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Ranjeet Jokhoo : «Il y a quelqu’un qui soutire cette équipe de tortionnaires»

Ranjeet Jokhoo, ancien inspecteur de police qui a travaillé au sein de la Major Crime Investigation Team, n’a pas la langue dans sa poche. Il dit tout haut ce que nombre de policiers pensent tout bas. Il considère que la torture de suspects par une équipe de la Criminal Investigation Division est la conséquence de la dérive de ces policiers. Il révèle qu’un haut gradé, qui avait tenté de mettre au pas cette équipe, avait été transféré immédiatement. 

Lundi sur Radio Plus, commentant les vidéos de torture de suspects qui circulent sur les réseaux sociaux, vous avez déclaré : « Ban metod koumsa, mo pa finn trouve sa ». Vous étiez sérieux ?
Oui. Je ne plaisante pas. Durant toute ma carrière de policier qui s’étend sur plus de quatre décennies et surtout pendant que j’étais affecté à la CID (Criminal Investigation Division) et à la MCIT (Major Crime Investigation Team), je n’ai été témoin d’aucun actes de torture. Quand j’ai visionné  ces vidéos, je n’en croyais pas mes yeux. Je n’arrivais pas à croire que des policiers aient pu tomber aussi bas. 

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Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse pour faire ressortir qu’il ne faut pas généraliser. Tous les policiers ne sont pas des brebis galeuses. La grosse majorité des agents de l’ordre sont des gens consciencieux, qui font leur travail correctement.

Je n’ai jamais assisté à des actes de violence lors d’un interrogatoire"

Sur les images; on voit qu’ils utilisent des tasers ? N’est-ce pas une arme dangereuse dont l’utilisation est interdite au sein de la force policière ? Peut-on alors déduire que pour certains policiers tout est permis ?
Je ne dirais pas pour certains, mais pour quelques-uns. Ceux-là croient qu’ils sont intouchables et qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent, même aller à l’encontre des Standing Orders de la force policière, pour supposément apporter des résultats.

Je souhaite que l’enquête sur les actes de torture ne passe pas à côté de l’utilisation des tasers. Il faut savoir où ils s’en sont procuré. Ils doivent être poursuivis pour possession et utilisation d’armes offensives et illégales. La force policière va ainsi donner un signal très fort à ceux qui ont tendance à croire que tout est permis pour cuisiner un suspect.

Que vos lecteurs sachent que la force policière n’équipe son effectif que de matraques, de longs bâtons, de gaz, de Federal Streamers, de menottes, de fusils, de pistolets et de revolvers. Point barre ! D’ailleurs, il y a des critères spécifiques pour leur utilisation. 

Vous dites n’avoir jamais été témoin de tels actes pour arracher des aveux. Alors, quelles sont les méthodes généralement utilisées ?
Il y a deux méthodes qui sont couramment utilisées. D’une part, on jouer sur le côté sentimental, affectif et humain. À titre d’exemple, on mène le  suspect à comprendre qu’il a tout à perdre s’il continue à nier un acte qu’il a réellement commis. D’autre part, on exerce la pression pour qu’il crache le gros morceau.

Cela sous-entend-il l’utilisation de la violence ?
Non. Je vous parle d’une fermeté dans le ton et le body language. Les limiers de la CID et les éléments de l’Anti Drug and Smuggling Unit (Adsu) n’arrêtent pas une personne au hasard. Cela se fait sur la base d’informations fiables, dont le témoignage des voisins ou des proches. Très souvent, les suspects commencent par mentir en croyant pouvoir nous dérouter. Lorsqu’on les assomme avec des éléments suspects dans leur récit, la majorité finit par craquer sous cette pression. Bien souvan zot santi zot kwinse ou zot ena remor ek zot lizie koumans ranpli avek larm. À ce moment précis, on accentue la pression. Lerla, larm-la koule. Ils se mettent à table et dévoilent tout. Il n’y a pas lieu d’utiliser la violence et encore moins la torture.

La force policière n’équipe son effectif que de matraques, de longs bâtons, de gaz, de Federal Streamers, de menottes, de fusils, de pistolets et de revolvers. Point barre !"

Ça, c’est un contexte idéal. Qu’advient-il lorsque le suspect reste scotché sur sa position ? N’est-ce pas là où les éléments de la CID ont recours à la violence ?
À ma connaissance, non…

Quoi ?
Pour vous dire franchement, je n’ai jamais assisté à des actes de violence lors d’un interrogatoire, mais il ne faut pas se voiler la face... O plizale, ena kapav bouskil dimounn-la, me pa servi violens.

N’avez-vous jamais, au grand jamais, été témoin de brutalité lors d’interrogatoires alors que vous étiez l’assistant du surintendant Prem Raddhoa. Celui-là même dont l’équipe était réputée pour utiliser les moyens forts afin de tirer les vers du nez des suspects ?
Prem Raddhoa n’avait pas recours à la violence. C’est un mythe...

