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Rajen Narsinghen : «Il faut responsabiliser les ministres et fonctionnaires»

Rajen Narsinghen, juriste. Rajen Narsinghen, juriste.
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Navin Ramgolam a parlé de « négligence criminelle » du gouvernement, et notamment du Premier ministre, dans le sillage des inondations du lundi 15 janvier 2024. Une notion qui n’existe toutefois pas dans le cadre juridique mauricien. Pour le juriste Rajen Narsinghen, il faudrait l’introduire.

L’alliance de l’opposition a accusé le gouvernement de « négligence criminelle », à la suite des inondations provoquées par le passage du cyclone Belal. Cette accusation, formulée contre le Premier ministre Pravind Jugnauth, soulève des questions sur la possibilité de poursuites. Le juriste Rajen Narsinghen apporte son éclairage sur la notion de ce délit.

Les inondations du lundi  15 janvier 2024 ont soulevé des questions concernant la  « négligence criminelle ».
Les inondations du lundi 15 janvier 2024 ont soulevé des questions concernant la « négligence criminelle ».

D’ores et déjà, il faut savoir que la négligence criminelle diffère de la négligence civile, précise d’emblée l’ancien Senior Lecturer à l’université de Maurice. « Alors que la négligence civile requiert une preuve à 51 %, la négligence criminelle exige une preuve au-delà de tout doute raisonnable, c’est-à-dire à 99,9 % », explique-t-il. En Angleterre, ajoute-t-il, la négligence criminelle implique de démontrer une décision prise de manière téméraire, imprudente, ou insouciante, sans prendre les précautions de base.

Cadre juridique

Maurice ne dispose pas de dispositions spécifiques concernant la négligence criminelle, poursuit Rajen Narsinghen. À titre de comparaison, dans la législation britannique, la négligence criminelle peut entraîner des accusations criminelles en cas de mépris manifeste pour la sécurité d’autrui. Les sanctions varient en fonction de la gravité de l’infraction, allant des amendes aux peines d’emprisonnement.

Le juriste mentionne la possibilité, à Maurice, de poursuivre pour homicide involontaire par imprudence ou en vertu de l’article 39A du Code pénal, qui traite du délit de « culpable omission ». Cependant, ces dispositions sont plutôt « floues et dépendent largement des preuves disponibles », souligne-t-il.

En parlant du délit de non-assistance à une personne en danger, Rajen Narsinghen rappelle que selon la loi, c’est un « crime » ou un « misdemeanour ». « Comment cela s’applique-t-il à un Premier ministre, qui a failli à donner les directives au commissaire de police pour déployer l’artillerie nécessaire, les canaux de sauvetage et d’autres véhicules tactiques, ou encore la Special Mobile Force (SMF), alors que la population était en danger ? Il faudra éventuellement voir ce que la cour aura à dire », dit-il.  

Inondation Belal

À propos des inondations du lundi 15 janvier 2024, Rajen Narsinghen estime qu’il a pu y avoir des « torts partagés entre la station météo de Vacoas, les fonctionnaires ou encore le chef du gouvernement ». Il n’écarte pas la possibilité qu’une « décision collective » soit à l’origine du drame.

Justement, comment établir la négligence criminelle lorsqu’il s’agit de catastrophes naturelles comme un cyclone ou une flash flood ? La défense classique invoquée dans ce genre de cas est la force majeure, avance le juriste. En droit, la force majeure se rapporte à un événement qui est de nature « imprévisible, insurmontable et indépendant du contrôle de la personne concernée ».

Si la personne responsable des événements a suivi à la lettre le protocole d’urgence et qu’il y a eu quand même des morts lors de ces catastrophes, on ne pourra pas la blâmer. Cependant, fait-il comprendre, cela dépendra d’une question de preuve. La cour, à titre d’exemple, pourra auditionner les membres du National Emergency Operations Command (NEOC) et tous ceux qui sont responsables. On saura alors ce qui a poussé le chef du gouvernement à prendre certaines décisions, le lundi 15 janvier.

Faut-il introduire le délit de négligence criminelle à Maurice ? « Définitivement », répond Rajen Narsinghen. Observant des lacunes dans nos législations, il propose d’introduire la notion de négligence criminelle « pour responsabiliser les fonctionnaires et ministres ». Il insiste toutefois sur la nécessité d’une approche judicieuse afin d’éviter des poursuites injustifiées. « Les responsabiliser davantage ne veut pas dire qu’il faut les poursuivre à tort ou à travers sur le plan criminel. »

Malgré tout, Rajen Narsinghen reste convaincu : il faut introduire la négligence criminelle dans nos lois pour qu’à l’avenir, certaines personnes soient plus rigoureuses dans leur approche.


Asraf NoormahomedPrivate prosecution contre le PM et le ministre Husnoo

Une première action a été portée en justice, le 19 janvier 2024, après les inondations survenues dans le sillage du passage du cyclone Belal. Asraf Noormahomed, un charpentier de Morcellement Guibies, à Pailles, frère du défunt Anwar Rehaz Noormahomed, a déposé une poursuite privée (private prosecution) contre le Premier ministre (PM) Pravind Jugnauth et le vice-Premier ministre (VPM) et ministre des Collectivités locales et de la gestion des risques, Anwar Husnoo, devant le tribunal de Port-Louis.

Asraf Noormahomed accuse le PM et le VPM de « culpable omission ». Il leur reproche d’avoir failli à prendre les décisions qui s’imposent face à la catastrophe ayant conduit au décès tragique d’Anwar Rehaz Noormahomed. Il invoque l’échec du gouvernement à émettre des avertissements et des plans d’évacuation en temps opportun, malgré l’approche imminente du cyclone.

Il souligne que le ministre Anwar Husnoo a concédé qu’il y a eu des lacunes dans la gestion de la crise lors d’une interview télévisée. Il demande au tribunal de placer les deux hauts officiels de l’État sous contrôle judiciaire. L’affaire sera appelée le 13 février 2024 devant le tribunal.

Asraf Noormahomed a retenu les services de Mes Sanjeev Teelukdharry et Pazhany Rangasamy, avoué.

 

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