Live News

Renaud Azema : «Le recours à la main-d’œuvre étrangère témoigne d’un dynamisme économique fort»

Avec près de 30 ans d’expérience dans la formation aux métiers de l’hôtellerie à Maurice, Renaud Azema, CEO de Vatel Mauritius, connaît bien ce secteur. Il en dresse un portrait sans complaisance, énumérant un à un les défis auxquels il est confronté.

Publicité

Vatel Mauritius a fêté ses 15 ans d’existence en 2024. Comment les formations ont-elles évolué depuis la création de l’école ? Ont-elles su s’adapter aux mutations du secteur ?
Mon parcours à Maurice a débuté en 1996, lorsque j’ai eu l’opportunité de participer à la création de l’École Hôtelière de Maurice, à Ébène. Cette décision répondait aux besoins de l’industrie de l’époque. Nous avons alors lancé plusieurs filières adaptées aux nouvelles exigences et formé des professionnels à divers métiers : guide touristique, agent de voyage, animateur en hôtellerie, entre autres. 

Nous avons également introduit un diplôme en tourisme et lancé le National Apprenticeship Scheme (NAS) pour l’hôtellerie dans un contexte particulier. À cette époque, l’école hôtelière recevait près de 2 000 candidatures pour seulement 200 places disponibles, un signe indéniable de l’attrait du secteur.

Parallèlement, nous avons ouvert aux jeunes Mauriciens la possibilité de poursuivre leurs études en licence à l’ESTHUA à Angers. Cette opportunité a permis de former de nombreux professionnels qui, par la suite, ont apporté leur contribution à l’essor d’une industrie en pleine expansion. 

Avec le recul, force est de constater que les formations n’ont pas toujours su anticiper les évolutions du secteur avec suffisamment de proactivité. Par exemple, il y a 15 ans, nous avons proposé des formations en revenue management avec Vatel, mais l’industrie ne mesurait pas encore l’importance de cette fonction, alors associée à des pratiques de discount.

Autre exemple : depuis plusieurs années, nous préconisons la formation en alternance à Maurice. Bien que ce modèle soit difficile à mettre en place localement, il répond à un besoin réel de l’industrie et à une forte demande des jeunes. Il n’est pas trop tard pour adapter ce modèle aux spécificités mauriciennes.

De nombreux sujets doivent encore être intégrés aux formations pour préparer les professionnels de demain à une collaboration efficace et à un secteur en constante évolution. Parmi eux : l’impact des nouvelles technologies sur l’hôtellerie, le développement durable, la gestion intergénérationnelle, le management bienveillant et une plus grande agilité face aux défis futurs.

Ajuster les formations aux évolutions du secteur est évidemment un processus continu, qui nécessite une grande aptitude au changement. Des efforts sont nécessaires pour faire évoluer les mentalités et les pratiques, notamment au sein des départements RH. 

Des efforts sont nécessaires pour faire évoluer les mentalités et les pratiques, notamment au sein des départements RH».

Quel était votre état d’esprit en termes d’adaptation lorsque vous-même vous êtes arrivé à Maurice ?
Lorsque je suis arrivé à Maurice, les choses étaient plus simples. Nous avions un objectif clair, et l’île bénéficiait d’une image haut de gamme. Sur le plan international, les acteurs du secteur touristique n’étaient pas aussi nombreux qu’aujourd’hui. À l’époque, il n’existait pas de véritable filière de formation en tourisme en dehors de l’École Hôtelière. 

Après un bref passage à La Réunion à la suite d’un tour du monde, j’avais réellement envie de contribuer au développement du tourisme mauricien. J’étais prêt à faire de nombreuses concessions, notamment sur le plan salarial, pour avoir le privilège de participer à cette aventure. C’était une vraie aventure !

13 ans plus tard, en 2009, lorsque j’ai implanté Vatel à Maurice, j’avais la même envie : servir une industrie dont j’avais appris à connaître les rouages et les acteurs. Nous avons pu guider des centaines de jeunes vers des carrières passionnantes. Dès le départ, j’ai misé sur l’implication, la patience et l’excellence, des valeurs que je continue à transmettre aux étudiants parce que je crois dur comme fer que rien ne résiste à une bonne vision doublée d’un engagement sincère.

Le secteur touristique mauricien, incluant l’hôtellerie, a-t-il fait preuve de résilience durant la Covid-19 ? À quoi doit-on l’embellie constatée après la réouverture des frontières ?
Le secteur touristique mauricien, y compris l’hôtellerie, a indéniablement fait preuve de résilience durant la crise de la Covid-19. Les acteurs du secteur ont dû se réinventer en adoptant des protocoles sanitaires stricts et en ajustant leurs offres à une nouvelle réalité. Le gouvernement a également mis en place des mesures de soutien aux entreprises, incluant des aides financières et des programmes de relance.

