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Raj Rutah : « Il est nécessaire de réorganiser la gouvernance de base dans les institutions publiques »

« L’égal d’un Chartered Director », comme il se définit, mais surtout des mots qui reviennent tout au long de ses propos : équité, transparence et responsabilité. Raj Rutah est le premier Mauricien au monde à détenir le statut de Chartered Director. Au moment où son pays natal passe par une période sans précédente d’enquêtes au sommet de l’État, ce citoyen britannique d’origine mauricienne, décline dans l’interview qui suit, une liste de critères indispensables à la vérification de la bonne gouvernance dans tous les secteurs de la société.

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Vous êtes un FloD, Global Certified Chartered Director de même que le premier Mauricien à se voir décerner le titre d’ambassadeur pour cette compétence. Quel est le parcours que vous avez accompli pour valoir une telle distinction ? 

J’occupe deux postes d’ambassadeur pour l’Institut britannique des administrateurs (IOD) pour les administrateurs agréés et pour les secteurs publics. Mon rôle est de défendre l’un des meilleurs codes de conduite au monde pour les administrateurs afin d’émuler le concept « Better Directors for a Better World » (de meilleurs administrateurs pour un monde meilleur).

Ma licence d’administrateur agréé m’apporte l’expertise nécessaire pour influencer des décisions stratégiques majeures et offrir un jugement indépendant. Elle reflète une grande aptitude, une responsabilité exemplaire et des connaissances approfondies. Cette certification atteste également de ma compétence professionnelle et de mon intégrité. J’ai le devoir professionnel de maintenir ma licence de directeur agréé avec les normes les plus élevées et de continuer à promouvoir la bonne gouvernance. Je suis aussi appelé à faire preuve d’un leadership exemplaire, tout en veillant à ce que les entreprises et les organisations soient durables. L’obtention de ce statut au cours de ma carrière a été unique. Après avoir obtenu mon premier diplôme, ma licence et ma maîtrise, j’ai assumé divers rôles de direction dans des organisations complexes. Je voulais relever un nouveau défi, car le monde qui nous entoure est en perpétuelle évolution. J’ai donc obtenu le statut de Chartered Director après avoir passé plusieurs examens à différents stades et démontré des compétences avancées au niveau du conseil d’administration à l’échelle mondiale.

La bonne gouvernance dans le secteur public ou privé conduit à un gouvernement et à des entreprises plus justes, plus efficaces et plus réactifs, ce qui améliore directement la qualité de vie"

Le fait d’être le premier Mauricien au monde à détenir ce statut au Royaume-Uni n’était pas prévu. Toutefois, lorsque j’en ai pris conscience au cours du processus, cela m’a encore plus motivé pour obtenir cette récompense.

Pourquoi avez-vous choisi d’élire domicile en Angleterre à la fin de vos études ?

Après mon premier diplôme, j’ai accepté un rôle clinique, et ma carrière a évolué à partir de là, passant de la ligne de front à des rôles de direction et de conseil d’administration. Entre ces différents rôles, j’ai également eu l’occasion de travailler pour le Foreign and Commonwealth Office (FCO) du Royaume-Uni comme responsable des services généraux pour le centre de l’Océan Indien. De plus, j’ai travaillé à l’ancien hôpital Apollo Bramwell en tant que directeur de l’exploitation, directeur indépendant, directeur et consultant au Royaume-Uni.

L’application des normes donne confiance aux citoyens ordinaires et constitue une référence internationale qui contribue à réduire les inégalités et à promouvoir la cohésion sociale"

Quel est le statut d’un Certified Chartered Director en Angleterre et vous-même, comme étranger êtes-vous reconnu au même titre que les nationaux ?

Il s’agit d’un statut très prestigieux, le seul au monde à être régi par une charte royale, qui témoigne de l’expertise d’une personne en matière de gouvernance, de leadership stratégique et de meilleures pratiques dans les conseils d’administration. En Angleterre et dans le monde entier, ce titre inspire le respect et constitue une marque de compétence et de professionnalisme pour les membres des conseils d’administration et les dirigeants d’entreprise. Comme j’ai obtenu ce statut, je suis fier d’être reconnu d’égal à égal en tant que Chartered Director.

Depuis quelle année, l’Angleterre a légiféré en faveur de l’établissement des normes et les standards dans les entreprises publiques et privées, ainsi que dans le quotidien. Comment les Anglais eux-mêmes ont-ils tous adhéré à ces règlementations ?

