance d’un suivi rigoureux pour traduire ces intentions en résultats concrets et durables.
Enjeu des eaux usées traitées
Un autre point crucial soulevé par Sunil Dowarkasing est l’utilisation des eaux usées traitées, un domaine dans lequel Maurice accuse un retard considérable. Actuellement, une part significative des eaux usées traitées est directement rejetée en mer, alors qu’elles pourraient être réutilisées de manière bénéfique, notamment dans l’agriculture ou même, avec les technologies adéquates, pour un usage domestique, comme cela se fait à Singapour.
« Cependant, un changement de mentalité est nécessaire. Les agriculteurs mauriciens, influencés par un certain conservatisme, se montrent encore réticents à utiliser ces eaux traitées », déplore Sunil Dowarkasing.
Pour accélérer cette transition, il préconise une double approche : une sensibilisation accrue pour briser les tabous et des mesures incitatives financières afin d’encourager l’adoption de cette pratique. En outre, il propose que le gouvernement subventionne l’installation de systèmes de captage et de stockage d’eau de pluie dans les foyers. Une telle mesure permettrait non seulement de réduire la dépendance des ménages aux ressources publiques, mais également de renforcer la résilience hydrique du pays face aux périodes de sécheresse prolongée.
Essor du tourisme : un défi supplémentaire
L’essor du secteur touristique exerce une pression croissante sur les ressources en eau, déjà mises à rude épreuve par des sécheresses prolongées. Les hôtels, en quête de satisfaction client, doivent assurer une distribution ininterrompue pour répondre aux attentes des visiteurs, ce qui devient un défi majeur dans un contexte de rareté croissante de cette ressource vitale.
Harry Boolauck met en avant l’urgence de diversifier les sources d’approvisionnement pour soutenir le secteur tout en garantissant l’accès à l’eau pour l’ensemble de la population. Parmi les solutions envisagées figure le dessalement de l’eau de mer. Bien qu’efficace dans plusieurs pays, notamment au Moyen-Orient, cette option reste controversée en raison de ses coûts élevés et de son impact environnemental.
Sunil Dowarkasing, pour sa part, exprime des réserves quant à cette approche. « Le dessalement est une fausse solution si l’on ne règle pas d’abord les pertes d’eau dans le réseau », affirme-t-il, en rappelant que près de 50 % de l’eau disponible s’évapore dans les méandres des infrastructures obsolètes. Selon lui, il est impératif d’optimiser l’efficacité des installations existantes avant de s’engager dans des projets coûteux, afin de garantir une gestion rationnelle et durable des ressources en eau.
Rivière-des-Anguilles Dam : un projet qui se noie dans les retards
Autre point soulevé par Harry Boolauck : le cas du barrage de Rivière-des-Anguilles, une initiative ambitieuse annoncée en 2010 par le gouvernement d’alors, mais qui n’a toujours pas vu le jour. Quinze ans après son annonce, il demeure en suspens, marqué par des retards inexpliqués et un manque de progrès tangible. Lors d’une récente intervention à l’Assemblée nationale, le ministre de l’Énergie et des Services publics, Patrick Assirvaden, a précisé que la construction du barrage devrait durer 40 mois.
Mesures annoncées dans le discours-programme
Le discours-programme du 24 janvier a mis en lumière les carences actuelles dans la gestion de l’eau et a proposé des réformes ambitieuses pour y remédier. Voici quelques-unes des mesures annoncées :
- Révision de la politique nationale de l’eau et du plan national de gestion intégrée des ressources en eau
- Réorganisation des institutions de gestion de l’eau pour améliorer la coordination
- Investissements dans la modernisation des infrastructures, notamment le remplacement des tuyaux défectueux après un diagnostic approfondi des fuites
- Amélioration des systèmes de stockage et de distribution à Rodrigues, une région particulièrement vulnérable
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