Cette période a permis à l’industrie de se réinventer, de renforcer ses liens et de se préparer activement à la reprise. La modernisation des infrastructures, le renforcement de la formation des équipes et l’amélioration de l’offre touristique ont permis d’aborder la réouverture des frontières dans des conditions optimales. Cette préparation a favorisé une reprise rapide et une embellie significative. L’attractivité de Maurice, portée par ses plages idylliques, son hospitalité légendaire et son engagement en faveur du développement durable, a su rassurer et séduire à nouveau les voyageurs.

Je crois que l’embellie qui a suivi découle à la fois de la volonté des touristes de renouer avec le voyage et de la collaboration efficace entre les acteurs privés et publics. Ensemble, ils ont su restaurer l’image de la destination et dynamiser la demande en répondant aux attentes des voyageurs en matière de sécurité, de santé et d’expérience client.

Cette vague de départs (durant le confinement) a entraîné une baisse significative du niveau de compétence global des équipes»

Les besoins en formation ont-ils été pris en compte durant le confinement compte tenu des enjeux économiques et sociaux soulevés par la crise ?
Durant le confinement, pour être honnête, la priorité a surtout été de réduire les coûts, et la formation en a pâti. Par ailleurs, cette période singulière a vu de nombreux professionnels hautement qualifiés quitter l’industrie, parfois contraints, parfois par choix. Cette vague de départs a entraîné une baisse significative du niveau de compétence global des équipes. 

Ce n’est qu’avec la reprise, marquée par un rebond d’une intensité imprévue, que l’on a pris pleinement conscience de l’inadéquation qualitative et quantitative de la main-d’œuvre face aux exigences du secteur.
Il faut quand même souligner que durant cette période, le gouvernement, en collaboration avec les acteurs privés, a déployé plusieurs initiatives pour soutenir les travailleurs du secteur. Parmi elles, la formation à distance, la mise à jour des compétences et des programmes de reconversion destinés aux employés licenciés ou dont l’activité avait été fortement impactée. Une attention particulière a été accordée aux formations en gestion des protocoles sanitaires, en sécurité et en service à la clientèle, permettant ainsi aux professionnels du secteur de s’adapter aux nouvelles exigences du marché.

Certaines entreprises, en particulier dans le secteur touristique, ont également pris conscience de l’importance de renforcer la formation continue de leur personnel afin de relever des défis tels que la gestion de la motivation et du bien-être des employés durant cette période difficile. Ce soutien s’est révélé essentiel pour préserver une certaine résilience sociale au sein du secteur.

Le secteur hôtelier mauricien fait face à un manque de main-d’œuvre depuis ces dernières années. Quelles en sont les causes ?
Le manque de main-d’œuvre est un problème complexe causé par plusieurs facteurs. Les salaires insuffisants et les perspectives de promotion restreintes sont souvent cités comme des freins importants. Même si des efforts ont été faits pour améliorer les conditions salariales, l’écart avec d’autres secteurs, ou d’autres pays, reste un défi majeur. 

Par ailleurs, l’orientation professionnelle, la formation et l’accompagnement ne sont pas toujours suffisants pour faire comprendre qu’une évolution rapide est possible dans l’hôtellerie. Certains jeunes perçoivent – à tort – le secteur comme offrant peu d’opportunités de carrière. 

Au-delà de ces aspects, nous ne devons pas sous-estimer le problème structurel, à savoir l’inadéquation croissante entre les besoins de l’industrie et les compétences disponibles localement. Les besoins en main-d’œuvre augmentent et dans le même temps les ressources (population, diplômés, volontaires) diminuent. Mathématiquement, la main-d’œuvre se fait de plus en plus rare.

La décision de certains hôtels de mettre en pré-retraite des personnes formées durant le confinement était-elle mal inspirée ?
Il est facile de juger a posteriori, mais il faut se rappeler de l’incertitude dans laquelle l’industrie était plongée. Les acteurs du secteur ont dû s’adapter à cette situation sans précédent, sans aucune visibilité sur l’avenir. C’est cette incertitude quant à la durée de la crise qui a conduit à la mise en place de plans sociaux, et aucune entreprise ne s’est séparée de ses employés de gaieté de cœur. Il est essentiel de se rappeler que cette période a été marquée par une profonde angoisse, où la survie même des entreprises était en jeu.

Ceci dit, ce fut aussi la période de « la grande démission » dans notre secteur. Il n’y a pas eu que des licenciements. De nombreux employés ont eux-mêmes choisi de partir et se sont reconvertis avec succès, soit en changeant complètement de domaine, soit en développant leur propre activité.