Franchement, vous nous surprenez…
Mo redir ou, Raddhoa pa ti lev lame lor personn. Li pa ti enn dimounn violan. Me saki nou finn tande, seki ena dimounn dan so lekip Curepipe ki ti ena lame les. They acted under his umbrella. En tant que chef d’équipe, il était tenu responsable des torts et des fautes de ses subalternes. Quand Prem Raddhoa a été nommé à la tête de la MCIT de Port-Louis, une équipe dont je faisais partie, je n’ai pas été témoin de violence lors des interrogatoires.

Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a eu plusieurs dénonciations contre des membres de cette équipe. Vous conviendrez qu’il n’y a pas de fumée sans feu...
C’était principalement contre l’équipe de Curepipe.

Vous dites que vous « zwe ek santiman » des suspects pour obtenir des confessions. Est-ce que cela fonctionne aussi avec les plus coriaces ?
Les résultats d’une enquête ne s’obtiennent pas uniquement sur une confession. C’est un plus. Une confession ne boucle pas une enquête. Il faut la reconstitution des faits, recueillir les « exhibits » et les preuves scientifiques, entre autres. Il y a plusieurs suspects qui ont été condamnés par la cour bien qu’ils aient nié leur participation à un délit.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, l’utilisation de la torture ?
Principalement, un manque de supervision. Comme je vous l’ai dit, quelques éléments de la CID font la pluie et le beau temps parce qu’ils ont des connexions politiques. Un des tortionnaires qui paraît dans les vidéos en circulation avait fait transférer un haut gradé. Et, dites-vous bien que cela c’est fait à une heure du matin. Tout simplement parce que ce haut gradé, qui faisait des « night check », avait tenté de mettre au pas cette équipe en raison ses méthodes inacceptables. Pour le salut de la force policière et au nom de la transparence, je souhaite que la lumière soit faite sur ce cas d’autant plus qu’il est maintenant connu que cette équipe pratique la torture. Il est important de savoir qui avait ordonné ce transfert punitif, sur la base de quoi et à la requête de qui ? Enn sa bann torsyoner-la ti pe met enn ta bag ek gro lasenn lor kouma sef mafia. Ti mank zis pou li met ledan platinn. Finn tro toler li.

Enn sa bann torsyoner-la ti pe met enn ta bag ek gro lasenn lor kouma sef mafia. Ti mank zis pou li met ledan platinn. Finn tro toler li."

Ce que vous dites est très grave…
Effectivement, c’est très grave, car il paraît qu’en haut lieu, il y a quelqu’un qui soutire cette équipe de tortionnaires. Voilà le résultat. L’image de la force policière est ternie.

Ce genre de laisser-aller gangrène la force policière. Depuis quelque temps, il n’y a plus de réelle volonté de faire respecter la discipline. Dans le passé, pour le moindre écart, la Public Service Commission (PSC) sévissait. La Disciplined Forces Service Commission (DFSC) n’avait pas encore vu le jour. Pour quelques écarts mineurs à la discipline, des policiers avaient été mis à pied dans l’intérêt public. Aujourd’hui, aucune action n’est prise même contre les serial defaulters. Pour la simple et bonne raison que la majorité d’entre eux sont des protégés politiques. Pire, ils reçoivent des promotions.

Quelles sont les autres principales faiblesses au niveau de la CID ?
Il faut recommencer avec le monthly lecture qui permet de passer en revue les manquements et les critiques relevés surtout au niveau de la Cour. On évite ainsi de répéter les mêmes erreurs. Il faut aussi mettre davantage l’accent sur les droits de l’homme qui est un module de la formation à la Training School afin que chaque officier connaisse la ligne de démarcation entre leurs droits et ceux des suspects.

Cela vous surprend-il que sur les réseaux sociaux, certaines personnes dont des proches ont été victimes d’agression ou de meurtre justifient la torture des suspects pour arracher  des aveux ?
On ne peut pas justifier la torture, et cela, peu importe le cas de figure. C’est dangereux, car on entrera dans une spirale infernale. Maurice est avant tout un État de droit. Je comprends, cependant, une telle réaction. Ces gens sont révoltés de voir que l’on défend les droits des suspects, alors que parfois on ne fait pas grand cas des victimes d’agression et de leurs droits à la justice. Réalisez-vous comment cela doit être horrible pour un homme de voir des bandits s’introduire dans sa maison la nuit pour voler et que ces derniers prennent la liberté de violer sa femme sous ses yeux. C’est sûr que les gens qui ont vécu un tel martyre n’ont qu’un souhait : que ces bandits soient, à leur tour, torturés. 

Je souhaite faire ressortir qu’il est regrettable que bien qu’il y ait maintenant des conventions contre la violence et la torture, la police, même des pays civilisés comme les États-Unis et la France, entre autres, continuent de les transgresser. C’est inquiétant ! L’heure est à un relifting de la force policière.

Comment ?
Il faut redorer le blason de la police et restaurer la confiance de la population. C’est un fait incontestable que la majorité des Mauriciens sont des « law abiding citizens » et que la majorité des policiers sont des officiers intègres. Le combat est contre une poignée des deux côtés. Ce combat ne peut être gagné qu’en mettant un frein à l’ingérence politique qui empoisonne la force policière. Il est inacceptable que n’importe quel parlementaire ou pire, n’importe quel agent politique, puisse se permettre de faire pression sur des policiers. Le salut de la force policière est l’indépendance, l’équité et la méritocratie. 

 

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