En Angleterre, l’histoire a commencé avec la loi sur les sociétés de 1844, qui a marqué le début d’une réglementation formelle des entreprises, jetant les bases de la transparence et de la responsabilité. La loi de 1856 sur les sociétés par actions (Joint Stock Companies Act 1856) a ensuite introduit le concept de responsabilité limitée, suivie par la loi de 2006 sur les sociétés (Companies Act 2006). Celle-ci consolide et modernise en profondeur le droit des sociétés au Royaume-Uni. Elle définit les obligations des administrateurs, en veillant au respect des lois et des réglementations.

Le code britannique de gouvernance d’entreprise a été publié pour la première fois en 1992. Il est conçu pour promouvoir des normes de gouvernance élevées dans les entreprises cotées à la Bourse de Londres. Il insiste sur les principes de responsabilité, de transparence et de direction efficace du conseil d’administration. L’approche « comply or explain » assure la flexibilité tout en encourageant l’adoption des meilleures pratiques.

Divers autres organismes de réglementation, tels que la Financial Conduct Authority (FCA), et des textes législatifs, tels que l’Equality Act 2010, fournissent un cadre unifié pour lutter contre la discrimination sur le lieu de travail et dans la société.

L’établissement de normes et de standards en Angleterre repose sur une base juridique et culturelle profondément enracinée.

De quelle manière, le simple citoyen bénéficie-t-il de l’existence des normes relatives à la bonne gouvernance dans le secteur public ?

Les avantages de la bonne gouvernance ne sont pas mesurables, car elle jette les bases d’une société où les fonctionnaires et tous les employés, à tous les niveaux, ont le devoir de rendre des comptes et la responsabilité d’améliorer les résultats pour la population. Cette pratique garantit également que les fonds publics sont utilisés efficacement, en réduisant la corruption, les malversations et l’utilisation abusive des ressources publiques. L’application des normes donne confiance aux citoyens ordinaires et constitue une référence internationale qui contribue à réduire les inégalités et à promouvoir la cohésion sociale.

La bonne gouvernance dans le secteur public ou privé conduit à un gouvernement et à des entreprises plus justes, plus efficaces et plus réactifs, ce qui améliore directement la qualité de vie. Plus important encore, elle encourage une gestion fiscale prudente et un développement durable qui créent une économie stable et une prospérité générale qui profite aux citoyens ordinaires, car sans croissance économique stable, c’est le pays tout entier qui souffre.

Quel que soit le gouvernement au pouvoir en Angleterre – Travailliste ou Conservateur – est-ce que les règles de bonne gouvernance et de redevabilité sont-elles observées par les partis politiques ?

Selon mon expérience, l’Angleterre est plus rigoureusement surveillée que de nombreux autres pays grâce à des cadres de gouvernance et des organismes de surveillance indépendants. Ces structures visent à détecter les manquements aux normes, notamment en cas d’absence de déclaration précoce de conflits d’intérêts de la part des politiciens ou autres acteurs. Dans certains cas, cela a conduit des députés ou des fonctionnaires à démissionner ou même à purger des peines de prison parce qu’ils se sont avérés coupables alors qu’ils exerçaient des fonctions publiques. Nous devons éviter religieusement d’être le juré, le juge et le procureur d’un même groupe de personnes afin d’éviter la pensée de groupe et les défaillances dans l’excellence de la gouvernance. Les médias ont une influence et un rôle énormes dans le contrôle au Royaume-Uni.

L’école en Angleterre initie-t-elle les enfants à ces enseignements ? Peut-on dire que les familles jouent également un rôle dans cette éducation ?

La scolarisation est un défi pour toute société. Les enseignants sont responsables de l’enseignement en tant qu’experts dans leur domaine. Toutefois, une bonne éducation est essentielle pour le développement de l’enfant, lui offrant conseils, stabilité et valeurs, constituant ainsi le fondement de toute société. Tout enseignant ou parent en Angleterre, comme dans n’importe quel pays, veut le meilleur pour ses enfants et les encourage à être de bons citoyens, mais il y a toujours place à l’amélioration.

Les dirigeants et les cadres des entreprises doivent faire preuve d’un leadership éthique en adhérant eux-mêmes aux normes de gouvernance. Cela donne le ton au sommet de l’entreprise et favorise une culture de l’intégrité et de la responsabilité parmi les employés"

Comment les entreprises publiques transmettent-elles ces règles à leurs employés ?

Le personnel étant l’atout le plus important de toute institution, il existe divers mécanismes pour promouvoir la bonne gouvernance pour les employés :

a) Disposer de politiques et de procédures claires, régulièrement révisées, qui guident les employés dans des domaines tels que le comportement éthique, le respect des lois et la gestion des conflits d’intérêts.

b) Les dirigeants et les cadres doivent faire preuve d’un leadership éthique en adhérant eux-mêmes aux normes de gouvernance. Cela donne le ton au sommet de l’entreprise et favorise une culture de l’intégrité et de la responsabilité parmi les employés.

c) Les sessions et ateliers de formation sur la gouvernance et l’éthique devraient faire partie du développement professionnel continu de tout employé.

d) Un code de conduite formel au moment de la nomination peut servir de référence aux employés pour comprendre leurs responsabilités et les valeurs défendues par l’organisation.

e) Les organisations peuvent mettre en place des mécanismes permettant aux employés d’exprimer leurs préoccupations, de signaler des fautes professionnelles ou de demander des conseils sur des dilemmes éthiques sans crainte de représailles, ce qui contribuera à résoudre les problèmes et à apporter des améliorations en cas de lacune.

f) Les principes de gouvernance peuvent être intégrés dans les systèmes de gestion des performances. Les employés peuvent être évalués non seulement sur leurs résultats, mais aussi sur la manière dont ils les obtiennent, en mettant l’accent sur le respect des normes éthiques et de gouvernance.

g) Des audits réguliers, des contrôles de conformité et des évaluations des risques garantissent que les employés respectent les politiques de gouvernance. Un contrôle continu renforce également l’importance de ces normes dans les activités quotidiennes.

h) Les organisations peuvent promouvoir une culture du lieu de travail qui s’aligne sur leurs valeurs de gouvernance, telles que l’équité, la transparence et la responsabilité. Les employés doivent être encouragés à intérioriser ces valeurs et à les intégrer dans leur travail.

i) En définissant clairement les rôles, les responsabilités et les pouvoirs de décision, les organisations peuvent donner aux employés les moyens d’agir dans le cadre des politiques de gouvernance, en garantissant la responsabilité à tous les niveaux.

En intégrant les principes de bonne gouvernance dans leur culture organisationnelle et leurs activités quotidiennes, les organisations peuvent s’assurer que les employés comprennent, adoptent et mettent en pratique ces valeurs, contribuant ainsi à l’intégrité et à la réussite globales de l’organisation. Au total, les dirigeants peuvent faire la différence.

Vous venez régulièrement à l’île Maurice, quelle observation faites-vous du niveau de nos compagnies publiques ?

Je suis très fier de visiter l’île Maurice, je me suis toujours tenu au courant des développements et j’ai reconnu les progrès réalisés par le pays depuis l’indépendance et la diversification de l’économie dans divers secteurs pour être parmi les meilleurs du continent africain. 

Avec les scandales récents et bien médiatisés, il y a une perte de confiance dans les différentes institutions, en particulier dans l’exercice d’une responsabilité claire, de l’obligation de rendre compte et de la transparence à différents niveaux, ce qui nécessite une réorganisation de la gouvernance de base dans les institutions publiques et je suis très heureux, car c’est de la musique aux oreilles de chaque citoyen ce que le nouveau gouvernement s’est engagé à faire, l’avenir nous le dira.

De quelle manière les investisseurs étrangers prennent-ils en considération la conformité aux normes dans un pays avant d’y investir ? 

Tout pays qui donne la priorité au respect des normes internationales est mieux placé pour attirer et retenir les capitaux étrangers et pour offrir un environnement sûr, transparent et propice à leurs investissements. Voici quelques-uns des domaines clés pris en compte par les investisseurs : 

a) Les pays dotés d’une gouvernance solide, d’une indépendance judiciaire et d’une faible corruption sont plus attrayants pour les investisseurs. Les investisseurs préfèrent les pays dont les gouvernements sont stables, car les troubles politiques augmentent les risques. Les mécanismes de lutte contre la corruption sont essentiels, car ils sont le signe d’un environnement commercial équitable et prévisible.

b) Cadre juridique et réglementaire solide du pays en ce qui concerne les opérations commerciales, les incitations fiscales, la propriété intellectuelle et le respect de l’environnement. La facilité de faire des affaires, les classements de la Banque mondiale ou d’autres rapports d’organisations indépendantes, qui soulignent à quel point l’environnement juridique est favorable aux investisseurs étrangers.

c) Indicateurs économiques : des facteurs tels que les taux d’inflation, la stabilité de la monnaie et la croissance économique influencent les décisions d’investissement. Les niveaux d’endettement et les politiques fiscales jouent également un rôle important dans le processus de prise de décision des investisseurs.

d) Le respect des normes internationales telles que les normes internationales d’information financière (IFRS) ou les réglementations relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent est un élément clé.

e) Les investisseurs évaluent les protections juridiques disponibles pour leurs investissements, en particulier en ce qui concerne les droits des actionnaires et la résolution des litiges dans le cadre de la gouvernance d’entreprise. 

f) La fiabilité des systèmes de transport, d’énergie et de télécommunications est essentielle à l’efficacité des opérations commerciales. 

g) Le respect de la législation du travail et des normes internationales relatives aux droits des travailleurs peut influencer les décisions d’investissement.

h) Le respect des normes environnementales mondiales témoigne d’un engagement en faveur de la durabilité, ce qui correspond aux objectifs de responsabilité sociale des entreprises (RSE) de nombreux investisseurs.

i) L’expérience des investisseurs précédents et les notations internationales donnent une idée de la fiabilité d’un pays.

j) Une solide réputation en matière de respect des normes mondiales renforce l’attrait d’un pays.

k) L’accès à un arbitrage impartial ou à un recours juridique permet aux investisseurs de résoudre les conflits de manière équitable.

Comment peut-on améliorer le service public à l’île Maurice, quels conseils donneriez-vous aux autorités ?

Une approche intégrée axée sur la qualité, l’amélioration de l’efficacité, les capacités de leadership, la transparence, l’inclusivité et la réactivité sont quelques-uns des ingrédients clés de l’amélioration. 

a) Le rôle des cadres supérieurs et des dirigeants de première ligne dans chaque département est essentiel pour fournir un service de première classe et gérer les attentes ; l’exercice de la responsabilité et de l’obligation de rendre compte au point de prestation est la pierre angulaire de la réussite. La formation des dirigeants n’est pas le fruit du hasard ; un programme de développement continu est essentiel pour garantir que les dirigeants disposent des conditions et des capacités nécessaires pour diriger et assumer leurs fonctions et responsabilités conformément aux normes attendues. 

b) Maintenir l’engagement avec les principales parties prenantes en matière d’amélioration et se concentrer sur le service à la clientèle nous aide à mieux comprendre les besoins des clients. 

c) Le renforcement du contrôle en tant qu’allié essentiel des institutions et la garantie de l’indépendance dans le suivi des performances du service public constituent une autre méthode d’amélioration qui peut être adaptée.

d) Établir des critères de performance clairs et développer une culture de l’apprentissage afin d’éviter des erreurs identiques ou similaires dans les institutions.

e) Tirer parti de la technologie pour prendre des décisions fondées sur des données. Utiliser l’analyse des données et l’intelligence artificielle pour identifier les goulets d’étranglement dans les services et prévoir les besoins des citoyens. Développer des systèmes de suivi en temps réel pour les projets et les services publics afin de garantir une livraison en temps voulu.

f) Innover avec des plateformes de gouvernance électronique robustes pour automatiser les processus, réduire la bureaucratie et améliorer l’accessibilité pour les citoyens tout en simplifiant les processus. Faciliter un processus dont la culture numérique est faible pour combler la pauvreté numérique et promouvoir l’égalité d’accès aux services.

g) Introduire des processus d’audit locaux et nationaux pour garantir l’efficacité, la pertinence et la création d’une culture d’organisation apprenante.

h) Renforcer et exploiter la collaboration avec le secteur privé dans le cadre d’un programme national prévoyant des programmes de stages dans des domaines qui créeront un environnement d’apprentissage partagé et amélioreront l’efficacité.

i) Promouvoir l’inclusion tout en veillant à ce que les services soient accessibles aux groupes vulnérables.

j) Améliorer en permanence la santé et l’éducation en utilisant des outils fondés sur des données probantes et en tenant compte de l’évolution des besoins, ce qui contribuera à maintenir une main-d’œuvre en bonne santé et qualifiée.

k) Envisager la création d’un groupe de travail spécialisé chargé d’évaluer chaque année la prestation des services publics et de recommander des réformes pourrait être une option à envisager, tout en gardant à l’esprit les exigences et les défis fiscaux de tout gouvernement.

 

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