Le manque de main-d’œuvre est un problème complexe causé par plusieurs facteurs. Les salaires insuffisants et les perspectives de promotion restreintes sont souvent cités comme des freins importants».

La présence d’une main-d’œuvre étrangère dans certains établissements hôteliers ne va pas sans poser certains défis. Comment favoriser une meilleure intégration de ces travailleurs avec les Mauriciens ?
Je crois qu’il faut d’abord rappeler que la présence de la main-d’œuvre étrangère est une tradition dans le secteur touristique à l’échelle mondiale. À Maurice, cela fait partie du paysage depuis l’essor du tourisme. Cependant, si par le passé cette main-d’œuvre étrangère concernait principalement les postes de direction, aujourd’hui, elle est également bien présente dans les métiers d’exécution. 

Plusieurs facteurs expliquent cette évolution : désintérêt des jeunes Mauriciens pour le secteur, manque d’attractivité, baisse démographique, etc. Face à ces défis, il est devenu incontournable de recourir à cette main-d’œuvre étrangère et c’est une bonne chose. Cela témoigne d’un dynamisme économique fort. Personnellement, je fais partie de ceux qui estiment que nous devrions être reconnaissants envers ces travailleurs, qui apportent une contribution précieuse au soutien de notre économie.

La véritable question réside dans la manière dont cette main-d’œuvre étrangère est accueillie, traitée et formée pour accomplir les tâches qui lui sont confiées. Il me semble que les situations varient considérablement d’un établissement à l’autre, ce qui rend urgent le besoin d’harmoniser les bonnes pratiques. Il est essentiel de garantir que ces employés bénéficient d’une formation adéquate, d’un traitement respectueux et d’un environnement de travail propice à l’épanouissement.

La réussite de leur intégration repose avant tout sur la qualité du recrutement. Celui-ci doit être rigoureux, centré sur des profils adaptés aux besoins spécifiques du secteur, mais qui, au-delà de leurs compétences techniques, doivent également faire preuve de capacité à s’adapter au contexte mauricien. 

Par ailleurs, il est crucial que les recruteurs respectent leurs engagements envers ces travailleurs, en leur garantissant un environnement de travail juste et équitable. Enfin, il est essentiel que les Mauriciens eux-mêmes fassent preuve de respect envers ces travailleurs, qui ne constituent pas une menace, mais bien une véritable opportunité pour soutenir et dynamiser notre économie.

Pour cela, la formation mutuelle des uns et des autres s’avère indispensable, et nous avons déjà formulé des propositions en ce sens. Cependant, ces initiatives n’ont pas encore été mises en place, et c’est là que naissent les tensions. Si elles sont bien gérées, les talents étrangers peuvent devenir un levier de croissance majeur pour le secteur. Ils ont la capacité d’apporter des solutions adaptées aux besoins spécifiques du secteur tout en contribuant à son dynamisme et à son développement durable.

Comment les salaires ont-ils évolué dans le secteur ?
Il faut dire que la situation salariale s’est nettement améliorée au cours des quatre dernières années, bien qu’il reste encore du chemin à faire. Les acteurs du secteur, notamment les hôtels, se sont engagés dans un processus de renforcement de leur « marque employeur », dans le but de rehausser l’image de l’industrie et d’attirer davantage de talents qualifiés. 

Actuellement, les « EVP » (Employee Value Proposition) sont revues avec une grande attention par tous les groupes, qui déploient beaucoup d’énergie pour séduire, attirer et retenir les talents à tous les niveaux. Cette compétition féroce entre recruteurs profite directement aux employés, en leur offrant de meilleures opportunités et conditions de travail.

Les bénéfices, d’ailleurs, ne se résument pas seulement au salaire. Des efforts considérables sont déployés pour améliorer le bien-être au travail. Il y a davantage de flexibilité, et à la rémunération s’ajoutent des avantages qui peuvent séduire davantage qu’auparavant.

L’intelligence artificielle s’installe petit à petit dans notre quotidien. Le secteur hôtelier mauricien s’y prépare-t-il ?
Bien sûr ! Les intelligences artificielles (IA) sont déjà omniprésentes dans le secteur du tourisme. De la réservation à la gestion de la relation client, elles se révèlent être de véritables alliées pour améliorer la performance et optimiser l’expérience client.

Il est essentiel de bien comprendre que les enjeux sont considérables. Les intelligences artificielles doivent non seulement faciliter une gestion plus efficace des réservations en ligne, mais aussi permettre une analyse plus pertinente des données clients. Elles contribuent également à l’amélioration des processus et de la productivité à tous les niveaux, afin de maintenir la compétitivité et la visibilité à l’échelle mondiale.

