La campagne électorale ne se passe plus uniquement sur le terrain à travers le porte-à-porte et des meetings. Depuis plusieurs années, les réseaux sociaux sont devenus incontournables pour les candidats aux élections. Cette année encore, ils jouent un grand rôle.
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« Comédie et tragédie en ligne : notre paysage électoral s’apparente davantage à une bataille de ‘mèmes’ et de clips qu’à une véritable présentation de programmes ou un débat d’idées », se désole Marina Ythier Jacobsz, Managing Director de Maluti Communications. Cette professionnelle constate que la majorité des partis politiques ont bien saisi ce qui plaît sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire « les vidéos et photos chocs, les déclarations enflammées et les scandales juteux ». « Nombreux sont ceux qui, en ce moment, ressemblent davantage à des influenceurs qu’à des élus potentiels : ils cherchent à attirer l’attention par des ‘punchlines’ et des scandales mémorables, bien plus que pour leurs projets pour notre pays », affirme-t-elle.
Selon Vino Sookloll, Innovative Brand & Creative Consultant, les réseaux sociaux ont une importance clé pour l’information, notamment à travers les pages des médias. Il estime que ces plateformes permettent une libération de la parole du public. Avec les médias traditionnels, comme le journal papier, les informations ne vont que dans un sens. « On envoie les informations au public. Mais avec les réseaux sociaux, on leur envoie les informations et ils réagissent. Avant, il fallait écrire une lettre ou un email au journal. Maintenant, en quelques secondes, les lecteurs donnent leur point de vue », commente cet expert en communication. Vino Sookloll estime que Maurice a encore du retard en termes de campagne électorale sur les réseaux sociaux par rapport à d’autres pays comme les États-Unis.
Mais les réseaux sociaux ont aussi des risques et des inconvénients. Selon Marina Ythier Jacobsz, qui cite une étude d’une agence internationale de communication, une information relayée par les médias traditionnels est amplifiée 35 fois dans l’esprit de l’audience, et 280 fois sur les réseaux sociaux. « En période électorale où chaque déclaration devient une mini-crise, l’effet d’une vidéo, d’une photo, ou d’un commentaire maladroit peut devenir monumental, comme on le voit pour certains politiciens, mais aussi pour certains leaders religieux, récemment mis en difficulté », soutient la Managing Director de Maluti Communications.
Son constat est partagé par Vino Sookloll. « On trouve sur les réseaux sociaux des manipulations de l’information et des fake news. Il faut former le public. Lorsqu’on voit quelque chose sur les réseaux sociaux, il faut se tourner vers les médias réputés pour confirmer la nouvelle. Il faut que l’audience apprenne à vérifier les nouvelles », explique Vino Sookloll. Il ajoute que le message transmis est tout aussi important que la forme. « À part des attaques des uns contre les autres, on ne voit pas les programmes des candidats. Personne ne vient nous dire ce que sera Maurice dans 10 ans ou dans 20 ans », indique-t-il. L’expert en communication souligne aussi l’importance de connaître son public. « Les jeunes de moins de 25 ans, par exemple, ne se soucient pas de l’avenir, donc leur parler de l’avenir du pays ne les intéresse pas. Les retraités ont vécu, donc l’avenir ne les intéresse pas tellement non plus. Ce sont les jeunes professionnels et les jeunes parents qui s’y intéressent. Cela devrait être le fond de la communication sur les réseaux sociaux », soutient-il.
« Notre melting-pot linguistique mélange créole, français, anglais, bhojpuri et hindi, sans oublier nos jurons, parfois de véritables poèmes ! C’est un casse-tête pour la modération automatisée, et même pour un modérateur humain, comme ceux basés au siège de Facebook pour l’Afrique, à Nairobi au Kenya. On ajoute à cela l’intelligence artificielle (IA), et c’est un nouvel arsenal pour les campagnes de désinformation avec ses deepfakes, entre autres, permettant de créer des truquages incroyables. Il y a de plus en plus d’exemples et d’études de cas dessus. Je ne suis pas experte dedans, donc techniquement je ne peux pas commenter. Mais en période de campagne, les deepfakes et les fake news bien fabriquées peuvent rapidement semer la confusion. Associés aux algorithmes, ces contenus amplifient de manière extraordinaire les effets des scandales fabriqués et sapent davantage le véritable débat politique », commente Marina Ythier Jacobsz.
Elle cite les exemples de deepfakes mettant en scène des politiciens transformés en danseurs de ballet, pilotes, ou en espèces animales. Elle ajoute qu’avec l’effet d’amplification par 280 et la mondialisation, les scandales, qu’ils soient faux ou pas, relayés sur les réseaux, sont exploités par des groupes étrangers pour ternir l’image de Maurice à l’international, notamment autour de la question des Chagos en ce moment. « Mais au final, c’est une question d’offre et de la demande : les réseaux sociaux sont des amplificateurs méga puissants, mais c’est un fait que le public semble davantage attiré par des attaques souvent basses, que par des débats de fond. Bref, we get what we deserve », affirme Marina Ythier Jacobsz.
Les candidats
Les candidats ont bien compris l’importance des réseaux sociaux. Ceux à qui nous avons parlé estiment que les réseaux sociaux sont devenus très populaires. « Tout le monde a une page sur Facebook, que ce soient les entreprises ou les personnalités », estime Avinash Ramtohul, candidat de l’Alliance du Changement. « La plupart des jeunes et même les moins jeunes sont connectés sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, selon les statistiques, il y a plus d’appareils connectés que d’habitants à Maurice », précise Miven Tirvengadum, candidat de l’Alliance Lepep.
Ces plateformes offrent des avantages pour les candidats. « On ne peut pas être partout. Les réseaux sociaux permettent d’avoir une large visibilité. L’autre avantage est l’instantanéité. Ensuite, on a des retours des électeurs », détaille Avinash Ramtohul. Miven Tirvengadum ajoute que les réseaux sociaux permettent d’atteindre les habitants que les candidats ne peuvent pas rencontrer lors des porte-à-porte.
Avinash Ramtohul explique qu’il partage sur les réseaux sociaux des publications de ses activités liées à la campagne électorale. « Nous postons les communications de l’alliance, comme la conférence de presse sur le manifeste électoral, par exemple. Je poste aussi des photos et des vidéos de mes activités grâce à une équipe. Ensuite, nous analysons les commentaires. On suit l’évolution de ces analyses. On peut ainsi revoir et ajuster certaines choses », déclare-t-il. Miven Tirvengadum publie également des publications sur ses activités liées à la campagne électorale. « On y publie les mesures et les activités », dit-il.
Mais les réseaux sociaux ont leur limite. Avinash Ramtohul explique qu’une partie de la population n’est pas sur les réseaux sociaux. Il faut donc en complément un travail sur le terrain. Et il y a aussi des risques. « Parmi les risques, il y a l’usurpation d’identité. On peut se faire pirater son compte par un hacker qui va ensuite publier de fausses informations compromettantes. Les autres risques sont la désinformation et les deepfakes », affirme-t-il. « Les inconvénients sont les commentaires et les attaques des adversaires sur les réseaux sociaux », soutient Miven Tirvengadum, qui conclut qu’« il faut faire avec ces inconvénients ».
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