Le discours-programme, couvrant plusieurs secteurs clés, suscite des réactions variées au sein de la société civile, oscillant entre satisfaction, attentes et préoccupations.
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Père Gérard Mongelard : « Il faut un soutien structurel dans les programmes de logement social »
Le père Gérard Mongelard s’attarde sur la question de la pauvreté et du logement social, qui occupe une place centrale dans le discours-programme présenté par le président de la République, Dharam Gokhool, le vendredi 24 janvier. Selon lui, ce discours marque une volonté claire d’aborder la problématique du logement social, mais il souligne qu’il ne faut pas se limiter à une approche en silo.
« La question du logement social ne doit pas être traitée en isolement », affirme-t-il, insistant sur la nécessité d’une action collective. Il plaide pour une collaboration étroite entre tous les acteurs, y compris les autorités, afin d’assurer l’efficacité des politiques publiques dans ce domaine.
En évoquant l’expérience passée de son mouvement, Drwa a enn lakaz, il rappelle que son collectif a eu l’occasion de travailler avec la National Housing Development Company (NHDC), ce qui a donné des résultats positifs. « Nous avons pu collaborer avec la NHDC, et cela a porté ses fruits », précise le père Gérard Mongelard.
Cependant, il estime qu’il est indispensable de compléter le volet logement par un accompagnement global. « Il faut un soutien structurel dans les programmes de logement social, notamment pour lutter contre les fléaux de la drogue et attaquer les problèmes à la racine », conclut-il.
Danny Philippe, travailleur social : « Cela faisait longtemps qu’on plaidait pour une agence antidrogue »
« Nous accueillons favorablement la création de ce Select Committee qui permettra aux travailleurs sociaux et ONG d’interagir avec les parlementaires sur la question de la drogue », déclare Danny Philippe, chargé de prévention pour l’ONG Développement Rassemblement Information et Prévention (Drip). S’exprimant également sur l’annonce de la création d’une National Drug Policy, Monitoring and Coordination Agency, il affirme soutenir cette proposition « car cela faisait longtemps qu’on plaidait pour une agence antidrogue ».
Cependant, il insiste sur l’importance, pour cette agence, d’avoir une certaine autonomie, financière notamment. « Cette agence doit être dotée de son propre financement afin de pouvoir fonctionner proprement », précise-t-il. Enfin, Danny Philippe espère que cette agence ouvrira la voie à de nouvelles politiques, telles que la légalisation du cannabis.
Faizal Jeerooburkhan, observateur politique : « Le programme trace une direction à suivre »
Pour Faizal Jeerooburkhan, un des porte-parole de Democracy Watch, le discours-programme présenté reste largement théorique. « On peut faire de nombreuses annonces, mais ce qui est réellement pertinent, c’est que le programme trace une direction à suivre », déclare-t-il.
Toutefois, il met en garde contre l’absence de garanties quant à une mise en œuvre adéquate. « Il n’y a rien qui garantit que cela sera appliqué comme il faut », ajoute-t-il. Enfin, il souligne l’importance de la mention de la Freedom of Information Act dans le programme. « Il est très important que cela soit annoncé dans le programme, car dans le passé, d’autres gouvernants l’ont eux aussi promis. Attendons de voir comment l’actuel gouvernement entend assurer l’introduction d’une telle loi », commente-t-il.
Jayen Chellum, secrétaire général de l’ACIM : « Les mesures manquent de dispositifs concrets pour sanctionner les abus »
« Le gouvernement affiche de grandes ambitions dans divers secteurs stratégiques, ce qui transparaît dans le discours-programme. Cela traduit une volonté de bien faire pour améliorer les conditions de vie des Mauriciens, et nourrit l’espoir d’un avenir meilleur », analyse Jayen Chellum, suivant la présentation du discours-programme, vendredi.
Cependant, pour lui, des interrogations subsistent. « Quelles ressources humaines et financières seront mobilisées pour concrétiser ces projets ? Ces ressources seront-elles à la hauteur des ambitions affichées ? » souhaite-t-il savoir.