Le secteur n’a donc pas d’autre choix et tous les opérateurs devront s’adapter, sous une forme ou une autre. Toutefois, le coût d’investissement dans ces technologies peut être élevé, surtout pour les petits opérateurs, en fonction de l’IA qu’ils souhaitent intégrer.

Comment les hôtels mauriciens doivent-ils faire face à la « concurrence » des bateaux de croisière sur le marché des talents ?
La concurrence des bateaux de croisières n’est pas la seule à laquelle les hôtels sont confrontés. En réalité, tous les secteurs d’activité, en particulier les plus rémunérateurs et les moins contraignants, attirent les jeunes talents. C’est le cas depuis le début des années 2000, au moment où l’économie s’est considérablement diversifiée. Il y a ensuite la concurrence venant de l’étranger. Des pays comme Dubaï, la France et plus encore l’Australie et le Canada sont des « aspirateurs » de talents.  Il faut donc aborder le problème de manière globale.

Il est inutile de se battre contre les salaires offerts ailleurs, même s’il est essentiel de rémunérer dignement ceux qui travaillent dans l’industrie. Une approche possible consisterait à introduire des mécanismes comme des « service charges », un modèle déjà adopté par certains établissements, basé sur une pratique courante sur les croisières. 

Une rétribution basée sur les résultats serait aussi une option, ce qui permettrait de récompenser les employés en fonction de leur implication et de leur performance, tout en contribuant à une rémunération plus équitable. Ce type de mécanismes, qui reconnaît l’engagement et l’effort des employés, pourrait renforcer l’attractivité du secteur face à la concurrence, notamment celle des bateaux de croisière.

Il est également important de permettre aux employés de vivre des expériences enrichissantes, comme celles offertes par les bateaux de croisière, tout en leur offrant la possibilité de revenir. Travailler sur un bateau peut être une expérience unique qui permet aux employés d’acquérir de nouvelles compétences et d’enrichir leur parcours professionnel, tout en bénéficiant d’une rémunération souvent plus attrayante. Cette approche peut être bénéfique pour les hôtels, car elle crée un échange de compétences et d’expériences qui profitera à l’ensemble du secteur touristique.

Enfin, plutôt que de subir les recrutements sauvages réalisés par des intermédiaires, les hôtels devraient envisager de nouer des partenariats directs avec les compagnies de croisière. Ces partenariats pourraient permettre d’établir un cadre de recrutement plus structuré, sans dépendre de recruteurs externes, et favoriser une collaboration qui bénéficierait aux deux secteurs. 

En travaillant directement avec les croisiéristes, les hôtels pourraient offrir des opportunités de travail enrichissantes à leurs employés. Cela garantirait un haut niveau de qualité et de professionnalisme dans les deux secteurs, tout en assurant des flux entrants et sortants réguliers, mais maîtrisés.

Faudrait-il davantage d’écoles hôtelières à Maurice ?
D’après moi, le nombre d’écoles est suffisant, et les effectifs insuffisants qui fréquentent ces établissements aujourd’hui en sont la preuve. Tant qu’aucune initiative n’est prise pour attirer davantage de jeunes vers les métiers du tourisme, augmenter le nombre d’écoles de formation n’aura que peu d’impact. Il est essentiel de susciter d’abord l’intérêt des jeunes pour ce secteur avant d’envisager une expansion du nombre d’établissements.

Cependant, je pense également que ces établissements pourraient mieux répondre aux besoins des employeurs. Cela nécessiterait une collaboration étroite entre les écoles et les entreprises, afin de mieux cerner et satisfaire les exigences du marché. Une telle synergie permettrait de former des professionnels véritablement adaptés aux attentes des employeurs.

Je crois aussi que les employeurs devraient jouer un rôle plus actif dans le processus de formation, en contribuant à l’élaboration des programmes et en s’impliquant de manière plus directe dans la formation des jeunes. Pour réduire le décalage entre leurs besoins et l’offre de formation existante, certains groupes ont créé leurs propres centres de formation. Certains d’entre eux se sont même associés à des marques reconnues pour renforcer leur expertise.

L’avenir nous dira si cette démarche est pertinente. Cependant, de manière plus pragmatique, je suis convaincu qu’une utilisation optimale des écoles existantes serait plus efficace et bénéfique à court terme.
Enfin, pour conclure, et dans l’intérêt même du secteur de la formation et du tourisme, notamment avec le projet de créer un pôle d’attractivité à travers le Knowledge Hub, je pense qu’il est crucial de garantir que les centres de formation opèrent dans la légalité et que les formations qu’ils proposent soient dûment accréditées. 

 

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !