Pour indemniser la société indienne Patel Engineering, le gouvernement mauricien devra débourser Rs 1,8 milliard suite à un « partial award » rendu par un tribunal d’arbitrage international. Cette affaire découle d’une résiliation d’un contrat entre les parties dans le projet Neotown. Où se situent les implications légales et les frais de justice dans ce cas qui vient à nouveau ébranler l’économie locale. Le point avec deux juristes.
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Me Penny Hack : « Le gouvernement avait commis la même faute initiale dans l’affaire Betamax »
Selon Me Penny Hack, avocat d’affaires, comme l’Attorney General, est le principal conseiller juridique du gouvernement, son bureau a le devoir de fournir aux autorités des conseils et une représentation juridiques indépendants. Il doit aussi contribuer au développement d'un système juridique, à la promotion de l'État de droit et d’agir dans l'intérêt de ce dernier et du peuple mauricien.
Il est certain qu’au moins les officiers du parquet (les State Law Officers) ont dû aviser le nouveau gouvernement du jour sur les dangers d’une résiliation d’un contrat d’une telle importance. Toutefois, il se pose la question suivante : est-ce que le gouvernement mauricien a-t-il vraiment pris en compte les avis juridiques et les conséquences quant à la résiliation de ce contrat ? Même avec un compromis, soutient-il, on aurait eu à payer un dédommagement. « À mon avis, dans les deux cas, l’affaire Neotown ou celui de Betamax, il fallait aller de l’avant avec les deux contrats tout simplement. Les leçons du jugement du Conseil privé dans le cas de Betamax ne laissent aucun doute sur la validité du contrat et l’autorité d’une décision arbitrale », constate-t-il. Selon lui, ces décisions étaient politiques, puisque le gouvernement avait ignoré tous les avis légaux externes, ce qui a valu un non-respect de notre système juridique et commercial par l’exécutif. De plus, cette attitude a également diminué la confiance de la population dans le système judiciaire et terni la réputation du pays au niveau international.
D’autre part, Me Penny Hack indique que dans un monde parfait, les ministres et les officiers publics entre autres, sont limogés et poursuivis pour leurs fautes. Dans notre réalité, affirme-t-il, les responsables sont maintenus, protégés, voire promus, pendant que l’État, c’est-à-dire, le peuple, paie la note salée. « Le non-respect des conseils juridiques était le fruit d’une arrogance politique », fait-il ressortir. Peut-on identifier la faute pour éviter que ce genre de situation se produise ? « Ce n’était pas une question de faute, mais de politique intentionnée. Leurs actions de l’époque vis-à-vis la Bramer Bank et la British American Investment Company sont des preuves de cette façon d’agir du gouvernement. Leur irrévérence pour la population et nos lois était déjà totale. Dans ces circonstances, la situation désastreuse à suivre était inévitable », réplique-t-il.
Quelles sont les solutions, selon vous ? Pour lui, la démocratie et l’État de droit se meurent. « Étant un peuple docile, il nous reste comme solution, les prières, l'espoir et la patience », indique-t-il. Comment l’État va-t-il s’acquitter des frais de justice et les Rs 1,8 milliard de dommages ? « Comme d’habitude, le peuple paiera. Nous avons déjà serré la ceinture, maintenant il va falloir se serrer la gorge. Suivant les évènements dans l’affaire Betamax, si le gouvernement, par malheur, conteste la décision arbitrale dans le cas Neotown, cela augmentera certainement nos frais avec des intérêts », ajoute-t-il.
Me Sunil Bheeroo : « Il faut considérer toutes conséquences avant la résiliation d’un contrat »
Selon Me Sunil Bheeroo, avocat d’affaires et président du Chartered Institute of Arbitrators (Mauritius), des discussions ont eu lieu concernant un « partial award » que l'État devra verser à Patel Engineering. D’après l'avocat, l'entreprise aurait prétendument annoncé sur la Bourse indienne qu'il y avait eu un « partial award » contre les autorités mauriciennes. « Il faut rappeler que la décision de résilier le contrat de Patel Engineering avait été prise par trois ministres du gouvernement d’alors. Par ailleurs, ce sont ces derniers qui avaient communiqué cette décision à la presse », précise-t-il.
Résiliation d’un contrat
Notre interlocuteur estime que l’État mauricien a tout le droit d’entrer dans une obligation contractuelle avec des firmes privées aussi longtemps que ces projets sont dans l’intérêt supérieur de la nation mauricienne, tout en précisant que ce genre de pratique existait toujours. Il est essentiel de noter que dans de tels contrats, des dispositions sont généralement prévues, donnant à l'État le droit de résilier le contrat si le projet correspondant n'a pas été initié ou mené à bien. Ceci est particulièrement applicable lorsque la résiliation du contrat est jugée dans l'intérêt public. Par exemple, si l'État a besoin du terrain pour des projets nationaux jugés d'une importance cruciale pour le pays, ou s'il constate une perte financière en cédant ce terrain en bail à un taux annuel inférieur à sa valeur commerciale actuelle.
En outre, Me Sunil Bheeroo souligne que bien que l'Attorney General soit le conseiller légal du gouvernement, dans la réalité, c'est toujours le bureau du Solicitor General et ses collaborateurs qui fournissent des avis juridiques au gouvernement dans des affaires similaires, entre autres. « Dans n’importe quelle obligation contractuelle qui est liée à des activités commerciales, le principe est qu’il faut toujours négocier pour un compromis afin d’éviter des conséquences juridiques ou des frais additionnels au détriment de chaque partie », fait-il ressortir. Cependant, cela ne s'applique pas lorsque les parties ne sont pas en accord sur le fait que l'affaire sera soumise à un tribunal arbitral, à moins que cette disposition ne soit explicitement incluse dans le contrat en question. Dans un cas de résiliation de contrat d’une telle envergure, il est d’avis qu’il faut prendre toutes les circonstances en considération. Ainsi, dit-il, si le litige est compromettant, seul le judiciaire peut trancher à qui de droit.
Peut-on déterminer la personne responsable afin d'empêcher la récurrence de telles situations ? Il répond affirmativement, en expliquant que cela se produira lorsque tous les points litigieux seront présentés devant la justice, qui prendra une décision. De plus, il suggère que la Cour pourrait également proposer des solutions pour concilier les faits en encourageant un accord entre les parties concernées. Il fait ressortir : « Dans un contrat commercial, en cas de litiges de toute nature, il est essentiel d'engager des dialogues, des négociations et d'avoir recours à la médiation dans l'intérêt des parties impliquées ».
Les frais de justice
Dans le contexte du monde commercial actuel, devenu un « village global », Me Sunil Bheeroo souligne que la plupart des contrats commerciaux intègrent des clauses prévoyant le recours à un tribunal arbitral en cas de litige entre les parties. Cependant, il explique qu'il est nécessaire, dans un premier temps, de suivre ces procédures d'arbitrage pour rendre exécutoire une décision arbitrale (« award »). Ce n’est qu’ensuite que l'une des parties peut contester cette décision par le biais des voies juridiques. Ainsi, chaque partie doit assumer ses responsabilités en engageant des représentants et supportant des coûts élevés, pouvant atteindre des millions de dollars.
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