Pour le secrétaire général de l’Acim, les institutions ont subi une dévalorisation progressive. « Disposons-nous de suffisamment de ressources humaines compétentes et impartiales pour permettre au gouvernement de mener à bien ces initiatives ? Les analyses nécessaires ont-elles été effectuées afin d’éviter toute manipulation ou erreur de jugement ? » demande-t-il encore.
Jayen Chellum constate, par ailleurs, que « les mesures annoncées manquent de dispositifs concrets pour sanctionner ceux qui abusent de leur position de pouvoir ». Il rappelle que « le gouvernement est attendu au tournant : il doit passer des promesses aux actes. Pour l’instant, il ne s’agit que d’effets d’annonce. Qu’en sera-t-il de leur mise en œuvre ? ».
Pour lui, le moment semble idéal pour afficher des intentions claires « avant que les différents lobbys n’essaient d’influencer les décisions au sein de l’alliance ».
Reeaz Chuttoo, de la CTSP : « Une déclaration pleine de bonnes intentions, mais… »
« Lors de la présentation du discours-programme, le président Gokhool a livré une synthèse aux accents solennels, affirmant : ‘I have just presented sets out the will of Government to translate into action, over its five-year mandate, the wish of the electorate for shaping a new destiny for our country.’ Une déclaration pleine de bonnes intentions, certes, mais sans aucune portée juridique », commente Reeaz Chuttoo, de la Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP). Pour le syndicaliste, ce discours, bien que soigneusement calibré, « reste dans le registre de l’intention politique, loin d’être un contrat contraignant envers la nation ».
Ainsi, selon lui, la société civile se doit désormais de jouer son rôle de vigie démocratique. « Rappeler aux dirigeants leurs promesses n’est pas seulement un acte citoyen : c’est une exigence pour consolider la démocratie. Dans un contexte où le gouvernement a remporté les élections par un écrasant 60-0, l’absence d’opposition parlementaire renforce la responsabilité des contre-pouvoirs. Cette surveillance doit s’amorcer sans délai, sous peine de voir les engagements de campagne relégués aux oubliettes », insiste-t-il.
D’autre part, il s’interroge sur « certaines omissions du discours-programme ». Parmi elles, l’absence de mention sur la gratuité des transports publics ou sur l’accès universel à Internet, deux promesses phares de la campagne électorale, rappelle Reeaz Chuttoo. « Ces mesures, qui avaient capté l’attention de l’électorat, brillent par leur absence. Espérons que le gouvernement saura tenir parole et intégrer ces projets dans son agenda, sous peine de voir l’enthousiasme populaire se muer en désillusion », dit-il.
(voir aussi Entretien
en pages 6-7)
Olivier Précieux, observateur politique : « Le pays s’apprêterait à retoucher son texte fondateur »
Pour l’observateur politique Olivier Précieux, la mise en place d’une commission pour revisiter certaines clauses fondamentales de la Constitution est « plus fondamental que toutes les autres mesures. C’est la mère des mesures ». Il en parle comme d’un « tournant historique », un projet « d’une portée symbolique et politique majeure, surpassant toutes les promesses habituelles des programmes électoraux ».
Cependant, dit-il, « cette ambition constitutionnelle pourrait se heurter à une inertie palpable. Le gouvernement, malgré ses efforts pour bien faire, semble avancer à un rythme trop tranquille. » De plus, note-t-il, « l’opposition, par son silence, ne joue pas son rôle de catalyseur politique, laissant planer un risque : que cette lenteur ouvre des brèches dans lesquelles elle pourrait s’engouffrer ».
Pour autant, ajoute Olivier Précieux, « la pression populaire, combinée à l’ampleur des attentes, pourrait être le moteur nécessaire pour transformer les promesses en actes ».
Olivier Bancoult, président du Groupe Réfugiés Chagos : « Donner la chance à la communauté chagossienne de s’exprimer »
Pour le leader du Groupe Réfugiés Chagos (GRC), « le gouvernement affiche une volonté claire. Ils doivent deliver the goods. Ils ont la capacité de bien faire ». D’ailleurs, fait remarquer Olivier Bancoult, sur le dossier Chagos, l’exécutif mauricien a marqué des points en réaffirmant son engagement pour la souveraineté nationale sur cet archipel stratégique. « Le soutien aux droits des Chagossiens est également mis en avant, avec une promesse de veiller à leur respect. Je salue le move du gouvernement mauricien », affirme-t-il.
Il évoque un symbole fort, « mais qui devra se traduire par des actions concrètes ». Pour sa part, Olivier Bancoult dit n’avoir « aucune inquiétude » à ce propos.
Toutefois, selon lui, un enjeu demeure : celui de ne pas négliger les descendants des Chagossiens établis hors du territoire mauricien. « Leur situation complexe appelle une attention particulière, et la prise en compte de leurs droits devra s’inscrire dans une stratégie globale pour éviter les frustrations au sein de la diaspora », dit-il.
Et Olivier Bancoult de conclure : « La priorité est claire : il faut honorer les engagements. Le gouvernement doit non seulement tenir parole, mais également garantir une communication inclusive, permettant à la communauté chagossienne de faire entendre sa voix. Il faut donner la chance à la communauté chagossienne de s’exprimer. »
Aditi Teelock, activiste écologiste : « La nécessité d’avoir des stratégies intégrées, cohérentes et holistiques est reconnue »
L’activiste écologiste Aditi Teelock salue les nombreux aspects positifs du discours-programme, estimant qu’ils répondent en grande partie aux attentes de la Platform Moris Lanvironnman (PML) : « Les changements climatiques, l’inscription des droits de la nature, ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels dans le cadre législatif, la protection des zones écologiquement sensibles, la sécurité alimentaire, et une prise en compte de l’eau, décrite à juste titre comme profondément impactée par les changements climatiques, figurent parmi les grands axes cités. » La nécessité d’avoir des stratégies intégrées, cohérentes et holistiques est reconnue, ajoute-t-elle. Toutefois, elle insiste sur l’importance d’impliquer la société civile, y compris les ONG, dans l’élaboration des politiques et stratégies sectorielles.
Aditi Teelock se réjouit aussi de l’introduction prochaine d’une Freedom of Information Act, du Class Action (recours collectif) et du Public Interest Litigation dans le cadre législatif : « La Freedom of Information Act permettra enfin d’assurer une transparence après des années d’opacité. Le recours collectif offrira la possibilité à un groupe de personnes affectées par une décision de porter une action en justice, contrairement à la situation actuelle où seules des entités légales ou des individus peuvent le faire. Enfin, le Public Interest Litigation donnera à une personne le droit d’intenter une action en justice pour défendre les droits fondamentaux d’un groupe. »
Jocelyn Chan Low, observateur politique : « La véritable épreuve sera celle de l’exécution »
Le discours-programme présenté par le gouvernement se distingue par son ambition et sa cohérence, estime l’historien et observateur politique Jocelyn Chan Low. « C’est un très bon discours, notamment en termes d’institutions. Les intentions y sont clairement affichées, et l’essentiel des promesses électorales figure dans cette feuille de route », observe-t-il.
Toutefois, tempère-t-il, « si le programme impressionne sur le papier, la véritable épreuve sera celle de l’exécution ». D’ailleurs, pour lui, un doute persiste : « La crainte qu’un bon nombre de mesures ne soient pas mises en œuvre est bien réelle, d’autant plus que les précédents gouvernements n’ont pas toujours su transformer les intentions en résultats. »
L’impatience est palpable, poursuit Jocelyn Chan Low. « La population attend une réalisation accélérée des mesures promises. L’exécutif devra rapidement poser des actions concrètes, prouvant ainsi qu’il est capable de transformer ses paroles en actes, et d’honorer l’ampleur de ses engagements. »
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